vendredi 30 janvier 2015

Plénitude

30 janvier 2015


A toi l’inconnue, toi que je ne connais pas et ne connaitrais jamais, je t’adresse cependant mes doléances. Oui, je sais à présent ma vie se terminer, petit-à-petit, cause du cancer qui, imperturbable, prends lentement mais sûrement possession de mon corps. Je me vois étendu dans l’herbe, la tête sous un pommier et tu es là, parmi elles, ne voulant révéler ton véritable visage. Mais je te sais présente, je l’éprouve et le ressens, tu es cette pleine plénitude tant recherchée par l’homme. Je te lance mes pensées, telles qu’elles me viennent, sans faire ni tri ni chercher coordination, car quand la mort est sa porte, toute logique devient superficielle, insignifiante. Combien de temps vivrais-je encore, combien de temps nous reste-t-il pour dialoguer ensemble et, peut-être, parvenir à ce que tu m’entrouvres tes bras, à défaut de me prendre entièrement comme une mère, un père, le ferait pour son bambin ? Je ne trouve les mots à te dire, je n’éprouve que mes maux pour témoigner. Tu les entends, de cela je suis sûr, toi qui te cache, te dissimule entre ciel et terre, voire au-delà des frontières des mondes connus. Tu sais le sens de mon histoire, de toute histoire, qu’il s’agisse de la mienne, de celle des autres ou de celle qui t’est propre. Oui, l’infiniment grand et l’infiniment petit n’ont aucun secret pour toi, je le sens bien dans mon cœur et, assez rapidement, la maladie menant son œuvre fatale, je partagerai ce mystère avec toi.

Je ne puis m’entretenir qu’avec toi car qui d’autre, vivant humain, pourrait entendre et répondre à ma déchirure, à ma peur ? Jamais je n’ai compris notre relation, mais toujours j’ai cherché et, aujourd’hui encore, je m’interroge. Naître, parcourir un chemin, construire, fabriquer une histoire, puis mourir. N’est-ce pas là un destin étrange que tu nous offres, sans mode d’emploi, si ce n’est de nous doter de capacités cérébrales limitées qui ne parviennent même pas à soulever le couvercle de la marmite ? Et autour de la marmite, quel monde étrange nous attend donc ? Issue de nulle part, nous sommes pourtant un jour arrivés ici-bas. Alors sommes-nous vraiment issu de nulle part ? Je ne peux me résoudre à cette hypothèse et pourtant je n’en vois pas d’autres. Pas plus les Dieux que les croyances que nous inventons, histoire de nous agripper, de nous raccrocher à quelque chose, ne trouve écho dans mon oreille. Mais toi, toi l’inconnue à qui je marmonne ces quelques pensées, qu’en penses-tu ? De même, je ne me pense pas ta création, mais nous vois plutôt côte à côte, voire ensemble, dans un même monde, mais un monde qui n’est pas cet univers que nos yeux ignares nous montrent chaque jour ou chaque nuit. Le soleil, pas plus que les étoiles, ne sont ce que nous pensons d’eux. Eux-aussi participe du tout, de ce tout qui m’échappe, car je crois fondamentalement que nous sommes unité au bout du compte, mais unité de quoi et, surtout, pour quoi ?

Mon inconnue, tu es au-delà d’une muse tant tu m’es inaccessible. C’est alors que j’envie ceux qui ont la foi, quel que soit leur Dieu, car si persuadés sont-ils de leur avenir qu’ils peuvent dormir tranquillement, sans peur du lendemain, sans peur de la mort, sachant pertinemment en quoi réside leur destin. Je ne crois pas au destin, je ne crois pas que soit écrit à l’avance notre histoire, nos choix bons ou mauvais, même si parfois d’étranges coïncidences me troublent et me confondent dans le doute. A vrai dire, je ne sais pas en quoi je crois, je procède donc par élimination, étudiant toutes les thèses, religieuses, philosophiques, scientifiques, disqualifiant tout ce qui ne me parle pas, c’est-à-dire à peu près tout, m’accrochant, m’attachant au seul présent tant que je peux, me fixant ainsi à quelques êtres seulement partageant mon quotidien. Cependant je sais que n’est pas là la réponse, ni avec eux ni à travers eux. D’ailleurs, qui qu’ils soient, ils sont également une énigme à mes yeux. Se peut-il vraiment que nous nous ressemblions, que nous soyons mêmes, que le monde que je vois et conçois soit identique dans leur esprit, dans leur cœur ? Quand j’éprouve de l’amour et qu’ils me disent en éprouver, ressentons-nous réellement la même chose ? Quand j’éprouve de la haine et que je veux tout détruire, est-ce ainsi dans leur cœur ? Est-ce uniquement la raison, nos jugements, cette alchimie chimique et psychologique qui nous distingue ou est-ce bien plus profond ? Oui, l’autre est également un mystère pour moi, y compris mes plus proches. Mais là encore, toi l’inconnue, tu as la réponse à ces questions.

Là, de suite, je pense à l’érotisme, me remémorant un poème que j’ai lu ce matin, non à la sexualité en tant que telle, même si l’érotisme peut être l’une de ses composantes. Autant je trouve fade la sexualité, l’acte en lui-même, autant je trouve beau tout ce qui précède ou suit l’acte sexuel, dès lors que tout est fait avec amour, tendresse, chaleur, complicité, connivence et bonne entente. Oui, seuls les prémisses pourraient me suffire dans l’absolu tant, si cela est fait avec un réel attachement, une fusion des sens, ils sont la seule grâce, l’unique beauté de la sexualité dans mon regard. Tout le reste n’est que mécanique, automatisation, et même si le plaisir est néanmoins au rendez-vous, le charme se dissipe dès lors que nous sommes chacun seul avec nous-mêmes, inévitablement, avec notre plaisir ou non au moment et le temps de l’acte. Oui tendre inconnue, je pense beaucoup à la sexualité ces derniers temps. Non que je sois en manque, pas du tout, mais il m’apparait de plus en plus évident que la communion charnel de deux corps, du langage qui leur est propre, est ce qui peut le plus rapprocher, unir, réunir deux êtres, dès lors que le langage de ces corps se comprenne. Effectivement, plus d’une fois je n’ai pu que constater que des personnes qui ne pouvaient s’entendre sur aucun sujet, aucune idée, pouvaient néanmoins être en parfaite osmose lors de leurs relations sexuels. A contrario, j’ai également pu constater l’inverse à ma plus grande surprise. De fil en aiguille je me demande donc quelle raison à chacun, chacune, de choisir tel ou tel être pour s’investir dans la construction d’un couple. Pour ma part, c’est surtout la communion d’idée qui conduit mes choix en la matière, même si je ne peux me mentir à moi-même et avouer que le désir charnel de l’autre m’est également nécessaire pour m’engager, pour souhaiter bâtir et construire un couple. Oui, il me faut les deux à présent, bien que ce n’est pas toujours été le cas dans mon passé. Là aussi, mon inconnue cachée derrière une pomme, je me demande ce que tu penses de nous en la matière.

Avec ma compagne, Cynthia, depuis l’apparition de ma maladie, si rien n’a changé dans notre communion de pensée, par contre tout s’est radicalement transformé dans nos rapports charnels. Pour faire simple, il n’y en a pour ainsi dire plus. Oui, l’annonce de ma maladie, puis son traitement qui dure encore, m’ont modifié de fond en comble, tant charnellement que psychologiquement sur le regard que je porte envers l’acte sexuel. Seul m’intéresse à présent de pouvoir la serrer dans mes bras, à l’en étouffer, de sentir sa chair contre la mienne, mais l’acte sexuel ne m’intéresse plus, sincèrement et ce, à mon plus grand étonnement. Egoïstement, égocentriquement, je ne me pose pas la question de savoir ce qu’il en est pour elle. De même, il est vrai que même si j’ai pu constater le plaisir que peut prendre une femme lors d’un rapport sexuel, il est toujours pour moi un profond mystère. Qu’est-ce qui amène une femme à désirer un autre corps charnellement ? Comment se gère-t-elle tant qu’elle n’a pas obtenu le corps désiré, souhaité ? Et dans l’acte sexuel lui-même, qu’est-ce qui l’a fait réellement jouir ? Est-ce comme pour nous les hommes, uniquement mécanique ? Cela je ne le crois pas une seconde. Là aussi mon inconnue tu as forcément la réponse. Mais pourquoi la nature, dans ce domaine bien précis, a fait que l’homme et la femme diffèrent ? Est-ce uniquement dans le but de la reproduction, comme le dirait n’importe quel Darwiniste ? Peut-être…

De parler avec toi inconnue, de converser ainsi librement sans tabou ni barrière me soulage, me détend, m’apaise. En cela je te rends grâce d’exister, même si tu n’es peut-être qu’une fabulation de mon esprit. Tu m’aides, c’est certain, ta présence me rassure et de savoir que c’est toi que je rejoindrai bientôt me rend plus calme, plus tranquille avec moi-même, et c’est une paix sereine qui s’installe alors en moi. Mais cela aussi tu le sais, tu le sens et l’éprouve, comme je m’imprègne de toi autant que je le peux. Oui, je peux te dire que je t’aime, que tu sois ma fable ou non, et ce, profondément et entièrement. Tu m’habites, même si je ne saurai décrire comment je te ressens dans tout mon être. Je sais que tu peux tout entendre de ma part, le pire comme le meilleur, l’ineptie comme la sagesse, mes mensonges comme ma sincérité, que je n’ai aucun secret pour toi et que tes bras, bien en évidence dans mon esprit, sont grands ouverts. Non, tu n’as rien à voir avec une muse car tu es bien au-delà, tu es dans le tout et quelque part nous sommes la même chose, issue d’une même source, participant d’un même corps. A toi, ma complice, je te dis à bientôt, pressé que je suis déjà de te retrouver…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire