lundi 15 juin 2015

Matinée

15 juin 2015


Levé vers 6h00, il est à présent 7h00, je suis déjà au café, près de la gare, car ce matin je dois faire ma dernière prise de sang, normalement, pour voir encore une fois où en est mon cœur, si tout est rentré dans l'ordre de ce côté-là. Je pense à Cynthia qui était entrain de dormir lorsque je suis parti et cette image m'est agréable dans l'esprit. Oui, lorsqu'elle dort j'aspire à ce qu'elle ne fasse ni cauchemar ni rêve, ce qui est plutôt rare, que son sommeil soit calme et serein, que son esprit soit si apaisé que son corps se détende complètement. Ainsi, elle est loin du monde, ce monde fou que nous avons fabriqué et que nous continuons à édifier, sans même savoir où nous allons, imaginant là-aussi que demain sera fidèle à nos projections, ce qui ne se peut évidement, mais nous y allons quand même, avec les mêmes méthodes qu'hier, qu'elles soient guerrières ou économiques, rapports dominants-dominés, et d'oser affirmer que c'est là le progrès. Donc, dans son sommeil, je veux imaginer Cynthia loin de tout ce fatras, loin de tout ce qui la heurte en général, à commencer par la condition que l'homme réserve à l'animal en général, qu'il soit un animal de compagnie ou non,car là-aussi il est vrai que souvent nous n'y allons pas de mains mortes, c'est le cas de le dire, ce sont régulièrement nos mains qui donnent la mort lorsqu'elles ne maltraitent pas, pour le plaisir ou par pure bêtise, telle ou telle bestiole.

Personnellement, avant de connaître Cynthia, je me foutais royalement du sort des animaux. J'habitais à Paris, il n'y en avait pas dans mon entourage, excepté une chatte chez ma sœur, et les émissions animalières n'étaient pas mon dada. Lorsque j'avais un morceau de viande dans mon assiette, je n'y voyais pas le bœuf à l'abattoir ou le poulet élevé en batterie. Non, j'étais véritablement ignorant de toutes ces choses, ne m'intéressais pas une minute à tout ce qui était en rapport avec l'industrie agro-alimentaire ou l'élevage d'animaux, me contrefichais de ce qui était contenu dans les boites, paquets, sachets que j'achetais en supermarché, bref, au bout du compte, je ne me préoccupais pas de ce que je donnais à mon corps, du bien ou du mal que je me faisais en la matière. Oui, à cette époque je me sentais n'être qu'esprit, purement esprit et intellect, mais nullement mon corps. Depuis du temps a passé, comme vous le savez la maladie est venue, et seulement maintenant, bien tardivement cependant, je réalise que je suis avant tout un corps et que si ce dernier ne fonctionne plus ou mal, alors l'esprit en pâtit et que cela s'en ressens sur l'intellect, la réflexion et la concentration. Cynthia, comme tant d'autres, est donc une madame SPA. D'ailleurs la chatte que nous avons viens de la SPA de Saint-Étienne. Cela va faire six ou sept ans que nous l'avons, qu'elle vit avec nous, et je me souviens qu'au début elle me fuyait comme la peste, se cachait dès que j'entrai dans la maison et n'allait que vers Cynthia. Elle avait alors huit ans, un vieil âge pour une chatte à adopter, mais c'est elle que Cynthia a choisi. Elle l'a appelé Mimine. Pourquoi pas ? Puis, au fur et à mesure des années qui passaient, car c'est en années et non en mois que cela s'est produit, Mimine a commencé à accepter que j'aille vers elle, à commencé également à venir vers moi et, aujourd'hui, à chaque fois que je rentre à la maison elle réclame sa caresse, son câlin. Il en aura fallu du temps, mais la confiance s'est installé, preuve s'il en fallait une, que certains animaux ne sont pas si différents de nous dans leurs comportements relationnels. Comme nous ils éprouvent au moins la peur, la crainte et la confiance. Certains, et là je pense au chiens, manifestent également ce que j’appellerai du dévouement et une espèce d'empathie totale avec leur maître, en tout cas cela y ressemble. Oui, avec Cynthia,cause d'elle directement ou non, mon regard a bien changé sur les animaux. Déjà aujourd'hui je les regarde, ce qui n'était pas le cas auparavant, mais de plus, je le sens et l'éprouve, je commence à les considérer. Deviendrais-je militant pour autant ? Ma foi, qui sait, les labyrinthes de mon esprit son parfois si tortueux que j'en arrive à prendre des décision dont je suis le premier étonné.

Ainsi donc une nouvelle journée démarre, une nouvelle semaine, une nouvelle mâtinée et, même si je connais déjà la forme qu'aura cette journée, pour autant je  'en connais pas le fond. Ecrirais-je à nouveau et si oui, quoi, sur quoi ou sur qui ? Je pense à hier soir où, avant de rentrer chez moi, j'étais en pleine lecture de Cioran, de son livre « de l'inconvénient d'être né ». Oui, cela me fait vraiment plaisir de le relire, de le redécouvrir quelque part. Il est mon écrivain, celui que je met tout en haut de ma pile, de ma liste, bien avant les romanciers, les poètes, les philosophes. Comme j'ai l'intention de rédiger des articles à partir de certains des aphorismes de cet ouvrage, je fais donc des annotations, relis plusieurs fois certaines de ses réflexions pour être sûr de les avoir bien comprises, puis tourne la page pour lire les suivantes. Non, cet écrivain ne peut laisser indifférent, c'est manifeste. On l'aime ou pas, mais il fait réagir, ne laisse pas impassible. Souvent il agace, y compris ses propres fans tel que moi, car il ne faut pas croire, il nous jette également à la gueule des messages auxquels nous ne nous attendons pas et qui, sur le coup, nous déstabilisent parce que nous sommes directement concernés, et pas forcément pour le meilleur. Oui, il est indéniable que j'ai trouvé en lui, en ses mots, ma vue des choses sur bien des points, des points de vue qu'il exprime, décrit bien mieux que je ne pourrai le faire.

Voilà, il est 9h30 à présent, ma prise de sang est faite et d'ici une heure je rejoindrai Cynthia qui a décidé, chose rare, de faire les boutiques. Pour ma part, nulle question que j'y mette les pieds et c'est donc dans un café que j'attendrai qu'elle est terminée ses emplettes. Au laboratoire d'analyse médical, bien en évidence alors qu'elle n'était pas là les précédentes fois où j'y ai été, il y avait une grande affiche pour la prévention contre l'hémochromatose, maladie pouvant être mortelle que je ne connaissais pas avant que Mamy m'en parle. Aussi, je me dis que si dans les labos ils commencent à mettre ce type d'affiche, si une campagne est lancée pour le dépistage de l'hémochromatose, c'est que cela doit toucher beaucoup plus de monde que je ne le pensais ou, bien plus grave, que les rares personnes concernées par cette maladie sont en danger important. L'hémochromatose, c'est lorsque l'on a trop de fer dans l'organisme, fer qui peut « s'attaquer » à nos organes, les détruire petit-à-petit, entraînant parfois la mort par ce biais. Comme le cancer, c'est une autre épée de Damoclès au dessus de la tête...

Cancer, ce mot qui traverse chaque jour mon esprit, dès le réveil, dès que je pense qu'il faut que je prenne mes médicaments. Je crois que je n'ai plus grand chose à dire sur lui, voire plus rien, mais le chemin a été long, presque deux ans, pour que je parvienne à prendre un peu de recul avec ma maladie, ma nouvelle condition, que j'accepte d'être celui que je suis aujourd'hui, que je ne regrette plus hier ou avant, que j'accepte totalement l'inconnu que sera mon futur, ne cherchant pas une seconde à le visualiser. Je me contente de me dire chaque jour que le lendemain je serai là, c'est tout ce qui m'importe à l'heure actuelle, et qu'il ne me sert à rien de me projeter plus loin tant que je serai toujours en soin, tant que mon cancer progressera. Est-ce à dire que j'avance en aveugle ? Ce n'est pas mon sentiment, pas du tout, car je sais pertinemment vers quoi je me dirige, ma mort tôt ou tard, et donc peu importe le chemin qui m'y mènera, lui est accessoire, presque sans intérêt au final, même si je le souhaite le plus paisible possible. Je viens également d'apprendre que mon IRM est prévue pour vendredi prochain. J'en conclu que ma séance de radiothérapie aura lieu la semaine suivante ou à la fin du mois au plus tard. Oui, les choses avancent, s'agencent malgré moi, mais cause de moi néanmoins, que je n'ai rien d'autre à faire que suivre le rythme médical pour l'instant, d'organiser mes quotidiens autour de ce dernier et, ce qui me semble le plus sage, est de m'en arranger, d'accepter encore une fois, de me résigner volontairement, sans aucune contrainte ou pression extérieure ou intérieure.

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