mercredi 4 février 2015

De ma mort

Un jour, une histoire, et sa fin. Comment expliquer ce que je pense, ce que j’éprouve, ce que je ressens, de manière claire et cohérente. Oui, j’aimerai vous faire partager tout ce qui me traverse à la simple idée de ma mort. D’abord, il n’y a plus d’horizon dans mon esprit, plus d’avenir lointain, je ne peux plus me projeter dans dix ans, cinq ans, voire deux ans. Si l’année prochaine je suis encore de ce monde, ce sera déjà bien, très bien même. J’espère seulement que je ne serai pas trop handicapé physiquement et, surtout, intellectuellement. Oui, la pensée est tout autant mon ange que mon démon, la seule activité de mon corps avec laquelle je me sens en parfaite osmose. Certains se vivent pleinement dans l’activité physique, mais ce n’est pas mon cas. Penser, réfléchir, tenter de trouver des réponses à mes questionnement, là est mon adrénaline. De même, toujours dans cette même logique, j’aime découvrir l’autre, non tant pour l’aimer ou l’apprécier, mais surtout pour le comprendre, déceler ses mécanismes, la logique de sa pensée, de ses sentiments.

Mon cancer, actuellement concentré dans mon cerveau en formant métastase sur métastase, progresse actuellement dans un rythme constant. Effectivement, tous les huit mois, le radiothérapeute découvre une nouvelle métastase en développement. Ce n’est pas tous les six mois ou les dix mois, c’est vraiment tous les huit mois, presque au jour près. Au début cela m’effrayais tant j’avais peur qu’elles aient raison de moi, de ma vie. A présent il en va tout autrement, je les prends comme elles viennent, comme si c’était un nouveau rhume, et je m’en remets docilement à mes médecins pour me prescrire le traitement adéquat, le soin adapté. Ce mois-ci mon radiothérapeute a découvert une troisième métastase et, logiquement, je me dis qu’en ce moment même se construit ailleurs dans mon cerveau la métastase suivante, celle qui sera dans huit mois la quatrième. Mais cela n’est plus un problème, j’accepte qu’il en soit ainsi, j’accepte qu’une partie de mon corps se détraque comme j’accepte d’être parfois en colère, sentiment que je n’aime pourtant pas, et si ce dysfonctionnement de mes cellules doit être la cause de ma mort, je n’y vois plus d’inconvénient. Effectivement, du fait de mon parcours de vie, je ne vois pas ce qui pourrai me manquer ici-bas, quel regret pourrait m’habiter puisqu’il me semble avoir connu et vécu le pire comme le meilleur.

De même, si je dois être mort demain ou ce soir, à quoi me sert-il d’éprouver des regrets ou des remords en projetant des relations que j’aurai aimé continuer à entretenir avec mes proches. Une fois mort, si elle bien ce que je crois qu’elle est, c’est-à-dire un point définitif à l’être vivant que j’aurai été, dépourvu de toutes formes de pensées, de conscience ou d’âme, ce serait me torturer pour rien que d’aller errer dans de telles projections. Non, sincèrement, je ne regrette rien de ma vie, même si j’ai néanmoins un ou deux remords, comme celui d’avoir fait du mal gratuitement par exemple, mais c’est le cœur léger que j’appréhende ma mort à présent.

Bientôt je ne serai qu’un souvenir pour quelques-uns, comme l’est ma grand-mère maternelle décédée il y a plus de trente ans. Avec le temps, mon souvenir deviendra de plus en plus léger à porter pour mes proches et, je l’espère, ils ne retiendront que les aspects agréables de ma personne. En tout cas, c’est ainsi que je souhaite qu’ils vivent ma mort.

Enfin, penser ma mort telle que je le fais actuellement, c’est également penser la vie, celle d’aujourd’hui, celle qui est mienne et celles des autres. Force est de constater que ma perception de cette dernière a fait une véritable révolution dans mes neurones et que plus ça va, plus je me détache de tout, y compris de mon propre corps. Mais c’est un détachement léger, m’installant dans une sérénité que je n’avais jamais connu auparavant, un détachement qui m’entraîne loin de toutes les turpitudes que notre société engendre, loin de tous les conflits propres à nos rapports humains, un détachement qui fait qu’au final je prends du plaisir par procuration, à travers le bien-être, le contentement, la satisfaction ou le plaisir de l’autre, et peu importe l’origine de ces contentements. Oui, de voir quelqu’un heureux, s’épanouir, quel que soit son activité, me rend heureux. Jamais ce ne fut le cas auparavant. J’étais certes content pour eux, mais en moi je n’éprouvais pas de satisfaction particulière. Aujourd’hui c’est pourtant devenu un réel bonheur pour moi de constater des sentiments positifs chez autrui.


(4 février 2015)

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