mardi 9 juin 2015

Spectres

9 juin 2015


Face à moi je n'ai que des spectres. Sachant à quoi ils ressemblent et sachant que je leur ressemble, non, je n'ai plus envie de me connaître, de savoir qui je suis. Je pense à la maladie mortelle et me dit que nul ne peut connaître le sentiment de fin s'il n'est pas lui-même malade. Même la nostalgie n'est pas un sentiment de fin. Au contraire elle fait revivre le temps pourtant mort, ses personnages, son environnement. La nostalgie est une autre forme de maladie, elle est celle de ceux que le présent tourmente et que l'avenir inquiète. Alors ils se réfugient dans ce qu'ils connaissent, qu'ils ont dompter, maîtriser, y compris si cela les mènent à la morgue, là où fut déposé le cadavre de leur enfant.  Oui, la nostalgie n'est pas forcément le souvenir d'heureux événements et beaucoup se délectent de leurs déconvenues, amoureuses notamment. L'homme est un être maso, ne nous le cachons pas. Nous aimons souffrir, plus ou moins il est vrai, mais une vie sans souffrance nous apparaîtrait tiède, fade, sans sel et sans saveur, aussi plate qu'une feuille de papier errant sur un trottoir au grès du vent. Oui, seule l'adversité, ses turpitudes, l'agressivité de l'autre à notre égard, agressivité directe ou indirecte, nous fait frémir, nous donne l'impression d'exister, d'être utile, de servir à quelque chose, y compris les pleurs de nos enfants qui, chaque parent le sait, nous gonflent au plus haut point. Oui, un monde qui irait bien, où le conflit ne serait, où chacun serait d'accord sur les valeurs à partager, à mettre en œuvre, à appliquer, nous déprimerait, tôt ou tard, car génétiquement nous sommes fait pour lutter, nous battre, résister. Ce n'est là que la loi de la nature, de la vie, qui exige du vivant qu'il fasse tout pour se maintenir en vie et, dans la mesure du possible, que perdure son espèce. Ainsi la vie, la nature, nous a donné des armes, au-delà même de son espérance en ce qui concerne notre espèce, certainement, car nos armes sont si puissantes, notamment notre bêtise et notre vanité, que nous la menaçons elle-même tout autant que nous fabriquons, édifions, construisons notre auto-destruction. En la matière, la nature a fait plus que réaliser son vœux, elle s'est offerte l'arme de son suicide.

Face à moi, dans la rue piétonne où je suis installé, je vois donc les gens passé. Tous et toutes, sans exception, sont habillés. Je le suis également, histoire de ne pas dénoter dans le décors. Alors je pense à l'habit, à ce qu'il signifie, non pas au temps jadis où nos ancêtres s'en servaient pour se protéger des intempéries, mais à ce qu'il signifie depuis que les premières villes, tel Sumer, Ur, se sont construite. Effectivement, dans les peuplades africaines, amazoniennes, bref là où le climat le permet, les gens sont pour ainsi dire dévêtues, seins, fesses, voire sexe à l'air. Rien pour cacher le torse ou quelque autre partie du corps, rien pour cacher à l'autre sa nudité et, il me semble, il n'y a ni viol ni agression sexuelle dans ces peuplades, ce qui n'est pas le cas, vous le savez, dans nos société moderne où la moindre trace de début de début de nudité est presque un crime. Si dans cette rue piétonne où je me trouve je montrai mon sexe, immédiatement on appellerai la police ou des psychiatres. De la même façon, parce que nous en sommes en ville et non sur une plage, la première femme qui voudrait se faire bronzer les seins se verrait réserver le même sort. Voilà où nous a mené l'habit, tous les non-dits qu'il sous-entend, la nudité qu'il condamne et donc, derrière tout ça, le fameux problème que nous avons avec notre rapport au sexe. Car ce n'est pas la paire de fesse qui pose problème, ni la paire de sein ni le sexe de qui que ce soit. En soi ce n'est rien, que des organes parmi d'autres, pas plus important ou moins important qu'un œil, une bouche, une jambe ou un pied. Si la nudité était un véritable problème, un problème naturel j'entends, aucune peuplade se promènerait nu. De même, lorsque nous sommes en couple, nous ne pourrions accepter que notre partenaire nous vois nu et inversement. Pourtant, dans notre monde moderne, c'est cela que tous et toutes nous recherchons. Nous voulons être désiré, désirer, mais pourquoi ce souhait ? Justement pour voir et être vu nu avec l'espoir plus ou moins secret que chacun appréciera le spectacle. A ce sujet, l'histoire du voile musulman me fait doucement sourire, car si j'ai bien compris, il n'est porté par les femmes que pour ne pas soumettre les hommes à la tentation. Dois-je en conclure que les hommes musulmans ont une bien piètre volonté s'ils ne peuvent contrôler leurs pulsions sexuels ? Dois-je en conclure que l'homme occidental, en ce sens, lui est nettement supérieur ? Enfin, lorsque la femme voilée se retrouve dans l'intimité avec son mari, le délit de tentation n'existe plus ? Il s'est envolé comme par magie ? Elle peut donc paraître dans toute sa nudité sans que l'imam du coin en soit offusqué ? Je honni les religions monothéistes en grande partie à cause de leur rapport au sexe, au corps, à la morale de merde que chacune d'entre elle a édifié en conséquence. Leur manuel des rapports hommes-femmes sont de vrais merde, de la ségrégation à tous les étages, surtout envers les femmes, et les hommes, parce que toutes les religions leur donnent le pouvoir au sein de la famille, s'en accommodent donc. Oui, la religion est une doctrine de soumission, tant pour l'homme que pour la femme. Ceux et celles qui prennent les textes à la lettres, sans se poser de question, sans oser remettre en question les pré-vérités que l'on leur présente, ne valent pas mieux que les allemands qui adhérèrent au parti nazi dans les années trente. Eux aussi ne se posaient pas de question et prenaient pour argent comptant ce qu'affirmait Hitler et ses sbires. Les croyants qui ne se posent pas de question et, plus largement, toute personne qui ne remet pas en cause, au moins une fois, ce qu'elle croit savoir, fait partie de la lie de l'humanité. Ces personnes étant majoritaire, on comprend mieux l'état de notre monde après...

Sur quoi pourrais-je encore m'interroger aujourd'hui ? Sur moi est la réponse instinctive qui me vient en tête. Mais à quel sujet tant il me semble les avoir tous épuisé ? Oui, enfin de compte il ne faut pas longtemps pour faire le tour de soi-même, c'est peut-être même là ce qui nous gêne, car nous aimerions être plus que ce que nous percevons de notre personne, être aussi des choses que nous n'aurions pas découvertes, pas encore, mais qui forcément sont. Effectivement, comment accepter la plate évidence que nous sommes des êtres finis, déterminés génétiquement, se modifiant fatalement avec le temps, que ce soit physiologiquement ou psychologiquement, que nous nous savons dès notre plus jeune âge que nous sommes animés de désirs et que nous n'avons de cesse que d'essayer de les assouvir, faire des enfants y compris, que nous avons peur pour nos vies et feront tout pour la préserver, quitte à accepter l’acharnement thérapeutique, que nous ne voulons pas être rejeté mais accepté, au moins cela, à défaut d'être aimé. Oui, faire le tour de nous-mêmes est vraiment basique et très simple, il n'ai nul besoin de lire de la philosophie, de la psychologie ou de la religion pour savoir et comprendre tout cela. A partir de là, tout le reste, livres y compris, savoir y compris, n'est que luxe de l'esprit. Seuls ceux qui sont malades dans leur chair peuvent le comprendre. Eux ont bien compris que ni Socrate ni Descartes ni Onfray ne leur permettra d'échapper à leur juste condition, celui de n'être qu'un être mortel, fragile, qui aura œuvré toute sa vie pour pas grand chose au final, qui se sera fait des nœuds au cerveau pour des choses encore moins essentielles, qui se sera tracassé, défendu, attaqué, inquiété le plus souvent pour de l'insignifiant.

Puisque rien ne trouve grâce à mes yeux aujourd'hui, autant penser à Cynthia. Je pourrai écrire sur elle, nous, mais quoi écrire ? La penser, voir son visage dans mon esprit, son corps se mouvoir, suffit amplement à me combler. Oui, elle est la seule personne apaisante de ma vie, et quand je dis apaisante c'est apaisante. Elle me tranquillise,me rend plus serein, plus calme, mais pas plus détaché des êtres et des choses. Non, en cela elle ne m'aide en rien pour la simple et bonne raison qu'elle n'y peut rien, que c'est un domaine, un état d'esprit sur lequel personne n'a le contrôle, peut-être même pas moi-même. Je m détache, c'est indéniable, d'elle-aussi quelque part, même si je ne comprend pas exactement en quoi. Peut-être est-ce de notre vie passé que je me détache, tout simplement, la laissant là où nous nous en étions rendu, c'est à dire à un passé définitivement révolue. Du coup j’apprends une autre vie, en même temps qu'elle, en temps réel, quelque chose de complètement neuf pour moi, si neuf que je ne m'y suis toujours pas habitué, même si mon quotidien est pourtant fait des mêmes occupations. Je me lève, prend mon café et mes médicament, m'habille expressément et de suite sort dehors, m'attable à une terrasse de café, écrit ou lit, publie mes textes, réponds aux personnes qui m'écrivent, parfois rentre le midi pour déjeuner ou faire une sieste, mais le plus souvent reste dehors, changeant de terrasse, histoire de respirer une autre atmosphère, car chaque brasserie a une clientèle qui lui est propre, plus ou moins jeunes, et cela change toute l'ambiance et, parfois, du tout au tout. Moi, quelque part, j'ai grandi dans les cafés. Cela a commencé à l'adolescence, alors que j'avais seize ans. Au début j'y allais pour jouer au flipper et c'est autour de ces derniers que j'ai rencontré beaucoup de camarades. Puis, quelques années plus tard, toujours à Paris, le café était l'endroit incontournable pour voir ses potes, ses amis, oublier le quotidien fastidieux ou ennuyeux, rire et passer du bon temps. De même, lors de mes périodes de déprimes, de baisse de moral, fréquenter ces lieux me faisaient du bien. Oui, je pense que lorsque l'on ne va pas bien, surtout moralement, il ne faut pas rester seul, il faut se forcer, car c'est un véritable effort, à rencontrer du monde, à le côtoyer, même si c'est pour échanger des banalités. On se sent moins isolé, moins seul, moins livré à nous-mêmes le temps de ces échanges. Même le fait d'être côte à côte avec un voisin de bar ou de table, sans échanger le moindre mot, le moindre regard, peut être salutaire. Cela me rappelle l'hôpital psychiatrique où j'ai croisé un jour une femme en grave dépression. Elle ne cessait de pleurer, du matin au soir, et ne sortait jamais de sa chambre. Elle avait des visites, certainement des membres de sa famille, mais elle semblait les ignorer, ne pas vouloir les voir. A l'époque j'avais une vingtaine d'année et elle une trentaine. C'était la première fois que je voyais à quoi ressemblais une grave dépression et, ma foi, cela ne m'a interpellé plus que ça. Je me suis juste demandé qu'est-ce qui l'avait amené à plonger dans cet état. J'aurai pu essayer d'aller vers elle, mais persuader que ma présence ne changerai rien à l'affaire, je l'ai laissé dans son coin avec son chagrin. Aujourd'hui, je n'agirai plus ainsi, j'aurai été vers elle, car je pense que l'espace de ce court moment, elle s'oublierait un petit peu, au moins un petit peu, laissant ainsi de côté pour quelques secondes son malheur.

Mais revenons à Cynthia puisque c'est à elle que je pense dès que je cesse d'écrire. Oui, je ne me comprends pas. Tout à l'heure, vers 17h00 ou 18h00, elle sera rentré à la maison et moi, plutôt que d'être là afin d'être en sa compagnie, je serai certainement encore dehors. Donc d'un côté elle me manque et j'ai des remords à ne pas être présent lorsqu'elle est là, et de l'autre côté j'ai également des remords à ne pas profiter du dehors. Donc Samedi, si elle est en état de faire de l'équitation, je l'accompagnerai. J'aime la voir apprendre, j'aime également lire la peur, l'appréhension sur son visage, se demandant alors comment son cheval va se comporter, comment elle va parvenir à le maîtriser et voir tous les efforts qu'elle prends sur elle-même pour surmonter cette peur.

Je vais un peu arrêter d'écrire et me mettre à la lecture. Comme je l'ai déjà indiqué, je relis Cioran et son livre « De l'inconvénient d'être né ». Je vais y poursuivre mes annotations et verrai bien où sa pensée m'entraîne aujourd'hui...

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