samedi 6 juin 2015

De l'identité

6 juin 2015


Comme d'habitude, ou comme souvent, je suis dans l'existentiel, présent, vivant, regardant tout simplement une rue pavé, me disant qu'elle n'a pas toujours été là, qu'autrefois elle était peut-être simplement un chemin de terre, voire qu'elle n'était qu'un bout de champs, champs où trône aujourd'hui la mairie de Rennes. Je me dis également qu'un jour elle disparaîtra, tout au moins sous sa forme actuelle, qu'elle ne sera plus pavée, mais bétonnée, peut-être même sera-t-elle supprimée, détruite, afin d'élargir un peu plus la grande place de la mairie. Tout ceci pour en arriver à vous dire que je pense à l'éphémère en cet instant, à ce qui va et vient, passe et s'en va, qu'il s'agisse des piétons, des voitures, des forces de polices qui patrouillent, des immeubles qui sont là pour un temps, car aucune de nos constructions ne sont éternelles, même les pyramides d’Égypte s’effritent avec le temps, l'usure de ce dernier, sa corrosion, notre propre corps n'échappant pas à cette logique et, ce, à chaque instant.

Oui, il ne se passe pas une seconde sans que l'une de nos cellules ne meure ou naisse, il ne se passe pas une minute sans que se régénèrent des parties de notre corps tandis que d'autres, effet de l'âge, du temps encore une fois, se désagrègent. Il paraît que tous les sept ans notre corps est complètement renouvelé, que les cellules, les molécules qui faisaient qui nous étions un temps ont disparues, toutes, sans exception, et que nous sommes donc des personnes neuves, complètement neuves, au moins physiologiquement. Pourtant, chose étrange, reste les souvenirs. Où sont-ils emmagasinés dans notre corps ? Seulement dans notre cerveau ? Quelles sont ces cellules spéciales, les neurones, dont une partie ne semble pas mourir, puisque jusqu'à notre fin subsistera toujours un ou deux souvenirs. Oui, le cerveau est de nos organes celui qui m'interpelle le plus. J'ai lu des ouvrages et des ouvrages sur le sujet, vu des documentaires et des documentaires qui lui était consacré, et pourtant il reste toujours un mystère à mes yeux. A ma connaissance, il est l'organe que nous connaissons le moins bien. Aujourd'hui nous pouvons créer des cœurs artificiels, des mains, des bras, des jambes artificielles, nous pouvons même faire des greffes, qu'il s'agisse de foi ou d'autre chose, mais le cerveau, ses diverses parties, sa construction, sa logique, tout cela nous échappe complètement. Pourtant c'est bien à travers lui, avec lui, que nous nous pensons, que nous réfléchissons et vivons le monde, que nous avons conscience de nous-même et du reste. Mais ne sachant rien de lui, de son véritable fonctionnement, c'est comme si nous ne savions rien de nous-mêmes quelque part, de qui nous sommes réellement. Nos pensées, quelles qu'elles soient, ne sont pas là par hasard.Elles sont le fruit de connexions entre nos neurones, des cartes synaptiques que ces derniers forment. Oui, nos pensées ont bel et bien un support physique, c'est indéniable, et pourtant nous ne voyons pas ces dernières, quelque soit la technologie utilisée. Au mieux les spécialistes, les neurologues et leurs appareils constatent des zones qui s'activent ou non selon un exercice donné au patient, au cobaye, mais que comprennent-ils de ce qui se dit ou non dans ces zones, sur le chemin physique que parcourt le mot, le verbe, la phrase, dans tous ces circuits qui constituent la zone étudiée ?

Lorsque j'étais enfant, j'entendais dire que le cœur était l'organe le plus important. A l'époque, les greffes de cœur n'existaient pas et, lorsqu'un cœur était malade, c'était bien souvent la mort à court terme au bout du compte. Cependant, déjà à l'époque, il me semblait que le cerveau était plus important, plus vital dans ma perception de moi-même que le cœur. Oui, il me semblait évident que si je me reconnaissais et reconnaissais le reste du monde, c'était grâce à lui et que sa disparition, son dysfonctionnement, ferait que je ne pourrai plus être celui que je pensais être. Enfant, adolescent, puis jeune adulte, ma grande hantise était de devenir fou, de devenir un aliéné, de n'être plus maître de mes pensées, de devenir schizophrène, autiste ou je ne sais quoi de similaire. Sans cesse j'étais à l'écoute de mon cerveau, de mes pensées, pour me persuader que la folie ne s'emparait pas de moi. Pourquoi ais-je eu cette phobie si longtemps, je n'en sais strictement rien. Ou plutôt si, j'ai bien une piste, mais je ne sais ce qu'elle vaut. Cela remonte à mon arrivé en France, alors que j'avais quatre ou cinq ans. J'étais à la maternelle, dans la cour de récréation. Déjà à l'époque, même si jeune, j'avais déjà une idée sur qui j'étais. Dans mon esprit c'était clair, j'étais comme tout le monde, comme tous les camarades de mon âge, sans aucune différence fondamentale hormis nos centres d'intérêts. Moi j'aimais jouer au foot. Les filles préféraient faire de la corde à sauter ou jouer à la marelle. Et un jour, dans cette cour de récréation donc, un gamin de mon âge est venu vers moi. Je ne le connaissais pas, ne l'avais jamais vu auparavant, et de suite il m'agressa verbalement, me promettant de me casser la gueule parce que je n'étais qu'un sale arabe. Arabe, c'était la première fois que j'entendais ce mot. Même si je n'ai pas compris pour autant ce que signifiait ce terme, j'ai par contre compris qu'il pouvait me créer des problèmes, que mon intégrité physique pouvait en pâtir. De ce jour-là, car je crois que c'est là que tout a commencé pour moi, je n'ai cessé de me demander qui j'étais. Oui, avant cet incident je pensais être comme les autres et, après cet épisode, je dû me rendre à l'évidence, mon jugement, mon opinion de moi-même était erronée puisque l'autre me voyait autrement. A cet âge, par manque de recul, on croit vite ce que dise les autres, qu'il s'agisse des affirmations de nos parents ou de nos camarades. Nous n'avons pas la maturité nécessaire pour mettre en doute ce que l'on nous certifie, comme l'existence du père noël par exemple.

Du coup, c'est peut-être à ce moment là que j'ai commencé à douter de mes pensées, croyant qu'elles venaient de me jouer un mauvais tour et, cela, à tort évidement. Oui, même si ce fut très tard, alors que j'avais déjà plus de trente ans, j'ai bien compris que je ne devais pas trop tenir compte de l'interprétation qu'avait les autres de ma personne, qu'il fallait que je prenne de la distance avec ça. Néanmoins, pendant une trentaine d'années, je n'ai cessé de surveillé mon cerveau, mes idées, mes raisonnements, ma réflexion, à l'affût de sa moindre défaillance et, des défaillances, Dieu sait s'il y en a eu, à commencer par des épisodes dépressifs, les médicaments en conséquences et l'état d'esprit qu'ils modifient par leur action. De même, à chaque fois que je prenais de la drogue, drogue douce ou dur, je me demandais si une fois l'effet dissipé je retrouverai mon état « normal ». D'écrire tout cela, de replonger dans ces souvenirs, cette vie qui fut mienne, alors qu'en ce moment même j'éprouve l'éphémère de l'instant, la futilité du moment, de ce que j'y fait ou de ce que les autres y font, oui, cela me fait sourire. Parler d'hier est vraiment devenu parler d'un autre monde dans mon regard, parler de quelqu'un que, certes je fus, mais que je n'arrive plus à croire qu'il ait pu exister, que j'ai pu être celui-là. Parler de lui, c'est parler d'un étranger, vraiment, de quelqu'un qui est bel et bien mort, comme si je pouvais visiter, m'incliner devant sa tombe au milieu de je ne sais quel cimetière, lui rendant éventuellement un dernier hommage, à la vie qui fût la sienne, même si cette dernière n'a rien eu de glorieux.

Cioran, mon écrivain fétiche, a écrit sur ce sentiment, cette sensation que l'on éprouve des années après sur qui l'on a été, sur ce que l'on a vécu. Donc, parce j'ai décidé de relire toute son œuvre, d'y consacrer des écrits, d'y apposer mes mots aux siens, de laisser aller mon esprit là où sa pensée me mène, d'y divaguer, de m'y immerger, je porterai à la connaissance de qui le veut les extraits de ses livres qui me parlent, qu'il s'agisse d'aphorismes, de fragments ou de parcelles de sa pensée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire