vendredi 26 juin 2015

Cioran, « Ébauches de vertige » VIII

26 juin 2015


« Signe irrécusable d'inaccomplissement spirituel : toute réaction passionnée au blâme, et ce pincement au cœur à l'instant même où nous sommes visés d'une façon ou d'une autre. C'est le cri du vieil Adam en chacun de nous et qui prouve que nous n'avons pas encore vaincu nos origines. Aussi longtemps qu'on n'aspire pas à être méprisé, on est comme les autres, comme ceux que l'on méprise justement. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Donc prétentieux, pensant que nous sommes supérieur à celui que l'on méprise, que notre destin, notre trajectoire, même si elle moins brillante que celle de ce dernier, est néanmoins plus digne. Oui, nous pensons tous mériter le respect, mais nous n'hésitons pas à écarter d'un revers de main ceux et celles que nous méprisons. Comme nous sommes très fort dans l'exercice de la mauvaise foi, nous n'aurons nul mal à trouver tous les arguments nécessaire à cette discrimination qui, bien souvent, nous plonge dans une extase malsaine. Oui, traîner dans la boue celui que l'on méprise est l'un des sombres jeux préféré de l'humain et, cela, dès l'enfance. Pour ma part, j'ai mis longtemps a accepter que l'on ne m'aime pas, que je puisse être inintéressant pour certains et certaines. Cela m'a pris plus de trente ans, trente années perdue à vouloir systématiquement me venger de qui m'ignorait ou me méprisait. Pour le plus grand bonheur de ma virilité, de ma conception délirante de cette dernière, pas un, pas une n'est resté impuni. Je me vengeai et m'en délectais, entretenant ainsi mon ego dans un couloir à sens unique, ne menant nul part, sinon à aller encore plus loin vers le pire. Oui, c'est bien souvent la peur qui incitait les autres à me respecter, à tout faire pour ne pas me contrarier, époque amplement révolue aujourd'hui, mais époque qui a quand même été. Aujourd'hui, face au blâme ou à la critique de ma personne, je réagis toujours, c'est instinctif, mais rapidement, dans un second temps, je passe tout cela à la trappe, ne m'y intéresse plus et, ce, plus encore depuis que j'ai ma maladie. Est-ce que j'aspire à être méprisé pour autant ? Je ne le pense pas. Par contre une chose est sûre, certaine, je ne cherche plus à être aimé, aimé comme l'on aime un ami ou un autre être cher. Est-ce que je continue à mépriser ? Ma foi, il me semble que oui, qu'il est encore des êtres que je juge inférieurs à moi, non à cause de leurs pensées, mais à cause de leurs actes.



« La conversation n'est féconde qu'entre esprits attachés à consolider leurs perplexités. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

« Réfléchir, c'est faire un constat d'impossibilité. Méditer, c'est donner à ce constat un titre de noblesse. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Et oui, dès lors que l'on entre dans la réflexion, quel qu'elle soit, si vraiment on veut se donner la peine d'aller au fond des choses, rapidement on se rend compte que c'est impossible, que quelque soit le constat où nous sommes parvenu nous pouvons encore aller plus loin dans le questionnement, la décortication, découvrant ainsi qu'il est impossible d'accoucher une bonne fois pour toute de quelque vérité qui soit. C'est pour cette raison que les philosophes écrivent des livres et des livres. Au début il parte d'une question, une seule, et tout le reste de leur vie n'est que tentative d'y apposer une réponse, un point final. La méditation, dans ce contexte, n'est qu'une réflexion silencieuse, soi avec soi-même, avec son interrogation, la maturation de ses réponses, puis les nouvelles questions qu'elles engendrent.



« Tout projet est une forme camouflée d'esclavage. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Qui a un projet souhaite que ce dernier se réalise. A partir de là, il ne peut que devenir esclave de son désir, de son souhait, car tout ce qu'il entreprendra, qu'il échoue ou non, sera fait pour aller dans le sens de la réalisation de son projet. Mais qu'est-ce qu'un projet, sinon une projection, une projection dans le futur, dans ce moment dont nous ne savons même pas si nous le connaîtrons, la mort nous fauchant peut-être avant. Il est bien hasardeux de se projeter ou de projeter quoi que ce soit, de se faire Nostradamus. Cependant, parce que la nature nous a ainsi conçu, parce que notre cerveau fonctionne comme il fonctionne, nous ne pouvons avancer qu'en nous projetant, même si c'est le pire qui est envisagé. Ainsi, même du pire, celui qui nous fait du mal, nous pouvons en devenir l'esclave, entretenant volontairement ou non telle vision pénible de la chose ou de l'état. C'est ainsi que démarre bien des dépressions ou, au contraire, des exultations à l’excès. Oui, notre état mental dépend entièrement de nos projections, de nos projets, de l'importance que nous donnons ou non à la réalisation de ces derniers. Se sentir inutile aujourd'hui et penser qu'on le sera également demain et encore après, état dépressif par excellence, c'est s'asservir à sa projection, être esclave d'un projet, celui de n'être plus rien, de disparaître du paysage, de se faire oublier.


« La vieillesse, en définitive, n'est que la punition d'avoir vécu. »  (Cioran, « Ébauches de vertige »)

Cela concerne tout le monde, sans exception, du nouveau-né au centenaire. Tant que notre corps ne nous signifie pas clairement que nous vieillissons, nous nous croyons éternel quelque part. Mais dès le départ le vieillissement est à l’œuvre, en sous-sol, et parce que nos modestes sens ne le sentent pas, ne l'éprouvent pas, nous n'avons pas l'impression de vivre une punition, mais une chance. Oui, bébé nous ne pouvions bouger de notre place. Puis un jour nous marchâmes à quatre patte, puis nous nous mimes debout, puis avons appris à courir, sauter, autant de facultés nouvelles que nous étions enthousiastes de posséder. Cependant, parallèlement, le temps œuvrant, passant, allant, notre vieillissement se poursuivait inexorablement. La maladie, le handicap soudain, n'est qu'une accélération du vieillissement. C'est seulement alors que nous réalisons qu'il n'est rien d'éternel dans notre corps, que ce dernier poursuit sa route indépendamment de notre volonté, de notre souhait. De même, si nous pouvons retarder l'heure de notre mort grâce à la médecine, nous ne pouvons rien faire contre le vieillissement qui, lui, va à son rythme, selon chacun, imperturbable. Peut-être qu'un jour connaîtrons-nous une nouvelle révolution médicale qui permettra d'enrayer le phénomène de  vieillissement.

D'aucuns, dans cette définition de la vie selon Cioran, n'apprécieront pas qu'il emploi le terme de « punition ». Je comprends ceux-là, parfaitement même, car cette définition ne peut parler qu'à des personnes qui ont le sentiment, à tort ou raison, que la majorité de leur vie, voire toute leur vie, n'est qu'une espèce d'échec. Ainsi, il est clair qu'au moment de faire le bilan, si vous êtes satisfait de ce que vous avez vécu, au moins dans l'ensemble, la vie ne peut être une punition. Certains, les croyants par exemple, vous diront même que c'est une chance. Pour ma part, je ne sais trop où est la vérité dans tous ces sens que l'on peut donner au mot « vie ». Là encore, chacun regarde à sa porte, fait ses constats, rédige ses deux colonnes, celle des bons moments, celle des mauvais moments, observe la courbe de la balance, puis se fait son opinion sur son existence. Mais il est impossible de faire tout ce travail sans s'interroger sur le sens de l'existence, et donc de la mort. Pour Cioran, la mort serait donc une forme de punition, car il n'a pas trouvé de sens à la vie et, sans doute, de sens à sa propre vie en conséquence.

Un jour je lirais une biographie sur cet écrivain pour connaître ce qu'a été sa vie. En l'état je ne la connais que dans les grandes lignes, mais avec plus de détails à ma portée, peut-être comprendrais-je mieux l'homme et, en conséquence, les raisons de sa forme de pensée. Oui, comme Michel Onfray, je pense que l'on ne peut pas dissocier une œuvre de la vie de son auteur, que les deux sont inextricablement liées.

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