mercredi 17 juin 2015

Bilan provisoire

17juin 2015


Est-ce que ce matin je vais mieux qu'hier ? Il est 7h30, je me suis levé vers 6h00 et, ma foi, j'ai enfin passé une nuit complète. Cependant le réveil n'a pas été fameux, j'avais dans la tête je ne sais quelle fin de rêve où il était question d'horaire qui me stressait. Néanmoins, histoire d'essayer de bien commencer cette nouvelle journée, je me suis efforcé à me dire que ce n'était qu'un rêve, donc rien de tangible, et que je n'avais donc aucune raison de me sentir stressé. Cet auto-conditionnement a marché et, depuis, je ne suis plus que dans l'expectative de moi-même, de mes humeurs, appréhendant de retrouver celles d'hier. Donc ce matin j'ai pris le parti de changer de décors, de ne pas aller m'asseoir dans l'un des cafés de la place Sainte-Anne, mais de m'installer quelque part dans le quartier « république ». A cette heure, dans ce quartier, je n'ai pas le choix, un seul café est ouvert et, en ce moment même, je bois mon double express en me demandant comment va se passer cette journée dans ma tête. Déjà, écrire me fait du bien. Cela m'aide à me vider, même si je ne sais ce que je vide exactement, sinon des humeurs et encore des humeurs. Même si mon esprit n'est pas complètement alerte, une fois de plus, il va déjà mieux qu'hier, je suis un peu moins dans le gaz, dans les choux. Alors, depuis mon levé, j'essaye de faire le tour de tout ce qui pourrait jouer sur mon humeur. J'avais donc déjà envisagé la baisse de la cortisone, mais je ne pense pas que ce soit la raison fondamentale de mon état des derniers jours. Oui, je crois que mon cœur qui a récupéré toutes ses facultés, le fait que je ne sois plus fatigué, que je respire et souffle à nouveau comme avant, joue plus sur mon moral, même si je ne comprends pas bien pourquoi. Enfin, il y a ma dernière métastase, la numéro 4. Elle est située dans l'aire qui contrôle ma zone visuelle et, en conséquence, je ne pense pas que son emplacement ait un quelconque effet sur mon humeur. Par contre, inconsciemment, peut-être que le fait d'avoir une nouvelle métastase me travaille plus que je ne le pensais. Alors dans quel sens ? Où sont mes doutes ou mes peurs ? Quels sont-ils ? A part faire le constat que cela ne s’arrête pas, que je fabrique métastase sur métastase, qu'il arrivera bien un jour où, en trop grand nombre, elle endommageront très sérieusement mon cerveau, faisant de ce dernier, et donc de moi-même, quelqu'un qui ne se reconnaîtra peut-être même plus, que puis-je me dire de plus à ce sujet ? Quant aux traitements, de toute les façons je n'ai pas le choix, je ne peux qu'avaliser ce que la médecine me propose puisque je ne suis pas compétent en la matière. Mais assez parlé de ça, de mon cancer, car en l'état je n'en vois vraiment pas l’utilité.

Ce matin il fait bon. Pour une fois, il n'y a pas trop de vent et il m'est donc agréable d'être en terrasse à cette heure, ce qui n'est pas le cas habituellement à un moment aussi matinal. Autour de moi je vois la vie rennaise commencer à prendre forme. Les écoliers commencent à se rendre dans leur collège ou lycée, les travailleurs pressent le pas vers les transports en communs, certains d'entre eux s'arrêtent là où je suis pour prendre rapidement un petit café et repartent sitôt fait, aussi vite qu'ils sont venus, d'autres encore font faire à leur chien la petite balade du matin, bref, c'est également une nouvelle journée pour ce beau petit monde.

A présent il est 15h30 et je ne suis pas resté toute la matinée éveillé. Comme hier, j'ai été brusquement pris d'une intense envie de dormir, suis donc rentré à la maison, me suis allongé dans le canapé pour ne me réveiller que vers 14h00, à cause des travaux que l'on fait dans la cour intérieure de mon immeuble, du bruit des perceuses qui dépècent tout le sol. Bref, ce bruit continu m'est insupportable et, rapidement, je suis donc sorti. A présent je suis dans le quartier Saint-Anne, à l'ombre, car au soleil il fait déjà trop chaud pour moi et le soleil tape bien. Alors que je me rendais au métro, mon meilleur ami, Tony, m'a appelé pour prendre de mes nouvelles. Je l'entendais s'énerver tout seul au sujet de ma nouvelle métastase, se demandant quant est-ce que tout ça allait s'arrêter, pestant contre cette maladie, pestant parce qu'elle ne m'avait laissé aucun réel répit depuis sa manifestation. J'ai trouvé son agacement et son souhait que j'aille bien sympathique, presque touchant, mais comme j'ai une toute autre vision de mon cancer, m'étant fait une raison qu'il ne me foutra jamais la paix, que toujours il y aura quelque chose de nouveau, plus ou moins régulièrement, plus ou moins fréquemment, je lui ai répondu en relativisant tout cela. Oui, comme je le lui ai dit, je ne souffrais pas physiquement et c'était là l'essentiel. Pour le reste, il faut faire avec, il n'y a pas le choix, et autant en prendre son parti, cela évite les regrets, les remords, la colère ou une déprime trop grande. Cela ne m'empêche pas d'avoir des coups de blues, comme en ce moment par exemple, mais ils sont amplement gérable et, au pire, si vraiment il le faut, je n'hésiterai pas à abuser des calmants une fois de plus.

Je pense également à mon couple, à ce que nous faisons ensemble ou non, et je constate qu'au final rien n'a véritablement changé. Auparavant nous nous voyions peu parce que Cynthia était complètement plongée et partagée entre ses cours à la fac et son métier de professeur. Du coup nous nous croisions le plus souvent. Mais depuis un petit mois, ses cours en fac ont cessé et, depuis cette semaine, elle est en vacance, les cours au lycée étant finis. Nous voyons-nous plus pour autant ? Enfin de compte, pas tant que ça. Effectivement, ne supportant pas de rester enfermé dans notre domicile, appartement qui a un effet soporifique sur moi, où je m’ennuie, n'ayant rien envie d'y faire, et préférant nettement être dehors, au grand air, quelque soit le climat, le temps, il faut donc que je sorte. Elle, ce n'est pas cela du tout. Elle est très bien à la maison, a de quoi s'occuper, et les après-midi au café ne sont pas forcément son truc. Du coup nous nous croisons parfois le matin, au réveil, juste avant que je ne parte m'enfuir dehors, et le soir, sans heure fixe, lorsque je rentre enfin chez nous. En conséquence nous ne déjeunons et ne dînons pratiquement plus ensemble, chacun dans son rythme, dans sa petite vie et, pour l'instant, il n'est que le samedi que nous sommes ensemble, lorsque je l'accompagne à ses cours d'équitations et qu'après nous allons prendre un verre. Elle me dit qu'elle ne sort pas plus que ça avec moi, au café s'entend, car elle a le sentiment que sa présence ne m'apporte rien, que je suis de toute les façon dans mon monde, un monde où, toujours selon elle si je la comprends bien, elle n'aurait pas de place. Donc, je le suppose, elle se sent inutile. Si c'est ainsi qu'elle se vit à mes côtés, alors c'est bien triste, car pour moi il est clair que selon qu'elle soit ou non à mes côtés change toute la donne. Déjà mon humeur, instantanément, n'est plus la même. Il est vrai que parfois ce peut être pire, que si je suis mal à l'aise, sa présence peut amplifier ce malaise parce que je désirerai qu'elle ne le voit pas, afin qu'elle ne s'inquiète pas, ne me pose pas de questions auxquelles, bien souvent, je n'ai pas les réponses. Mais si je suis d'humeur agréable, satisfaisante, pas trop ronchon, pas trop grognon, alors je le sens en moi, sa présence rend l'instant, le moment, encore plus agréable. Bien sûr, comme elle n'est pas en moi, dans mon cœur, dans mon esprit, dans mes humeurs, elle ne peut savoir tout cela. Alors, peut-être maladroitement, j'essaye de lui expliquer, mais là encore, il est bien difficile de trouver les mots adéquates pour lui signifier son importance vis-à-vis de mon moral, et peu importe dans quel état il est.

Actuellement nous commençons à préparer notre déménagement pour Besançon. Quand je dis nous, je ment, car moi je ne m'en occupe pas. Je ne me sens pas la force ni la motivation de le faire. Effectivement, j'étais très bien à Rennes et y serai bien resté si cela avait été possible. C'est donc Cynthia qui s'occupe seule du déménagement, demandant des devis à droite et à gauche, attendant son affectation définitive pour savoir dans quelle ville exactement elle exercera, Besançon-même ou ailleurs, et après ce sera la longue recherche de notre nouveau logement, peut-être trouvera-t-elle une maison avec jardin, sait-on jamais.

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