mercredi 10 juin 2015

Consultation

10 juin 2015


Ce matin, c'était donc matinée hôpital, tout ce que j'aime, ses murs blancs, son sol carrelé, ses mil et un couloirs, ses panneaux d'indications, là le secrétariat, là l’accueil, là la radiographie, et évidement le temps d'attente, ce fameux temps d'attente entre l'heure de votre rendez-vous et le moment où l'on vous prend effectivement. Ce temps d'attente est à tuer, je n'ai pas d'autre terme d'autre expression pour le définir, même si pour ma part je n'ai attendu qu'une demi-heure. Le retard n'a donc pas été exceptionnellement long, mais tout de même assez pour me stresser, me tendre. J'ai donc pris un Xanax, mon calmant, histoire de faire tomber la tension. A-t-il eu le temps d'agir avant que je ne vois mon radiothérapeute ?

L'hôpital, c'est aussi ses salles d'attentes où chaque patient se regarde en chien faïence, n'ose croiser votre regard, mais se demande quand même pourquoi vous êtes là. Nous sommes tous côte à côte ou face à face, mais au final chacun est seul dans son coin, avec lui-même, son tracas, son souci, n'ayant qu'une hâte, celle de passer son examen ou sa consultation pour enfin pouvoir repartir, ressortir de cette antre aseptisée qu'est l'hôpital. Cynthia m'a accompagné. Je l'ai laissé faire sans comprendre à quoi  lui servait de venir s'emmerder toute une matinée dans ce lieu. Qui j'allai voir, elle le savait. Ce qu'ils allaient m'annoncer, elle savait aussi. Comment cela se passerait, quel type de soin me réserverait-on, là également elle le savait. De toute la matinée, du réveil vers 7h00 à 11h00, heure de notre sortie de l'hôpital, nous ne nous sommes pas adressé un mot. Pour ma part, je n'avais pas la tête à parler, à converser. Mon esprit était bloqué par une seule chose, focalisait sur un unique objectif, celui de quitter au plus tôt l'hôpital. Tout le reste m'importait peu, voire pas du tout. Oui, dans mon regard l'hôpital n'est plus du tout le signe de bonne nouvelle. Il représente la maladie, quoi qu'on en dise, que cette dernière soit guérissable ou non. Qu'il s'agisse d'examens, de consultations ou autres, c'est la maladie, la pathologie qui y est traité, tout ce qui n'est pas sain à nos yeux. Il est un lieu pour nous épurer dans la mesure du possible, rendre notre corps ou notre psyché plus pure, plus en phase avec l'idée que nous avons de ce que signifie être en bonne santé. Un esprit sain dans un corps sain, voilà la maxime si connue. Moi je ne suis plus ni l'un ni l'autre, je suis un esprit malsain dans un corps malsain, prenant ainsi à la lettre le contre-pied de ce qu'exige notre époque, notre société où l'impur, le malade, le vieux, l'handicapé, le fou, le mourant, sont cachés à nos regards. A la télé on peut tout voir, absolument tout, sauf cela. Où sont les reportages sur le quotidien d'une mère de famille comme Lila ou Catherine par exemple ? Où sont les documentaires où sont relatés le quotidien de l'entourage de tous ces malvenus, de tous ces impropres à vivre décemment, tel que Virginie, Cynthia, son père et bien d'autre ? Non, quand on parle de l'hôpital, c'est rarement pour parler des malades et de leur proches. On vous dresse la liste de tout ce qui leur manque comme personnels, matériels, etc. Ou alors on vous fera l'éloge de telle opération chirurgicale, des avancées de la médecine, on vous expliquera par A+B telle maladie, les dégâts qu'engendre telle bactérie, tel virus ou tel microbe. Mais le malade, ses proches, ils sont où dans tous le décors ?

Donc ce matin j'ai vu mon radiothérapeute, ou plus exactement un interne qui l'accompagnait et complétait sa formation. Il parlait vite, beaucoup trop vite pour que je parvienne à suivre sa conversation, comme ma mère. A deux ou trois reprise je le lui ai signalé, lui expliquant que je ne pouvait me concentrer sur un débit de parole aussi rapide, aussi dense. Mais rien n'y fit, malgré tous ses efforts, à supposer qu'il ait essayé d'en faire, son débit reprenait son cour normal une minute plus tard. Aussi, avec le souci de ne plus me prendre la tête pour rien, je cessai donc de l'écouter. Il parlait dans le vide, ne s'en rendait même pas compte, et seule Cynthia suivait sa conversation qui, de toute les façons, ne nous apprenait rien de nouveau. Ma nouvelle métastase étant petite, moins d'un centimètre, il n'y aura donc qu'une seule séance de radiothérapie, la quantité de rayon dont je serai irradié étant supérieure à celle que j'aurai eu si j'avais dû faire plusieurs séances, comme la dernière fois, il y a trois ou quatre mois. Dans la foulée de cette consultation, on m'a fait passé un scanner cérébral et on a fabriqué mon masque, un moulage de ma tête, de mon visage, masque que je porterai lors de la séance de radiothérapie, masque qui sera vissé sur la table où je serai allongé afin que ma tête ne bouge pas et que les rayons atteignent bien leur cible, la métastase numéro quatre.

Donc voilà, je me suis retrouvé ce matin dans le train-train médical, ce qui est désormais une routine pour moi, une routine peu agréable, et en ce milieu d'après-midi elle me gâche encore la journée. Oui, que cela me plaise ou non, cela interdit le rêve, interdit de s'échapper, nous ramène à notre vraie condition, celle de malade en sursis, et ce n'est pas un savoir que l'on apprécie tous les jours de connaître. L'oublie est salutaire, nul doute à cela, cela ne veut pas dire nier la réalité des  choses, y compris sa maladie, mais c'est se donner les moyens de penser à autre chose, si possible à quelque chose d'agréable, ce qui est nettement plus efficace pour le moral que n'importe quel psychiatre.

A présent j'attends mon rendez-vous pour ma prochaine IRM, car pour ma séance de radiothérapie, le radiothérapeute aura besoin d'une IRM récente, localisant et donnant la taille exacte de ma métastase, afin qu'il puisse agir au mieux. De mon côté j'attends le mois de septembre ou d'octobre, dates de mes prochains examens trimestriels, du bilan complet à faire quatre fois par an, et déjà je me demande si une cinquième métastase sera au rendez-vous ou non. Tout m'incite à le croire puisque c'est ainsi depuis deux ans, à intervalle régulier, cela s’accélérant même ces derniers temps.

Bref, tout ça fût ma matinée, mon état d'esprit d'alors, autrement dit tendu, à la limite de l'énervement tant je sentais en moi de la contrariété, celle d'être encore et toujours assujettit à ma maladie, ce cancer qui s'amuse, se reproduisant là ou là-bas. Si j'ai bien compris, ma nouvelle métastase est située dans une zone qui contrôle la vision. Le radiothérapeute m'a donc averti qu'il serait possible que j'ai des problèmes de vue, que cela pouvait faire partie des effets secondaires. Je l'ai écouté impassible, car sachant que de toute les façons il y aurait des effets secondaires, que m'importe lesquels au final ? Je n'aurai d'autre choix que de faire avec, comme d'habitude, d'en prendre mon parti, et de continuer ma vie. Oui, je me demande à présent quelle mauvaise nouvelle on pourrait m’annoncer pour me faire un peu réagir. En m'annonçant mon cancer, cette maladie mortelle, je crois que l'on ne pouvait  faire pire. Alors je me demande parfois comment je réagirai maintenant, maintenant que je vois la vie et la mort d'une toute autre façon qu'avant, si l'on m'annonçait le décès de ma fille, de Cynthia ou d'un autre proche. Est-ce que véritablement je m'écroulerai ? A priori, en l'état, je pense que non. Bien entendu ce serait un choc et pas des moindres, mais serais-je surpris, déçu, étonné que ce sort, la mort donc, survienne ? Tôt ou tard elle frappe, voilà ce que j'ai bien compris, et peu importe l'âge de la personne concernée. Elle fait partie de la vie, aussi sûrement que je respire, même si nous ne connaissons rien sur son état, sur ce que signifie réellement la mort. Est-elle un autre monde, une autre forme d'existence ? Est-elle vraiment la fin de tout, tel un néant que la vie aurait interrompue un temps, presque par hasard, par accident ? Est-elle l'état initial auquel nous n'aurions jamais dû échapper ? Ce serait dire que nous retournons à notre source alors, à notre véritable origine. Mais alors, qu'est-ce que le néant exactement ? Est-ce le rien, le vide ? Mais s'il est çà, comment expliquer que nous soyons là, ainsi que l'univers, ses étoiles et ses comètes. Tout cela n'est pas du vide et est bien contenu dans quelque chose, non ? Cette chose ne peut être le rien, c'est impossible, illogique au possible. Et pourtant tout disparaît tôt ou tard et, à nos yeux, sous nos yeux, définitivement. Cela disparaît pour aller où, car comme le disait je ne sais plus quel scientifique, rien ne se perd et rien ne se crée, tout se transforme, voilà tout. A cette thèse j'adhère totalement. Pour autant elle ne m'explique pas ce qu'est l'état de mort alors qu'en contre-partie, elle nous renseigne sur ce qu'est l'état de vie.

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