mardi 24 février 2015

Une matinée comme une autre

Une matinée comme une autre où, à peine réveillé, j'éprouve déjà le besoin de quitter mon logement, demeure dans laquelle j'habite mais où je ne me suis pas installé. Elle est un lieu de transition, toutes mes affaires ou presque sont encore dans leurs cartons depuis septembre dernier, et dans l'attente de savoir où sera affectée Cynthia pour l'année scolaire 2015-2016, je suis en suspend. Notre appartement est pourtant superbe, bien agencé, seule la salle de bain est trop petite. Cependant je ne m'y sens pas chez moi tant ma présence dans ces lieux me semble provisoire.

Actuellement je met au point le décors et les trames d'un roman. Cela m’occupe agréablement et me change les idées. Je pense à des personnages fictifs, eux-mêmes dans un monde fictif, et j'essaye d'imaginer leur relation, la nature de leur relation, ne sachant pas encore exactement quel message je désire faire passer à travers cette histoire. De même je m'interroge sur la pertinence de vouloir faire passer un message, car ces derniers, à peine dévoilés, sont vite oubliés par les lecteurs. Peut-être sera-ce un roman sans message, à prendre tel quel,brut, et libre  chacun d'en penser ce qu'il en voudra. Cependant je m'aperçois que la tâche n'est pas facile. Autant je n'ai aucun problème à décrire le type de monde, de société, dans lequel évoluent les personnages, autant je ne sais pas quoi leur faire faire pour les mettre en relation les uns avec les autres. Bien sûr, je pense à l'amour qui est un bon prétexte à un roman, mais je veux plus, je veux une autre trame en plus de celle-ci, une trame plus philosophique, plus politique.

Je viens de recevoir un appel du centre Eugène Marquis, un centre qui ne s’occupe que des cancers. Mes séances de radiothérapie sont programmées pour les trois jours à venir. Il y aura donc trois séances et non cinq où le Cyberknife enverra sur ma troisième métastase ses rayons. Sont-ils radioactifs ? Je m’aperçois que je n'ai jamais posé la question à mes radiothérapeutes, mais je pense qu'ils le sont. Si tel est les cas, quels sont les effets réels sur une zone sensible comme le cerveau de la radioactivité ? Je suis sûr que les radiothérapeutes eux-mêmes l'ignorent. Comme les patients, ils doivent constater les effets, essayer d'en tirer des conclusions, mais sont bien incapable de prévoir à l'avance ou de tout simplement dire en quoi le fonctionnement du cerveau peut s'en trouver modifié. Donc rendez-vous est pris pour demain, pour ma première séance, et adviendra ce qu'il adviendra. Oui, je ne vois aucune bifurcation sur ma route, le chemin est tout tracé, il s’appelle le cancer. Il est mon itinéraire, que cela me plaise ou non, est c'est lui qui fixe la trajectoire, programme mes journées et mes nuits, mes humeurs, mes joies et, bien souvent, une espèce de mélancolie qui n'en est pourtant pas une. Cela ressemble à des moments d'absences où je me sens comme dans une espèce de vide à m'en donner le vertige. J'ai alors comme l'impression de chuter de l'état d'esprit dans lequel j'étais auparavant, de chuter dans un trou noir, mais cela sans peur, sans appréhension, comme si je savais que là était mon destin, ma véritable direction, la chute.

Je pense également à Cynthia et au couple désormais étrange que nous formons. Hier notre couple était étrange à cause de notre différence d'âge, aujourd'hui il l'est parce que je me sais être un mourant vivant avec quelqu'un qui a toute la vie devant elle. Notre état d'esprit réciproque ne peut donc être le même. Tandis que j'attends patiemment que la faux de la mort vienne me prendre, elle, elle espère que je vais durer le plus longtemps possible, ce qui n'est pas du tout mon ambition. Tandis qu'elle s'inquiète de la réussite des traitements que l'on me prescrit, pour ma part je me fou des résultats, sachant que ce n'est que retarder un peu les choses pour mieux sauter après. Elle s'évertue à me rendre la vie agréable, tandis que moi je ne lui donne pas la réciproque.Je suis dans mon silence et seuls ces lignes que j'écris l'informe sur ma tournure d'esprit. Oui, si je pensais réellement à elle, à son bien-être, je lui rendrai sa liberté, idée qui revient souvent dans mon esprit, car que peut-on attendre d'un mourant, qui plus est handicapé à présent ? Tout ce qu'elle souhaite pour son avenir, bien entendue je souhaite de tout mon cœur qu'elle l'obtienne, mais cela ne me concerne pas, plus, car de mon côté je suis assis dans un bon fauteuil attendant uniquement mon dernier moment. Le décor, mon environnement n'a plus aucune importance, car nul part je ne me sentirai plus chez moi. Ma maison, je ne l'éprouve que trop, est la mort à présent, et l'endroit où elle s'emparera de moi n'a que peu d'importance. Donc oui, si je pensais sincèrement au bien-être de Cynthia, je la quitterai malgré elle afin de lui rendre toute sa liberté. Effectivement, qui a-t-elle à ses côtés à présent si ce n'est un être qui s'éteint un peu plus chaque jours. Certes je ne suis pas taciturne pour autant, mais on ne peut dire de moi que je respire la joie de vivre. Pourtant j'apprécie l'instant, le moment présent, ce cadeau que me fait ma maladie. Cependant, parce que je suis sans doute devenu trop blasé sur les inepties de notre monde, il me tarde de le quitter définitivement, malgré la présence de Cynthia et de quelques autres. Ils ne suffisent pas à alléger le paysage, à le rendre de nouveau attrayant, raison pour laquelle je ne m'acharnerai pas à lutter contre ma maladie, que je n'essayerai pas de reprendre des forces musculaires, physiques, dans l'espoir de mieux vivre quelques minutes supplémentaires. Non, tout cela n'est plus pour moi. J'ai pris le partie de ne faire qu'écrire et, parfois, me promener, de ma détacher complètement du monde ambiant et d'espacer mes relations avec mes proches, famille ou amis. Oui, je veux être seul dorénavant. Tant que je le pourrai j'essayerai d'être avec Cynthia et non à côté d'elle, mais je ne sais si je tiendrai sur la distance tant le besoin d'être seul me pénètre avec une force incroyable. La solitude ne me dérange plus, elle n'est plus une souffrance, et je me vis très bien coupé de mes semblables.


(24 février 2015)

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