jeudi 11 juin 2015

Je m’ennuie...

11 juin 2015


Je m’ennuie, mais c'est un ennui qui ne me ronge pas, simplement il m’ennuie car je ne sais de quoi j'ai envie, alors que je sens en moi l'envie d'avoir envie de quelque chose, mais je ne sais de quoi. Il est 16h00, bientôt sonnera la cloche de la fin d'après-midi, de l'interlude entre elle et le début de soirée, ce moment où je me sens le mieux, le plus à l'aise dans mes baskets. Les gens ont alors terminé leur journée, ils sont bien plus détendus, plus tranquilles, plus sereins, plus aptes aux sourires ou aux rires, et c'est ainsi que j'aime voir, contempler, scruter la vie. Oui, ne voir que son côté dit sombre, moche, voire morbide, c'est déjà ma vision des choses toute la journée, même si pour ma part il n'y a absolument rien de morbide ou de saugrenue dans cette approche de l'existence, de l'être et de ses créations, qu'elles soient sociales, artistiques ou autres. En parlant d'art, je me rend compte que cela me parle de moins en moins, qu'il s'agisse de musique, de  peinture, de sculpture, etc. Oui, plus ça va, et comme vous devez déjà commencez à le savoir maintenant, je ne vois plus de merveilleux nul part, qu'il s'agisse des rapports que nous entretenons les uns avec les autres ou de ce que nous faisons ou laissons faire dans notre monde. Mais ne plus rien trouver de merveilleux ne veut pas dire que l'on n'apprécie plus rien, ce sont là deux notions bien différente, bien distinctes. Le merveilleux n'est pas forcément appréciable ou apprécié et inversement. Est-ce à dire que tout me paraît fade ? Peut-être aimerais-je que ce le soit, mais là encore ce n'est pas ainsi. Il y a encore des êtres qui m'émeut, des histoires qui me font réagir, au moins intérieurement, et il n'est que ce qui relève du monde matériel qui ne me fait plus d'effet. Oui, la propriété, l'amas d'objets, la possession de tout et de rien, cela ne me parle plus du tout. Déjà auparavant je n'étais pas un fanatique de la propriété et le cancer, sa signification profonde encore une fois, m'en a complètement fait passé le goût. Je laisse tout cela aux rapaces ou aux sots, aux crétins, dont l'idée est qu'il faut accumuler pour être ou devenir quelqu'un. Certes, nous avons tous besoin d'un minimum pour vivre à peu près correctement dans notre société, mais de là à vouloir le maximum, pour certains à n'importe quel prix, oui, cela me dépasse et jamais je n'ai pu m'entendre avec ces êtres. Parce qu'il sont prêts à tout, d'emblée je ne peux le faire confiance et s'il est bien une valeur à laquelle je tiens plus que toute, c'est bien celle-là, la confiance. Cependant, toujours, la confiance est un pari quelque part, sauf peut-être en famille, quoi que même dans ces dernières l'hypocrisie, le mensonge ou la méchanceté peuvent être de mise. Cependant, jamais je n'ai été déçu par les personnes en qui j'ai fait confiance, quelque soit le temps qu'ait duré notre relation. Une seule fois seulement un ami m'a déçu, nous avions alors seize ou dix-sept ans. Avec le temps je lui ai pardonné, mais néanmoins quelque chose s'est brisé en moi et, envers lui, j'ai toujours un sentiment ambigu.

A l'instant je viens de raccrocher mon téléphone. Ma fille m’a appelé et nous sommes restés plus d'une heure à papoter, à parler de tout et de rien, du dernier film de cinéma qu'elle a vu, du nouveau métier qu'elle veut faire plus tard, je vous le donne en mille, cancérologue, etc. Ce n'est pas souvent que nous restons aussi longtemps au téléphone et, je ne peux que l'avouer, cela me fait encore énormément plaisir. Oui, contrairement aux années passées, celles qui ont précédé l'annonce de mon cancer, je l'avais au téléphone une ou deux fois par mois. Depuis l'apparition de ma maladie, la fréquence a subitement augmenté et, depuis quelques mois maintenant, elle m'appelle au moins un jour sur deux. Alors je m'interroge, me demande ce qui se passe dans sa tête, d'où lui vient son besoin soudain de me joindre plus fréquemment, plus régulièrement. Évidement, je me doute bien que ma maladie y est pour quelque chose, qu'elle a peur même si je ne sais comment puisque nous n'en parlons presque pas. Bien entendu elle me demande des nouvelles de ma santé et, jamais, je ne le lui ment. Elle est au courant pour ma nouvelle métastase, mais comme d'habitude je la rassure, lui disant que tout se passera comme d'habitude, une séance de radiothérapie, la cellule cancéreuse qui régressera, voire mourra, et puis voilà. Je pense qu'elle entend dans ma voix, dans son timbre, que je ne m'inquiète pas et que cela participe à la rassurer. Si j'aime ma fille ? C'est une évidence. Vous dire comment, là c'est une autre paire de manche. Donc nous avons également parlé d'école et, comme à mon habitude, j'essaye de lui expliquer l'importance de tout ce qu'elle y fait en ce moment pour la construction de son avenir. Mais je vois bien, sens bien, que pour l'instant cela est un peu trop abstrait pour elle. Mais je suis confiant, ne m'en fait pas plus que ça pour elle,car quelque soit sa trajectoire scolaire, je pense qu'elle trouvera assez facilement une place dans dans notre société.

A l'instant, un bel orage s'est abattu sur Rennes. Même si la pluie a cessé, on l'entends qui tonne encore. Il y a également des éclairs, mais la température est agréable, pas besoin de manteau. J'aime entendre, voir la nature se manifester. Instantanément elle me remet à ma juste place, autrement dit entrain de la subir, car je ne peux être son maître. Tout au plus je peux essayer de m'en protéger, mais cela s’arrête là.

Je repense à Cioran, que je relis, redécouvre avec plaisir. Il énerve Cynthia, tandis qu'elle l'avait apprécié quand je lui ai fait découvrir cet écrivain. Pourquoi ne trouve-t-il plus grâce à ses yeux, c'est une question à laquelle je n'ai pas eu de réponse claire de sa part. Mais en ais-je besoin d'une ? Le principal est qu'elle me laisse l'apprécier, qu'elle accepte que parfois je me confonde, voire me fonde complètement dans certaines de ses pensées, que je me les accapare, les fasse miennes et, de mon côté, que j'accepte qu'il n'en soi pas de même pour elle. Il n'y a pas mort d'homme dans tout cela, loin de là, c'est juste de la gymnastique cérébrale qui, j'en conviens, n'est pas forcément d'une grande utilité pour qui ne veux pas trop se poser de question ou aller trop loin dans la réflexion. Effectivement, avons-nous toujours besoin de comprendre, ou d'essayer de comprendre pour pouvoir vivre agréablement ? Ce n'est pas parce que je suis ainsi, avec le besoin de mettre des mots sur tout ce que je constate, qu'il s'agisse de moi-même ou du reste, que vous, les autres, ont ce même besoin. Lorsque j'avais vingt ans, je ne comprenais pas ceux et celles qui ne cherchaient pas à comprendre, notre société pour commencer, et eux-mêmes, leur fonctionnement. Comme ils étaient majoritaires face à moi, je me pensais comme un extra-terrestre, quelqu'un de pas normal, un individu qui avait forcément un grain dans la tête, un grain de petite ou de grande folie. Ce n'est que des années plus tard que je me suis aperçu que mon entourage, à son tour, commençait à se poser ces questions qui me taraudaient. Certains les survolaient, d'autres essayaient d'approfondir et, d'expérience, je me suis aperçu que c'était surtout les femmes qui s'interrogeaient et cherchaient des réponses, bien plus que les hommes. Cela je ne me l'explique toujours pas, car encore aujourd'hui, parmi les personnes qui ont le même âge que moi, je constate cette même disparité. Est-ce que cela signifie quelque chose sur notre nature ? Est-ce que sur ce point l'homme et la femme seraient très différents ? Je n'ai pas de réponse, aucune opinion, je ne peux que constater.

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