mardi 2 juin 2015

Souhait

2 juin 2015


Que va être ma journée, vais-je déjeuner dehors, comme hier, ou rentrer chez moi, peut-être pour y faire une sieste plus tard ? En l'état, je serai tenté de dire que je m’ennuie presque, état que je n'ai pas ressenti depuis bien longtemps. Est-ce dû à la routine, à mon quotidien où chaque jour se ressemble ou presque ? Est-ce dû au bruit alentour, camions de livraison, camion poubelle, véhicules qui circulent, piétons qui commence à venir en nombre ? Oui, j'aurai préféré ce matin un peu plus de calme et, je le sais, tout à l'heure j'irai le chercher et le trouverai. Je suis donc place Saint-Anne, il est 10h00, et j'ai quitté mon psychiatre à 9h00. De quoi avons-nous discuté ? Je ne me souviens pas de tout. Je sais simplement que j'ai évoqué le cancer, la mort qui va avec, lui signifiant qu'il était impossible pour qui n'était pas concerné directement par cette maladie de comprendre l'état d'esprit et de cœur d'un cancéreux. Oui, c'est comme tomber enceinte. Comment voulez-vous que quelqu'un qui n'en est pas passé par là puisse comprendre ce qu'éprouve une femme enceinte ? Même si elle tente de s'expliquer, de mettre des mots sur ce qu'elle vit, c'est lettre morte, une expérience impartageable, sauf avec d'autres femmes qui ont vécu la même chose.

Ce matin le ciel est gris, bien couvert, presque chargé. Est-ce à dire qu'il va pleuvoir ? On peut le penser. Là, de suite, j'aimerai qu'une personne s’assoit à ma table, non pour converser, mais juste pour l'écouter parler. Oui, je n'ai pas envie de parler, mais suis prêt à entendre certaines choses, surtout ce qui peut faire souffrir une personne. Les gens qui vont bien ne m’intéresse pas, ne m'intéresse plus. Nous ne sommes pas dans la même bulle, même si personnellement je vais plutôt bien, n'est pas à me plaindre de ma condition, et peu importe le nombre de mes métastases, de leur progression. Cependant, contrairement aux gens qui vont bien, moi j'attends ma mort, peut-être même avec une certaine impatience, que tout cela finisse, mon attente, celle des autres et tout ce qu'il faut faire pour s'occuper en attendant. Si la télévision était mon truc, je passerai toutes mes journées à la regarder, nul doute à cela. Il n'y aurait ni blog, ni écriture, ni échange avec quiconque, je m'enfermerai dans mon salon, voire dans ma chambre, la télévision en face de mon lit. Peut-être que viendra ce jour, lorsque la maladie aura tellement progressé que je ne pourrai peut-être même plus sortir.

Je pense à mon couple avec Cynthia, me disant que si tous les couples pouvaient s'entendre comme nous-mêmes nous entendons, il n'y aurait plus de guerre, plus de crimes, plus d'atrocités, car chacun ayant trouvé son bonheur dans l'autre, nulle animosité ne pourrait plus l'habiter. Personne n'aurait envie d'aller voir ailleurs pour voir comment cela s'y passe tant chacun serait satisfait par ce qu'il trouve auprès de son conjoint, de sa conjointe. Malheureusement tout cela est idyllique car combien de personnes ne sont pas faites pour vivre ensemble parce que leur tempérament, leur caractère ne  sont pas fait pour s'entendre, se comprendre, s'accepter mutuellement. Donc une fois de plus je pense aux cancéreux, aux gens vraiment malades, avec des pathologies mortelles qui, s'ils sont en couple, je ne peux que souhaiter une harmonie similaire à celle qui m’unit à Cynthia. Oui, j'ai de la chance, beaucoup de chance, et chaque jour qui passe me le démontre avec évidence. Pourtant tout n'était pas donné d'avance, loin s'en faut, à commencer par notre grande différence d'âge, de conception des choses en conséquence, qui n'a pas tout facilité au départ. De même, alors que notre vie se construisait à peu près comme nous l'entendions, qu'il n'y avait plus de conflits ou de désaccords profond, la maladie est arrivée, foutant tout en l'air sur son passage, presque tout. Depuis nous reconstruisons, ou plus exactement nous construisons quelque chose de nouveau, une nouvelle forme de relation qui, pour moi en tout cas, n'a plus rien à voir avec notre relation de naguère. Ma maladie a changé Cynthia, même si je ne sais pas à quel point en profondeur. Je sais simplement que celle que j'ai face à moi aujourd'hui n'est plus du tout celle d'hier, en attente de ma pensée ou de mes actes. Non, elle prend les choses en mains à présent, à commencer par elle-même et, ce, complètement. De même, je n'ai plus l'impression d'être essentiel, voire indispensable à la confiance qu'elle peut acquérir en elle. Oui, elle est beaucoup plus sûre d'elle-même, chose qui n'était pas acquise  avant l'apparition de mon cancer. La maladie nous a changé tous les deux, c'est indéniable, même si ce n'est pas de la même façon. Comme je l'ai déjà écrit, malgré moi, tout comme je respire sans le vouloir, sans le chercher, je suis dans l'attente de ma mort, de ma fin, et me demande seulement quand elle adviendra. A tort peut-être, je pense que Cynthia l'est également. Cependant, cette même attente n'engendre pas du tout le même état d'esprit. Comme je l'ai dit, je ne projette plus rien, strictement plus rien pour ma vie personnelle, hormis de continuer à vivre en couple avec Cynthia et voir ma fille aussi souvent que possible. Par contre, Cynthia projette des choses, ce qui est très bien, ce que je veux, comme s’acheter une maison, passer son permis de conduire, avoir sa voiture, d'autres animaux, etc. Tout cela ne me parle plus du tout. Que cela advienne ou non m'indiffère au plus haut point, que je le vive ou non ne me rendra ni plus heureux ni plus malheureux. Oui, je suis dans un autre monde, un univers où les choses matérielles n'ont plus de prise sur moi. Certes, parce que je veux vivre convenablement avec Cynthia, ne pas la voir dans le besoin, et que je veux pouvoir accueillir décemment ma fille, avoir un toit, un réfrigérateur plein, de la chaleur en hivers, tout cela je m'efforce de le conserver. Mais je sais que si je venais à perdre tout cela, quel qu’en soit la raison, je ne serai pas désespéré ou en proie à je ne sais quelle déprime. Au pire j’atterrirai dans un foyer, lieu que j'ai déjà connu, et continuerai à vivre l'instant présent, à le voir défiler sous mes yeux, ne me préoccupant pas du lendemain ni d'hier, acceptant sereinement ma nouvelle condition, mon nouveau contexte de vie. Oui, même si cela m'amenait à ne plus pouvoir voir ou prendre ma fille avec moi, je crois que je le supporterai aisément maintenant, maintenant que je sais avec acuité à quel point je ne suis que de l'éphémère, indispensable à personne, strictement personne, qu'il s'agisse de Cynthia ou de ma fille. Toutes les deux se remettrons de ma disparition, elles n'auront pas le choix, pas d'autres alternatives que de faire avec, et même si cela les rend malheureuses, je compte sur leur intelligence, leur bon sens, pour tout faire afin de profiter de la vie, quitte à m'oublier, m'occulter le plus souvent possible, voire tout le temps, plutôt que de s'enfoncer dans je ne sais quelle tristesse morbide qui, de toutes les façons, ne me ramènerait pas sur terre.

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