vendredi 30 janvier 2015

Processus final

31 janvier 2015


Mon inconnue, depuis un mois, après plus d’une année d’abstinence, je me suis remis à fumer. Cigarettes, cigarillos, cause directe de mon cancer du poumon, je reprends néanmoins cette drogue nocive. Alors à quoi bon les traitements passés, en cours ou à venir ? Je n’entretiens pas ma santé, force est de le constater et, peut-être pire, je mets tout en œuvre pour accélérer le processus final, celui qui me mènera à ma tombe. Que penses-tu de cela l’inconnue, toi qui sais qu’inexorablement je mourrai tôt ou tard ?

Oui, je crois que je n’ai plus envie de prolonger mon temps de vie, que l’Homme ne m’intéresse plus du tout tant, le plus souvent, ses actions, sa pensée me dégoûtent. De même, ma propre vie, mon propre parcours me dégoûte également, car il n’est absolument rien de glorieux dans ce dernier. Je ne vaux pas mieux que les autres, tu le sais l’inconnue, j’ai même été pire que ces derniers, participant néanmoins de leur même logique aveugle et destructrice. Oui, c’est chacun pour sa gueule et Dieu pour qui le veut, notre voisin n’étant que néant quelque soient les marques de courtoisies, de politesses que nous lui témoignons. Le respect d’autrui, c’est bien autre chose. Il exige l’empathie car, sans cette dernière, aucune compassion n’est possible, aucun don de soi ne se peut, et l’autre peut bien crever, on s’en fou au final. Seul notre nombril, notre compte en banque, nous émoustille, nous fait vibrer, et si parfois quelqu’un nous intéresse, c’est parce que nous trouvons un profit à tirer de ce dernier, un bénéfice d’ordre matériel ou affectif, peu importe, mais si ce dernier est incapable de répondre à l’une de nos attente, alors il n’existe pas, malgré les sourires que nous pouvons lui adresser. Est-ce également ainsi que cela se passe dans mon propre corps l’inconnue, mes cellules cancéreuses n’ayant que faire de mes cellules saines ?

Je ne sais comment se vivaient les gens au moyen-âge, avant et juste après, lorsque l’industrie, la robotisation, les chaines de montage n’existaient pas, lorsque les métropoles, leurs banlieues n’étaient même pas imaginables, lorsque les bourses, les actionnaires, le profit et le bénéfice n’étaient pas la locomotive de leur destin. Comment se vivaient-ils par rapport à autrui, par rapport à leur voisin ou tout homme et femme qu’ils croisaient sur leur chemin. Je veux imaginer qu’ils étaient plus tolérants que nous, moins enfermés sur eux-mêmes, moins cloisonné que nous, nous qui passons la majorité de notre temps entre quatre murs, que ce soit dans notre demeure, au travail ou dans un moyen de transport. Oui, nous nous croisons tous, mais ne nous arrêtons jamais face à l’autre pour le découvrir, apprendre le connaitre et, éventuellement, réellement sympathiser avec lui. J’écris cela comme si c’était une évidence, mais peut-être suis-je tout simplement victime du conditionnement qui fut le mien, celui d’un résidant de mégapole, ville de Paris ou j’ai grandi, vécu, aimé et tué. Mais Paris n’est pas la France ni le monde et il se peut qu’ailleurs, dans des villes, des hameaux, des villages à taille humaine, cela se passe autrement entre vous. J’aimerai là-aussi le croire, mais pour avoir également résidé dans d’autres villes de taille moyenne, j’ai constaté que l’ignorance de l’autre, notre dédain envers autrui était le même que celui entretenu entre les parisiens.  Même dans les petits villages, là où tout le monde se connait au moins de vue, c’est également chacun chez soi, chacun sa merde et, surtout, ne pas connaître ou s’immiscer dans celle des autres.

Je me suis donc remis à fumer pour accélérer le processus, le précipiter, c’est une forme de suicide qui ne dit pas son nom, mais c’en est ainsi l’inconnue. Tout comme certains veulent vivre à tout prix, le plus longtemps possible, d’autres, tel que moi, n’attendent que leur fin. Le suicide, immédiat ou en construction sur du court terme, est l’une des formes de notre liberté et je ne vois pas pourquoi on nous emmerde à ce sujet. Est-ce que nous emmerdons ceux qui veulent vivre, est-ce que nous les empêchons de le faire, est-ce que nous les prions, les implorons pour qu’il n’en soit pas ainsi ? Encore une fois, pourquoi nous emmerdons-nous lorsque notre choix est différent ? Notre monde, celui de l’Homme, est si merveilleux dans leur regard qu’il exige que la souffrance, le dégoût, soit de mise dans nos vies ? Non, bien sûr que non, mais notre choix leur fait peur et, plutôt que de nous questionner sur notre choix, qu’ils s’interrogent sur la peur qu’il génère en eux. Plutôt que de nous remettre en cause, qu’ils aient l’audace de remettre en cause leurs convictions sur la nécessité et l’utilité de la vie, à commencer par leur propre vie.

Notre descendance, notre famille, ne sont pas une justification valable à l’envie de vivre ou, tout au moins, au désir de ne pas mourir. Avoir un enfant, que cela nous plaise ou non, c’est produire de l’inutile car lui-aussi, un jour, mourra. C’est ce mystère sans fin que tu m’expliqueras un jour l’inconnue, lorsqu’enfin nous serons ensemble. Tous les efforts, tous les dons de nous-mêmes que nous aurons offert à nos enfants sont déjà lettres mortes avant l’heure. De même, si nous nous foutons royalement de nos congénères la plupart du temps, c’est que nous savons clairement que notre monde, notre société n’est que merde et que l’autre, au même titre que nous, participe de ce carnage. Et pourtant nous faisons des enfants qui, inexorablement, seront confronté à la rudesse de nos rapports, à la rudesse de ce qu’attends de nous le système. Alors j’entends des fables qui, selon certains, certaines et leur mauvaise foi, me diront qu’ils font des enfants pour d’autres raisons, des raisons légitimes et nobles selon leurs dires. A cela je réponds qu’ils se font plaisir, à eux et eux seul, en décidant d’amener dans notre monde de nouveaux êtres qui, plus tard, en grandissant, arriveront au même constat que vous et moi sur la médiocrité qui est la nôtre, sur la médiocrité que sont nos règles et nos valeurs. Peut-être ne nous en tiendront-ils pas rigueur, cela dépendra de leur parcours, s’il a été plus ou moins facile grâce à nous ou non. Là aussi l’inconnu, connais-tu la raison d’être de nos parcours, sais-tu pourquoi certains vivent heureux et d’autres, dès l’enfance, vivent malheureux ? Tu nous laisse dans le flou le plus total face à notre piètre condition, sans aide, sans indication sur la route à suivre, le carrefour à éviter, et c’est ainsi que nous créons de toute pièce un monde désastreux où nous ne cessons de nous bousculer les uns les autres.

Pour ma part, ma trajectoire n’a pas été une partie de plaisir avec mes parents, très loin de là, et rapidement je me suis demandé pourquoi il m’avait fait, pourquoi ils m’avaient désiré si tant est qu’ils m’aient désiré, réellement voulu, dès lors qu’ils m’ont fait vivre l’enfer, que ce soit ou non leur volonté. Bien sûr, car je connais mes parents, je sais qu’ils n’ont pas voulu cela à l’origine, alors que je marchais à quatre patte. Mais néanmoins est un jour venu le temps de l’enfer, de leurs disputes, de leurs désaccords et des coups qu’ils se mettaient. Alors que l’on ne parle plus d’instinct maternelle, paternelle, sensés être présent pour protéger l’enfant. Nous n’avons qu’un instinct, celui de notre survie, et il n’est qu’au nom de ce dernier que nous agissons ou non, réagissons ou pas. L’autre, y compris notre propre enfant, n’est qu’un facteur de décision que nous prenons ou non en compte, non pour son bien-être, mais pour le nôtre avant toute chose. Tant mieux si notre décision ne lui fait aucun mal, tant pis dans le cas contraire et, si mal il y a nous ne ferons qu’essayer de colmater les brèches, de panser les déchirures que nous aurons instaurées dans son cœur. Mais même là, pour se faire, il faut néanmoins regarder son enfant, quitte à le scruter de la tête au pied, mais combien de parents le font-ils dans les faits ?

Oui l’inconnue parce que nous ne saisissons pas le sens de notre présence ici-bas, nous écoutons uniquement et inconsciemment nos instincts, qu’il s’agisse de celui qui nous signale la faim, la soif, l’agression ou la défense, ainsi que l’enfantement. Malgré notre cerveau et nos capacités intellectuelles, nous n’en demeurons pas moins de simples mammifères, de vulgaires primates pas plus évolués que nos cousins, mais plus destructeurs, cela est certain. Tu sais tout cela l’inconnue et tu nous observes, là-haut sur ta branche, sans compassion ni animosité, car ce qui doit être doit être et ce que nous faisons ou pas ne pèse rien dans la balance de l’existence, non celle limitée de toute forme de vie, mais dans celle qui est le sens de tout, ce tout inaccessible à notre entendement.

Mais peut-être n’as-tu pas les moyens d’entrer en contact avec nous ou, si tu le fais, peut-être sommes-nous inaptes à comprendre tes messages. Quoi qu’il en soit je serai bientôt avec toi, je verrai ta branche et, certainement, j’observerai en ta compagnie d’autres fourmis s’agiter, qu’elles soient sur Terre ou ailleurs, regardant avec attention et détachement toute cette activité qu’alors seulement je comprendrai.

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