mardi 2 juin 2015

Vivre avec le cancer III

2 juin 2015


J'écoute mon cerveau, l'onde radio et le son qu'elle produit en continue. C'est le même type de son qu'écoute les physiciens, les astronomes qui sont à l'affût des bruits de l'espace. Ils testent plusieurs fréquences et, à un moment donnée, tombent sur des ondes, telle celle qui aurait accompagné le Big Bang. J'écoute donc mon cerveau, cette onde qui ne se lasse pas de lui chanter je ne sais quoi, et je ne sais quoi en penser. D'où vient-elle ? Qu'est-ce qui la génère ? Mes neurones ? Mes métastases ? Mon œdème ? Le tout réuni ? A-t-elle un message à faire passer et si oui, lequel ? Cependant, contrairement à avant, avant mon hospitalisation dû à la panne soudaine de mon cœur, de mon souffle d'alors et de tous les autres symptômes qui ont accompagné cette période, ce bruit continue dans mon cerveau ne m'agace plus. Je m'y suis fait, en ait pris mon partie. Il est là, il est aussi moi, au même titre que mes cellules cancéreuses et mes cellules saines, et je fais avec. Je pourrai prendre des médicaments pour essayer de faire stopper ce bruit, rendre muette cette onde, mais je ne le veux pas, je prends déjà assez de médicaments comme çà.

Je pense également à Virginie qui m'a écrit hier soir. Il est 16h00 et je ne lui ai toujours pas répondu, car je ne sais quoi lui répondre pour ne pas la décourager. Comme Cynthia, comme touts ceux et celles qui sont dans l'entourage immédiat d'un cancéreux qui vient d'apprendre sa maladie, ou qui est en plein traitement, en plein soin, qu'il s'agisse d'opération chirurgicale, de chimiothérapie, de radiothérapie ou autre, oui, notre entourage ne peut plus nous reconnaître, c'est évident, claire, manifeste. Ainsi, Virginie commence à réaliser que son ami est de plus en plus centré sur lui-même, qu'il devient plus égoïste, qu'il pense plus à son bien-être qu'à celui de son entourage, même si ce bien-être frustre cet entourage. Mais il est évident que nous ne focalisions que sur nous-même au début, car il faut du temps, beaucoup de temps pour accepter sa maladie, pour accepter clairement d'être un malade, pour accepter « sereinement » que demain, peut-être, voire sûrement dans certains cas, nous ne serons plus là, nous serons mort. Mais tant que cette acceptation, voire cette résignation, n'est pas au rendez-vous, alors oui, nos souhaits, nos désirs, passent avant ceux des autres, de tous les autres, y compris ceux de nos enfants si vraiment nous n'avons pas la force physique ou morale de répondre à leur demande. Nous, cancéreux, avons quitté votre monde, notre ancien monde, et je le crois, rien, absolument rien, ne pourra nous ramener dans le monde originel où vous nous avez connu. Plus jamais nous ne pourrons être les mêmes, il vous faut oublier qui nous avons été, même si nous l'avons été longtemps, car toutes nos priorités, sans exception, ont changé. Tant mieux si nous pouvons poursuivre notre route à vos côtés, mais là encore je le crois, s'il nous faut se séparer de vous pour nous sentir à l'aise, c'est sans hésiter longtemps que nous le ferons. Donc oui, nous devenons égoïstes, mais tout le monde l'est égoïste, à commencer par vous et vos souhaits, vous qui aimeriez que nous allions dans votre sens, vous qui avez du mal, voire ne supportez pas que nous ne soyons plus les mêmes, que nos priorités, nos désirs, nos souhaits aient changé. Oui, vous aussi ne pensez qu'à vous dans cette histoire, pas moins que nous. La seule différence peut-être est que nous, les malades, devenons moins enclin aux compromis, moins enclin à faire des efforts que nous faisions auparavant mais qui, du fait de notre changement de perception de l'existence, de l'essentiel et du futile, nous amènent à ne plus vouloir les faire, peu importe ce que vous en pensez, et nous ne chercherons pas forcément à vous expliquer les pourquoi de la chose, car nous savons pertinemment qu'en s'adressant à vous, c'est quelque part  s'adresser au vide, car comment pourriez-vous comprendre notre expérience, le traumatisme, car c'en est un, qu'est de se savoir porteur, porteuse de cette maladie mortelle, une maladie qui tue des millions de personnes chaque année, une maladie face à laquelle la médecine fait du mieux qu'elle peut, nous le savons, mais une médecine qui a ses limites, cela aussi nous le savons. Enfin, et cela est souvent invisible à vos yeux, mais il y a également tous les changements physiques qu'engendre cette maladie, ses traitements, ses soins, ses effets secondaires qui sont parfois bien plus terrible à encaisser que les soins eux-mêmes. Nous n'avons plus le même corps, cela aussi est un choc pour nous, un autre choc à digérer, à avaler.

Donc oui nous devenons égoïstes, surtout au début, plus égoïstes que nous ne l'étions naguère. C'est à notre santé, avant toute chose, que nous pensons, focalisons, tout le reste est subalterne, y compris nos relations avec autrui. Ce n'est qu'une fois que nous avons moins peur, que nous avons commencé à nous familiariser avec notre maladie et tout ce qu'elle engendre, que nous avons pris conscience qu'elle peut se manifester à nouveau sans en être surpris pour autant, que là, et seulement là, nous pouvons de nouveau nous oublier un petit peu, cesser de penser à notre état du matin au soir, 24h/24, 7jous/7, et enfin prendre du temps pour vous, être véritablement avec vous. Mais cela prend du temps, ce n'est pas en trois ou quatre mois que nous pouvons arriver à ce stade. Une année n'est pas de trop je pense, voire plus, pour que nous acceptions notre sort. Pendant ce temps-là, vous qui désirez rester à nos côtés, vous n'avez pas tellement le choix. En cela votre place est donc parfois très difficile, car vous n'avez pas d'autres possibilités que d'accepter qui nous devenons, avec nos humeurs variables, nos silences, nos coups de gueule, le délaissement dans lequel certain d'entre nous se laisse aller, le refus de se soigner pour d'autres, continuer à fumer alors que l'on a un cancer du poumon, etc. Oui, que vous pleuriez, hurlez ou vous taisiez, rien ne nous fera dévier du chemin que nous désirons prendre, tout au moins au début de notre maladie, tant que nous ne l'avons pas entièrement assimiler. Comme dans notre esprit c'est notre santé qui prime avant tout, alors oui, les relations humaines passent au second plan, voire au troisième plan. Quelque part, peu importe que vous soyez là ou non, l'essentiel n'est plus là à cette heure, tant que nous ne sommes pas soigné et un peu sorti d'affaire. L'essentiel pour nous est de rester vivant, même si cela signifie rester seul face à son miroir.

2 commentaires:

  1. Je n'aime pas beaucoup parler de moi mais vous m'avez demandé deux questions précises:
    1) J'ai 67 ans, mariée depuis 43 ans au même homme que j'aime profondément; savoir qu'il pourrait disparaître avant moi me rend folle mais j'essaie de ne pas trop y penser; il est là, en bonne santé, c'est le principal
    2) J'ai été opérée voilà bientôt quatre ans d'un cancer du sein; mais dès le début j'ai décidé de me battre pour mon mari, pour mes trois enfants et mes 4 petites filles; 3 petits fils se sont ajoutés depuis
    Certes, moi aussi je vis dans un monde différent que mon monde d'avant. Il y a des choses que je ne prends plus très au sérieux; mes rapports avec les autres ont évolué, je n'ai pas de temps à perdre avec les mesquineries; je laisse de côté les gens qui m'emm...
    Mais je ne suis pas indifférente aux miens; je sais, à quel point, ils ont tous soufferts de ma maladie.
    Je crois encore que le monde peut être meilleur grâce à nous, même si mes enfants me disent que le monde n'est pas un monde de "bisounours"
    Je fais mienne cette phrase de M Luther King: " la haine obscurcit la vie, l'amour la rend lumineuse" Certes, il y a bien des choses qui révoltent dans cette société. Mais l'amour des miens est un grand bonheur.
    Et une petit qui vous tend les bras ou un autre petit qui vous disent " je t'aime Mamy" justifient tous les combats
    J'ai mis un petit mot à Cynthia; j'admire cette jeune femme comme j'admire Virginie. Elles sont vraiment des "aidant(e)s" comme vous le soulignez.
    Je vais, comme disait Voltaire, aller cultiver mon jardin au sens propre, profitant d'un beau soleil
    Je pense à vous, à Cynthia, à la petite LIla, à Virginie, à tous ceux qui souffrent
    J'aimerai pouvoir vous aider, vous serrer dans mes bras de Mamy; la vie apportera encore à tous son lot de joies et de chagrins et c'est cela, la vie
    Je vous embrasse très affectueusement
    Mamy

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  2. Bonjour Mamy et désolé de vous répondre si tardivement, mais hier j'étais pour ainsi dire KO.

    43 année de couple, chapeau ! Vous battez le record de mes beaux-parents qui ont 40 années de vie commune. Bien entendu je vais vous faire rire en parlant de mon couple, mais cela va faire quand même 7 ans que je suis avec Cynthia et, si la maladie n'est pas trop méchante avec moi, dans un an j'aurai battu mon record de longévité en couple. Et oui, les couples d'aujourd'hui ne ressemblent plus beaucoup à ceux d'hier, ceux de votre génération. Nous sommes moins enclin à faire des efforts, des concessions, des compromis, avec notre "partenaire", ce qui explique à mon avis qu'il y ait autant de famille recomposée ou mono-parental.

    J'apprends donc que vous avez eu un cancer du sein. Ma grand-mère et tante maternelle ont eu également ce cancer. Toutes deux ont subi l'ablation du sein, mais malheureusement cela n'a pas suffit à les sauver. Il faut dire qu'à l'époque, il y a plus de 20 ans, la médecine en la matière n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui. Et depuis ces quatre ans, date de votre opération, qu'en est-il? Plus de manifestation cancéreuse? En tous cas je le souhaite, car si tel est le cas on dira de vous que vous êtes en rémission l'année prochaine, ce qui serait une très bonne nouvelle.

    Par contre je pense à votre problème d’excès de fer dans le corps. D'après ce que j'ai lu, c'est loin d'être bénin et, si j'ai bien compris, dès lors que des organes sont touchés, cela ne se guéris pas et peut même entrainer le décès. Est-ce bien ça?

    Concernant ma perception du monde, des autres, plus ça va et plus je deviens comme vous, une parfaite réplique qui ne veut plus perdre son temps avec la mesquinerie, la bassesse ou tout autre forme de comportement aussi vil. Par contre, je ne sais plus ce que je prend encore réellement au sérieux, hormis l'avenir de ma fille et le présent de Cynthia. Pourtant on ne peut pas tout balayer d'un revers de main, mais parfois c'est ce que j'ai l'impression de faire.

    Cependant, comme vous, je pense que l'amour peut rendre une vie lumineuse. Tout le problème est d'être dans un contexte propice à cela, familiale pour commencer. Même si je suis persuadé que l'immense majorité des parents aiment leurs enfants, ce n'est pas pour autant qu'ils les aiment "bien", d'une façon qui soit épanouissante pour leur progéniture. Ceci explique peut-être que nous ayons depuis quelques décennies des générations de désillusionnés, d'enfants mal dans leur peau, des jeunes qui se droguent de plus en plus, avec des drogues légal tel que l'alcool ou d'autres. Oui, il n'est pas simple dans le comportement, dans le dialogue, dans l'échange, d'aimer quelqu'un. Du coup j'en reviens à la longévité de votre couple qui prouve que, de part et d'autre, vous avez trouvez le truc.

    Je vous embrasse bien fort, vous souhaite bonne santé, pas trop de fatigue, et vous dis à bientôt.

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