mercredi 18 février 2015

J'ai tant cru

Plus les années passent, la cinquantaine approchant, et plus je m'interroge sur ce en quoi je crois encore. La maladie, mon cancer, n'est qu'un coup d'accélérateur à mon questionnement. Je me souviens lorsque j'étais enfant, que je regardai le monde, mes parents, mes copains et copines, mes instituteurs, et comme tout me paraissait simple. La vie ne pouvait qu'être une longue fête, même si quelques corvées la jalonnait, faire ses devoirs par exemple ou accompagner ma mère à la laverie pour laver le linge. Cependant à cet âge j'étais ignorant de bien des choses, ces choses qui, justement, salissent le monde. La politique, le pouvoir, l'argent, le racisme, la pauvreté, la richesse, tout cela était des notions que je ne possédais pas. Autour de moi tout le monde semblait vivre de la même manière, je n'assistai à aucun conflit et les gens étaient polies, respectueux les uns envers les autres. Oui, je croyais que nous vivions dans la fraternité sans même savoir que cette notion, cette idée existait. Il me semblait normal d'aider mon prochain si je le pouvais et, inversement, que je me fasse aider en cas de besoin. A cette époque je n'avais jamais entendu parler de la religion, ne savait pas ce qu'était la Bible, le christianisme, etc, et pourtant je pensais déjà selon l'un de leur précepte. De même il me semblait évident qu'il était bien plus agréable d'apprécier quelqu'un plutôt que le contraire. Alors je m'efforçais d'aimer les gens, cherchant, dénichant dans leur personnalité ou dans leur tempérament quelque chose qui me plairait. A tout les coups cela marchait et je n'ai pas souvenir qu'enfant j'ai rejeté qui que ce soit. Là encore j'appliquai sans le savoir un autre précepte issu du christianisme, à savoir aimez-vous les uns les autres, comme si cela allait de soi. Toujours enfant, j'avais bien compris que l'école n'était qu'un stade à passer avant de rentrer dans le monde adulte, celui du travail. Là aussi je pensais naïvement que ce serait sans problème que mes camarades et moi-même travaillerons un jour. Nous étions alors dans les années 70.

Puis vinrent les années 80, époque de mon adolescence où de l'eau avait bien coulé sous les ponts depuis mon enfance. J'avais alors quatorze ans et avais compris que l'école n'était qu'un centre sélectif qui ne gardait que les meilleurs, menant les autres sur des voies de garage tel le CAP, avec pour seul horizon des emplois peu qualifiés et peu rémunérateurs. A cet âge, puberté oblige, seules les femmes m’intéressaient. A travers mes diverses aventures, j'attendais impatiemment d'éprouver ce sentiment dit amour, persuadé que lorsque je l'éprouverai la femme en question serait celle de ma vie. Amoureux je le fus souvent et ignorant de la véritable nature de l'amour, je confondis les deux. Amoureux, je pensais aimer, alors que je ne faisais que désirer et projeter sur la femme en question une image correspondant à mes attentes. Cependant il ne fallait généralement pas longtemps pour que je constate que la personnalité de ma partenaire ne correspondait en rien à mes attentes. Du coup, à force d'échec dans mes aventures sentimentales, je fini par me dire que l'amour, au sens mythique du terme, Roméo et Juliette, n'était qu'une fable supplémentaire à laquelle je devais cesser de croire. Dès lors j'ai commencé à considérer les femmes non pas comme mes égales, mais bel et bien comme des objets, des faire-valoir auprès de mes potes, et leurs attentes m'étaient complètement indifférentes. Si l'une n'était pas contente du sort que je lui réservait, alors je la quittai aussi sec et allait en trouver une autre. Oui, hormis le fait que j'étais véritablement attiré par les femmes, je n'en considérai pourtant aucune. A cette époque j'ai donc cru que mon avenir serait avec des hommes, les seuls capables de m'accepter tel que j'étais, sans prise de tête, sans scène de jalousie ou de possessivité, avec l'unir désir de faire la fête et de profiter de la vie.

C'est également dans ces années-là que j'ai découvert la politique, la géo-politique et l'économie. Je me souviens des attentats de 1986, de la bombe qui explosa à la FNAC de la rue de Rennes à Paris. Je prenais alors connaissance du conflit israélo-palestinien sans rien y comprendre, ignorant que j'étais de la seconde guerre mondiale, de la Shoah, puis du territoire que légua l'Angleterre aux juifs,état nommé Israël, territoire qui était palestinien à l'origine. De même, toujours aussi méconnaissant des religions, je pensais sincèrement qu'un gouffre séparait la religion juive de la religion musulmane ou de la chrétienté. Ce n'est que bien plus tard, alors que j'avais une vingtaine d'année, que je me suis aperçu qu'elles étaient toutes les trois issues du même livre, la Bible, et que seuls des détails les différenciaient. Toujours dans ces années-là on commençait à parler du chômage de masse et il m'apparaissait de plus en plus évident que la vie ne serait pas une partie de plaisir, tel que je l'imaginais lorsque j'étais enfant. Effectivement, je prenais de plus en plus conscience du pouvoir de l'argent, réalisant que même avec un métier et un salaire, bien des familles, dont la mienne, avaient du mal à finir leur fin de mois. De même, entre l'enfance et l'adolescence, je n'ai pu que constater que pour se faire respecter par les gens de mon âge il fallait que je me construise ma place, qu'il y avait là concurrence, et que n'importe quel signe de faiblesse de l'un d'entre nous pouvait mettre à mal sa place si chèrement acquise. Oui, les mômes et les ados ne sont pas tendres entre eux et c'est ainsi que j'ai jeter à la poubelle le aimez-vous les uns les autres. C'était eux ou moi, il n'y avait pas d’ambiguïté, et pas plus qu'ils ne toléreraient une incompétence de ma part, pas plus je n'avais à accepter leurs faiblesses. C'était la loi du plus fort, que son expression soit verbale ou physique, et nul ne pouvait déroger à cette règle sauf si l'on restait cloîtré chez soi, à l'écart de tous et  de toutes. Oui, lors de mon adolescence, tout ce que j'avais crus enfant s'est effondré et je ne pensais alors pas que mes nouvelles convictions, quelques années plus tard, alors que j'avais la trentaine, s'écrouleraient à leur tour.

Entre mes vingt ans et mes trente ans, j'ai rencontré l'amour à mon insu. J'étais avec une femme, nous nous entendions parfaitement bien, sommes resté ensemble plus de quatre ans, mais j'étais toujours dans mes préjugés d'adolescent, la considérant elle-aussi comme un faire-valoir, dont les attentes ne m’intéressaient pas. Ce n'est que lorsque nous nous sommes quitté que j'ai compris que je l'aimai, mais c'était trop tard, il y avait eu trop de dégâts. Ce fut l'époque de ma première dépression. Elle, j'aurai du faire l'effort d'apprendre à l'apprécier, comme lorsque j'étais enfant, j'aurai du la regarder, l'écouter, et non m'en servir comme un objet utilitaire que l'on sort si l'occasion en vaut la peine. Oui, sur ce coup-là je fus bien nul, ma croyance m'ayant induit en erreur.

Et maintenant, vingt ans plus tard, où en suis-je avec mes croyances ? Aucune ne tient plus vraiment la route, aucune ne vaut réellement la peine que je me batte pour elle, car il m’apparaît que toutes nos valeurs ne tiennent que sur un fil ténu et qu'il est assez simple de les déséquilibrer, voire de les faire tomber. A présent elles me servent de repères, comme des panneaux indiquant tel ou tel route, mais quelque soit la route emprunté, la valeur mis en avant, je sais qu'elle n'est qu'un leurre dont je m’accommode ou non. Je sais simplement que je veux la paix, ce qui n'est pas une valeur mais une façon de vivre, et que je me sert des valeurs, les met ou non en application à seule fin d'obtenir ma paix.

Si je crois en l'amour, amour qui n'est pas une valeur mais un état de fait, je ne crois pas pour autant en la fidélité qui, elle, est une valeur. Mais si pour avoir la paix je dois être fidèle, alors j'applique cette valeur. De même, s'il est plus simple pour moi de t'ignorer que de te prendre en considération, je n'hésiterai pas à te délaisser et, inversement, si je dois te calculer pour obtenir ma paix, alors je m'intéresserai à toi. Tout cela est bien mesquin, bien petit vous direz-vous certainement, mais c'est ainsi que j'ai décidé de vivre dorénavant et peu m'importe ce que vous pensez de moi en la matière. Comme vous j'ai crus en trop de valeurs qui n'étaient que mirages, telle la liberté, l'égalité,etc, et j'en suis revenu. Les années, l’expérience de la vie, m'ont appris que tout cela n'était que fadaise, des valeurs que nous sortions de temps à autre de notre chapeau magique uniquement si cela servait notre intérêt bien compris. Si nous pensons à l'autre, nous préoccupons de son sort, c'est qu'il est dans notre intérêt de le faire. Si tel n'est pas le cas, alors nous le délaissons et l'oublions sans remord ni état d'âme. Oui, nous sommes des êtres égoïstes, parfois plus ou moins égocentriques, et aucun de nos actes n'est gratuit. Derrière tout acte, y compris le plus charitable, nous y trouvons notre compte, une satisfaction à le faire plutôt qu'à ne pas le faire. Bien entendu je n'échappe pas à cette règle, mais aujourd'hui je l'assume.


(18 février 2015)

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