lundi 8 juin 2015

Nous sommes lundi...

8 juin 2015


Nous sommes lundi, premier jour de la semaine, nous qui avons inventé lé temps, le calendrier, découpé en mil morceaux le courant de notre vie, comme si un jour, une minute, un moment pouvait être enfermé dans un tiroir ou je ne sais quelle commode du salon. Oui, nous sommes fort pour décortiquer, je dois l'avouer, même si toutes ces décortications, dans le fond, ne me semble servir à rien. Freud, Jung, Lacan, Dolto et beaucoup d'autres ont tenté de décortiquer, déchiffrer notre psyché, afin que nous puissions mieux nous comprendre. Le résultat est-il salutaire ? Nous comprenons-nous réellement mieux ? Je crois plutôt que nous nous pensons d'une autre manière, c'est tout, mais cette nouvelle approche de nous-même, selon les préceptes des psys d'hier et d'aujourd'hui, je le crains, est tout aussi erronée que celle d'avant la révolution psychologique, à l'époque ou Charcot, sous les yeux subjugués de Freud, hypnotisait des femmes hystériques. Charcot, ce précurseur, pensait que l'on pouvait guérir la maladie mentale. Mon point de vue est que si l'on est malade mentalement, il n'y a pas de guérison possible. Je ne pense pas qu'un être déréglé puisse par un tour de passe-passe, y compris la prise de médicaments, devenir ce que l'on appelle une personne « saine », bien portante psychologiquement. Même si je conteste la véracité de toutes les théories psy, ou presque, je m'en sert néanmoins, non pour juger de l'autre, mais pour savoir dans quelle case le ranger dans ma tête, des cases totalement subjectives, qui ne reposent sur rien de tangible, mais qui m'aide à m'y retrouver, à me repérer, à savoir quel attitude prendre face à tel interlocuteur, quoi dire ou ne pas dire à telle interlocutrice. Tout ceci n'est qu'aléas dont les résultats ne sont jamais garanties, c'est clair, mais cette classification que je fais me permet, dans une certaine mesure, de faire peut-être un peu moins d'erreur, de commettre un peu moins de bévue et de me faire croire à moi-même que je connais l'autre, au moins un petit peu. Bien entendu, je suis complètement dans l'erreur, car personne ne peut connaître l'autre dans son entier, c'est mission impossible. Mais encore une fois, parce que nous sommes des êtres qui ne savons que décortiquer, y compris l'espoir ou le doute, nous pensons parvenir à saisir quelques parcelles de la personne qui se trouve face à nous, qu'il s'agisse de notre propre enfant ou de n'importe qui d'autre.

Ce matin, j'ai donc fait ma prise de sang hebdomadaire, celle qui consiste à me dire où en est mon cœur. Demain matin c'est mon psy que je verrai et, mercredi matin, ce sera mon radiothérapeute. Le début de cette semaine sera donc médical, tout ce que j'aime, mais je dois avouer que cela ne me déplaît pas non plus. Vous expliquer cela serait bien difficile et l'explication certainement très tordue. Oui, lorsque tout va bien, comme en ce moment, et que médicalement c'est le calme plat, hormis les médicaments que je prends, je me sens donc comme un touriste, un absent de ce monde quelque part, quelqu'un qui le contemple, le regarde, parfois le dévisage, mais qui n'y participe pas. Par contre, dès lors qu'il y a des examens ou des soins à faire, des médecins à rencontrer, alors cela me ramène sur terre, là où il n'y a pas de vacance, là où j'habite, c'est à dire dans ma maladie ou, en tout cas, avec elle. Mamy m'écrivait que je pensais moins à la mort, moins au cancer. S'il est vrai que je pense beaucoup moins à mon cancer et donc à son avenir, son évolution, la mienne par ricochet, je pense cependant chaque jour à la mort, à la fin, qu'elle soit la mienne ou celle des autres. J'y pense comme l'on regarde le ciel chaque matin pour voir le temps qu'il fait, se couvrir ou se découvrir en conséquence, parfois en sourire ou pester. Oui, la mort me paraît être le seul sujet digne d'intérêt, mais malheureusement il n'y a pas grand chose à en dire puisque nous ne savons pas ce que c'est, ce qu'elle est. Non, nous, ce que nous connaissons, c'est la vie, uniquement cela, y compris la fin de vie, mais même dans un état lamentable, à l'agonie, c'est encore de la vie que nous constatons. De même, face à un cadavre, ce que nous voyons de lui est encore de la vie. Ce sont toutes les parties de son corps, les cellules qui les composent, qui ne sont pas encore mortes. Oui, même si l'individu n'est plus, sa conscience, son âme, appelez cela comme vous le voulez, ne sont plus de ce monde, des pans entiers de son corps continuent à vivre. Sa mort, sa véritable mort, ne sera que lorsqu'il sera entièrement devenu poussière. Donc oui, le seul sujet essentiel est une énigme dont on ne peut débattre. C'est chacun son avis, chacun son point de vue sur la question et même les réponses semblant farfelues peuvent s'avérer vraie à l'usage, usage dont nous n'aurons connaissance qu'une fois mort à notre tour. Oui, la mort n'a plus rien de sacré dans mes yeux, pas plus que la vie d'ailleurs, et j'en parle, j'y pense comme je parlerai de la pluie et du beau temps, sans affect, sans état d'âme, à se demander si je la conçois encore.

Il est maintenant 11h00, Rennes commence à s'agiter, en tout cas dans le quartier Saint-Anne, signe que je ne vais pas tarder à bouger, peut-être pour aller trouver un endroit plus calme, peut-être pour rentrer et voir un peu Cynthia qui, cet après-midi, ne travaille pas.

Je repense à la vie, à la mort, à vous, à Cioran, regarde l’environnement dans lequel je suis et, une fois de plus, j'ai l'impression de vivre un rêve, quelque chose d'absolument immatériel, d'impalpable, si impalpable que cela me donne l'impression que rien n'existe réellement, que tout ça n'est que construction de mon cerveau, bien malgré moi, malgré ma réflexion ou je ne sais quoi d'autre qui me ferait penser que je dirige quoi que ce soit de ma personne. Oui, contrairement aux mouches, je vois des couleurs qu'elles ne peuvent voir et, à contrario, du fait de la forme de leurs yeux, elles voient des formes que je suis incapable d’appréhender. Tout cela se passe dans le cerveau, la nature nous a écrit ainsi, nous destinant à certaines choses, uniquement certaines, faisant fi de tout le reste.

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