lundi 13 avril 2015

Psychotropes

13 avril 2015


Pour la première fois depuis bien des mois, j'ai dormi d'une seule traite cette nuit. Couché hier soir vers 21h00, je ne me suis réveillé qu'à 9h00 ce matin. Cependant, peut-être parce que j'ai trop dormi, je suis toujours un peu dans le gaz, pas bien éveillé, alors qu'il est déjà 11h00. Je suis place Sainte-Anne, le quartier est calme à cette heure, le soleil montre depuis mon réveil le bout de son nez et nul soute que cet après-midi, du fait du soleil et de la chaleur, que le quartier sera infesté de monde. Je pense au terme que je viens d'employer, « infesté », et me demande pourquoi je l'ai utilisé. Où y a-t-il infection du fait d'une foule, d'une multitude de personne qui ne cherche qu'à prendre du bon temps au soleil, oubliant ainsi la rigueur de l’hiver ? Bref, quoi qu'il en soit, je dois être chez moi tout à l'heure car mon propriétaire vient bétonner la cave. En attendant, je vais aller lire Catherine, la suite de son histoire, en espérant que son année 2014 aura été plus calme, plus sereine que son année 2013.

Il va bientôt être 16h00 et après être rentré chez moi vers 13h00, avoir mangé un paquet de gâteau en guise de repas, vidé ma cave pour que le propriétaire puisse la bétonner, fait la vaisselle qui n'attendais que moi depuis ce week-end et, enfin, ne pas m'endormir, ne pas faire de sieste, je suis donc de retour place Saint-Anne où s'est également installé un pianiste. Toutes les terrasses des cafés de la place sont noires de monde et tous avons donc le droit à un concert de piano gratuit. Auparavant, même si je n'en jouais pas très bien, le piano était mon instrument de prédilection. J'adorais son son et il est, à mon sens, l'instrument le plus complet, un instrument qui se suffit à lui-même. Chez moi, j'ai toujours mon clavier, mais il est rangé et depuis mon arrivée à Rennes je ne m'en suis pas servi une seule fois, pas plus que de mes guitares. Oui, déjà à Lyon, avant notre déménagement pour Rennes, je ne touchais presque plus mes instruments de musique. De la même façon, je n'écoute plus de musique, y compris lorsque je suis dehors avec mon ordinateur. Mon casque reste dorénavant dans ma sacoche et c'est dans le bruit ambiant que je glisse mes lignes et mes mots. Oui, depuis mon cancer, les traitements et tout le reste, quelque chose s'est cassé entre moi et la musique, quelque chose n'est plus, a disparu. Pourtant, si hier vous m'aviez demandé si je pourrai vivre sans musique, immédiatement je vous aurai répondu non. Comme quoi, je ne sais ce qui se passe dans mon cerveau, mais il s'y est passé quelque chose, changeant ainsi mon rapport à la musique, aux sons en général. Cependant j'écoute le pianiste qui chante également. Il joue des airs joyeux et je regrette que Cynthia ou ma fille ne soit pas à mes côtés pour en profiter également. Oui, sur la place il règne comme un véritable parfum d'été, de fête, et c'est agréable à vivre. Cela me change un peu de la maladie, d'y penser chaque jours, maladie qui est tellement moi que je ne me rend même plus compte que matin, midi et soir je prends des médicaments pour la gérer du mieux possible.

Les médicaments, c'est aussi une longue histoire dans mon histoire. Déjà enfant, alors que j'étais à l'école primaire, j'avais souvent des sensations de déjà-vue et lors de ces moments je ne pouvais plus parler, j'avais comme la tête qui tournait. Parfois cela se produisait quand j'étais en classe et il m'est arrivé plusieurs fois de me lever de ma chaise, comme un automate, comme guidé par une force supérieure, et de sortir de la classe, allant dehors. Le professeur m'interpellait, mais je ne pouvais lui répondre, les mots ne sortaient pas de ma bouche et il me semblait évident qu'il fallait que je sorte, que c'était écrit ainsi. Ces épisode d'absence durait en général dix bonnes minutes. Moi ou mes professeurs en parlaient à ma mère qui me conduisait alors chez notre médecin. Là, j'avais le droit à un traitement de je ne sais quoi pour un mois. Cependant, j'eus régulièrement ces moments d'absence jusqu'à mon adolescence. Après, plus jamais je ne vécu d'épisode similaire. De même, lorsque j'eus treize ou quatorze ans, ma mère décida de me faire suivre par des psychologues. Dans ma petite tête, je pensais que les psy étaient réservés aux fous. Est-ce à dire que j'avais un grain, que ma mère me prenait pour un illuminé ? Mais à cette époque, je ne crois pas que je subis de traitement médical à base de psychotropes. Lorsque j'eus quinze ans, l'école étant obligatoire, mais aucun collège ne voulant de moi, ma mère me plaça dans une espèce de clinique pour adolescent dépressifs où ces derniers, parallèlement à leur traitement, poursuivaient leurs études. C'est là que je rencontrai pour la première fois une anorexique, pathologie que je ne connaissais pas. Là encore je me suis demandé ce qui se passait dans l'esprit de ma mère, me demandait pour quoi ou pour qui elle me prenait. Là j'eus le droit à un traitement à base de psychotropes, mais cela ne dura qu'un mois, le temps pour moi de faire mes valises et de rentrer chez moi. Ensuite, entre mes seize ans et mes dix-huit ans, je dû faire deux séjours à l'hôpital Saint-Anne. Cet hôpital est exclusivement psychiatrique. Il est l'hôpital avec un grand H pour tous les fous parisiens, pour toutes les détraquées parisiennes. Là aussi jeu le droit à des psychotropes. Puis il y eut 1985, ma première incarcération alors que je venais à peine d'avoir dix-huit ans. Dans la cellule où j'étais, nous étions trois, et l'un de mes compagnons d'infortunes avait réussi à faire entrer de l'héroïne, héroïne qu'il partagea avec nous. Autant vous dire qu'après la prise de ces rails d'héroïne, la prison n'existait plus. J'étais dans un autre monde, bien à l'aise dans ma peau, appréciant avec bonheur ma condition de détenu. Mais lorsque l'effet de l'héroïne se dissipa, je ne sais ce qui se passa, mais je crus devenir fou. Dans mon cerveau, sous mon crâne, mes pensées courraient les mil kilomètres à l'heure, mon corps ne pouvait rester en place, je ne faisais que bouger, allant d'un mur à l'autre de la cellule sans pouvoir m'arrêter. C'est comme une immense crise de claustrophobie qui s'emparait de moi. J'appelai alors un surveillant afin qu'il me conduise à l'infirmerie. De ce jour jusqu'à ma sorti, trois mois plus tard, on me donna également des calmants tous les jours. Lesquelles ? Mystère. Puis entre mes dix-huit ans et mes vingt-quatre ans, moment de la mort de Michel, je dû séjourner à nouveau à l'hôpital Saint-Anne au moins six fois, pour des durées allant d'une semaine à un mois. A ma sortie de prison, n'étant pas bien dans ma peau, j'allais voir mon médecin généraliste. C'est avec lui que commença mon abonnement au psychotropes, en 1986, abonnement qui ne se termina qu'en l'an 2000. Oui, pendant quatorze ans je n'ai eu de cesse de prendre matin, midi et soir, des calmants, parfois des anti-dépresseurs, parfois des neuroleptiques. Oui, ces médicaments et moi c'est une longue histoire d'amour maudite. Lorsque je fis ma cure de désintoxication, en l'an 2000, cela me valu d'avoir dans la foulée deux crises d'épilepsies. De 1997 à 2000, j'avais entrepris une psychothérapie, sérieuse cette fois, ce qui me permit de me passer de toutes ces saloperies de médicaments en 2000. Depuis et ce, jusqu'à la découverte de mon cancer en 2013, je n'ai plus jamais revu ni un médecin, ni un psy, ni un hôpital, ni un médicament. Enfin je vivais normalement, n'avais plus besoin de cette béquille que sont les psychotropes et affrontais les épreuves de la vie, dont ma séparation avec ma fille, avec la seule force de ma volonté, de ma détermination et, ne nous le cachons pas, de ma colère. Oui, ce furent des années où j'eus beaucoup de colère en moi, essentiellement contre la mère de ma fille et tous ceux et celles qui, directement ou non, cautionne le comportement qu'elle a eu à mon égard. Et le cancer est arrivé. Au début j'ai tout fait pour éviter de reprendre des psychotropes, mais j'ai craqué en chemin. Certes, ce que je prends actuellement, les quantités, n'est en rien comparable avec ce que je prenais dans mon lointain passé, mais cependant je suis déçu car cela marque du doigt ma faiblesse morale en ce moment.

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