dimanche 28 juin 2015

Cioran, "De l'inconvénient d'être né" I

28 juin 2015


Il est 21h00, toute la journée j'ai dormi, me levant vers 18h00, après m'être couché vers 5h30 du matin. Oui, ne supportant vraiment pas la chaleur, je décale mon rythme de vie, existant lorsque la nuit tombe, que la température devient enfin supportable, et disparaissant, m'évanouissant tout au long de la journée dans de profonds sommeils. Depuis tout à l'heure j'étais dans la lecture de Cioran. J'ai commencé à recopier quelques uns de ses aphorismes, fragments et autres pensées. Ils me serviront pour les prochains articles que je lui consacrerai. Il est au moins l'une de ses pensées dont je vais vous faire part de suite, tant elle me parle, tant elle dit la maladie et ce qu'elle implique, en tout cas pour moi :

« En règle générale, les hommes attendent la déception : ils savent qu'ils ne doivent pas s'impatienter, qu'elle viendra tôt ou tard, qu'elle leur accordera les délais nécessaires pour qu'ils puissent se livrer à leurs entreprises du moment. Il en va autrement du détrompé : pour lui, elle survient en même temps que l'acte ; il n'a pas besoin de la guetter, elle est présente. En s'affranchissant de la succession, il a dévoré le possible et rendu le futur superflu. « Je ne puis vous rencontrer dans votre avenir, dit-il aux autres. Nous n'avons pas un seul instant qui nous soit commun. » C'est que pour lui l'ensemble de l'avenir est déjà là.
Lorsqu'on aperçoit la fin dans le commencement, on va plus vite que le temps. L'illumination, déception foudroyante, dispense une certitude qui transforme le détrompé en délivré. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Et oui, lorsque j'ai appris la présence de mon cancer, j'ai été instantanément un détrompé. Ce fût si brutal que les premiers jours je me pensais dans un leurre, qu'il y avait erreur quelque part. La déception est donc venu en même temps que l'acte, autrement dit la nouvelle, vécue en temps réel, l'attente du pire ou du drame étant devenue néant. Oui, plus aucune consistance n'avait le futur et son lot d'aléas éventuels, les projets et l'attente, voire l'impatience, de la réalisation de ces derniers. Subitement tout était mort, je ne trouve pas d'autre terme, c'était effectivement une succession de fins dans le commencement, c'est à dire dans l'instant présent que je vivais, et aujourd'hui encore il en est ainsi. Si cette déception foudroyante, cette certitude amène une véritable forme de délivrance, cela ne veut pas dire pour autant que cela est agréable, qu'il est aisé de l'accepter, voire de la vivre. Mais quelque soit la chose ou l'être auquel je pense, lorsque je l'imagine le projette demain, ce que j'en vois est déjà sa fin à l'instant même où j'écris ces lignes. Oui, bientôt je serai à Belfort, découvrant mon nouvel appartement, mais cette idée est déjà morte à sa seule évocation, car déjà je suis dans ma fin, ma mort, ce moment où, même si je ne pourrai plus en avoir conscience, je serai enterré dans je ne sais quel cimetière, devenant aussi sûrement que le soleil se lève chaque jour un résidu de poussière qui, à son tour, s'évaporera définitivement. Oui, je ne puis plus être dans le même temps qu'une personne qui n'a pas sa vie en danger, la mort au tournant, l'assurance qu'elle ne vivra plus longtemps. Ainsi, que je pense l'avenir en terme d'instants à venir, de journée, de semaine, de mois ou, dans ma pire folie, d'années à encore vivoter, toutes ces projections ont la même longueur, tout à l'heure ne me semble pas plus proche qu'octobre prochain, je n'attends pas plus de déceptions que de joies à venir, ces émotions n'ayant plus aucun sens puisque je n'ai plus de véritables projets, plus de véritable attente, car quelque part je vis déjà ma mort et, ce, à chaque instant. Vivant ainsi mes instants, mes moments, je le sais, je suis dans la vérité, je vis dans la vérité, même si elle n'explique rien pour autant.

Cela me ramène à une autre citation de Cioran :

« Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l'oublier. La peur de la mort n'est que la projection dans l'avenir d'une peur qui remonte à notre premier instant.
Il nous répugne, c'est certain, de traiter la naissance de fléau : ne nous a-t-on pas inculqué qu'elle était le souverain bien, que le pire se situait à la fin et non au début de notre carrière ? Le mal, le vrai mal est pourtant derrière, non devant nous. C'est ce qui a échappé au Christ, c'est ce qui a saisi Bouddha : « Si trois choses n'existaient pas dans le monde, ô disciples, le Parfait n’apparaîtrait pas dans le monde... » Et, avant la vieillesse et la mort, il place le fait de naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, plus le temps passe, défile, s'échappe, plus je réalise que le pire ne se situe pas à la fin, dans l'instant suivant, quoi que me réserve cet instant, y compris la progression de la maladie. Non le pire est bien tout ce qui fut avant, car il n'est que cela, ou à partir de cela, que nous pouvons regretter, voire avoir des remords. Oui, les souvenirs, agréables ou non, sont une plaie. Le pire n'est pas le cancer ou toute autre maladie qui me tuera, car le moment de ma mort sera le seul instant de ma vie dont je n'aurai pas conscience, donc aucun regret ou remord possible. Par contre, le souvenir de l'annonce de ma maladie, le souvenir de tout ce qui s'est ensuivit depuis, physiquement et psychologiquement, est bien la source de mon infirmité actuelle. Aussi, si l'on va au bout de la logique, si l'on accepte d'être honnête avec soi-même, quitte à éprouver de la déception ou une certaine forme de colère devant l'évidence, la naissance est bien le pire des fléau, car c'est elle et elle-seule qui engendre toutes les déceptions que nous vivrons, forcément, car il n'est pas un être, un enfant, qui puisse échapper à ce sentiment. Oui, en pensant que le pire est devant nous, autrement dit notre mort à venir, nous regardons la vie à l'envers, complètement à l'envers. Sans doute est-ce pour cela que nous sommes si souvent stupides, incohérents, ayant régulièrement des raisonnements, des idées sans sens, sans fondements, mais que nous entretenons néanmoins parce qu'elles nous rassurent. Croire que parce qu'un jour nous avons compris que la vie n'avait pas de sens nous a sorti de l'état de l'enfance est un leurre. Encore une fois, tant que l'on ne vit pas dans sa chair, dans son psychisme, sa fin perpétuelle dans le commencement, l'instant présent, on reste un enfant, agissons et pensons comme nous le faisions dans la cour de récréation de l'école primaire. Entrer dans le monde adulte ne nous rends ni plus sage ni plus sensé ni plus intelligent. A chaque étape de notre évolution, que ce soit la petite enfance, l'enfance, l'adolescence, la jeunesse, etc, nous ne faisons que changer de centre d'intérêt, de jeux, mais la manière dont nous concevons la vie ne varie pas tant que cette dernière n'est pas en danger. Ainsi nous sommes prêt à croire à tout et n'importe quoi tant que nous pensons que rien ne peut être pire que la mort. C'est là notre postulat, rien qu'un postulat, malgré que nous ne savons rien du phénomène, de ce qu'est l'état de mort, alors que nous connaissons pertinemment ce qu'est l'état de vie, toutes les déconvenues qu'il génère, et c'est pourtant dans la vie que nous nous évertuons à avoir foi, que nous nous entêtons à n'y voir que du positif.

« A quel point l'humanité est en régression, rien ne le prouve mieux que l'impossibilité de trouver un seul peuple, une seule tribu, où la naissance provoque encore deuil et lamentations. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

2 commentaires:

  1. Quelle chance tu as de pouvoir te concentrer suffisamment longtemps pour écrire un texte aussi long ! Depuis mes traitements, je ne peux plus, c'est frustrant. Mais je vais mieux, je peux enfin écouter France Culture (depuis peu).

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  2. Effectivement, si tu n'arrivais même plus à écouter des émissions de radios, c'est qu'ils n'y ont pas été de main morte avec tes traitements. Pour ma part, je ne peux pas me concentrer plus d'une heure, que ce soit pour l'écriture ou la lecture et je ne peux plus regarder un film d'une seule traite. Es-tu encore en traitement?

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