jeudi 23 avril 2015

Il est 6h20

26 avril 2015


Il est 6h20, je suis réveillé depuis une bonne demi-heure et, je ne sais pourquoi, je rêvais du film « Scarface », rêve qui a coupé mon sommeil. J'étais dans la scène final du film, celle où ça tire dans tous les sens, Tony Montana face au reste du monde, Tony Montana qui y laisse sa peau. Est-ce une parabole de ma condition, moi et mon cancer face au reste du monde, face à la vie, vie qui aura ma peau ? En tous cas cela y ressemble.

Dans la maison tout le monde dort, ma mère, ma fille et dehors, dans les immeubles qui jouxtent celui de ma mère, peu de lumière aux fenêtres, les gens dorment encore et le jour commence à se lever. Cependant, comme d'habitude, j'entends le ronron régulier des voitures, des motos, qui circulent sur le périphérique parisien, périphérique qui se trouve à 300 mètres du domicile, ainsi que le ronron de ces mêmes véhicules qui circulent sur la voie express, voie express qui est juste en bas de ma rue. Tout cela ne me manquera pas lorsque je serai à Rennes, je ne le sais que trop bien. Je repense à la foire du trône et me demande où j'ai trouvé la force pour y aller deux jours d'affilé. Là-bas, entre les transports, la chaleur, la foule et le bruit, c'était bien pire que le bourdonnement de voiture que j'entends, bien plus fatiguant pour ma tête, j'ai même du prendre de l'aspirine hier, sur place, tant je n'en pouvais plus du mouvement des manèges, des animateurs à leur micro, des cris de joies des enfants, des adolescents, des cris de frayeurs provenant d'attractions à sensations,  et c'est assis pratiquement toute l'après-midi à la terrasse d'une brasserie-restaurant que j'ai attendu patiemment que ma fille fasse tous ses jeux.

Sinon, plus j'y pense et plus je me dis que je vais écrire un article sur les effets secondaires de la radiothérapie cérébrale et sur le médicament « Solupred ». Ce sera une sorte d'exorcisme, histoire de sortir tout cela de ma tête, dans l'espoir que celle-ci soit moins encombrée après-coup. Est-ce que cela servira réellement à quelque chose, moi qui attend avec anxiété le résultat de mon IRM prévu en juin ? J'ai appris que dans les années 2000, toutes les personnes atteintes d'une tumeur cérébrale en mourraient. En 2004, grâce au progrès de la médecine, elles avaient sept à huit mois d'espérance de vie. Aujourd'hui, qu'en est-il ? Ils ont tué ma première métastase cérébrale, celle que j'avais en novembre 2013. Ainsi, j'ai gagné presque deux ans de vie. Mais que va-t-il en être de mes deux autres métastases, la seconde et la troisième, surtout de la seconde où l'on a constaté qu'elle ne régressait pas lors de ma dernière IRM, effectuée il y un peu plus d'un mois, et pourtant traitée en août 2014 ? Celle-là me fait peur, surtout qu'un radiothérapeute m'a dit qu'une nouvelle séance de radiothérapie ne servirait à rien à l'endroit où elle a déjà été effectuée. Mais en matière de radiothérapie, de traitement des tumeurs cérébrales, la médecine semble progresser vite. En quinze ans seulement, nous sommes passé de la mort certaine à la possible éradication de ces dernières. Qu'en sera-t-il demain ?

Il va bientôt être 9h00. Je suis sortis de chez ma mère pour me rendre au café « Les trois obus », sachant que Tony y prend son café vers 8h00, juste avant de se rendre à son travail au théâtre de Chaillot. Du fait de ma présence, il est parti plus tard que prévu car, comme d'accoutumé, nous avons discuté de choses et d'autres, dont de nos maladies respectives, de la chance que nous avions néanmoins de vivre l'instant présent car la mort peut emporter vite n'importe qui, comme des amis communs que nous avions. Cela m'a fait plaisir de le voir ainsi, dans l'état où j'étais, car depuis mon arrivée à Paris, n'étant pas trop en forme, je n'ai pu apprécier à fond les rares moments que nous avons passé ensemble. Demain midi nous devons déjeuner ensemble chez un ami, Martial, qui possède une brasserie dans le quartier des Halles. Martial est le fils du propriétaire du café « Les trois obus » et un jour cette grand brasserie lui appartiendra. C'est là que je l'ai connu alors que nous avions vingt ans. Cependant, même si nous nous entendons bien, ce n'est un ami au sens où je l'entends. C'est une bonne relation, un bon copain, mais je n'attend rien de particulier de sa part, si ce n'est de passer du bon temps en sa compagnie.

Ma fille vient de m'appeler, elle se réveille. Je ne vais donc pas tarder à la rejoindre à la maison. Peut-être irons-nous boire un verre ensemble avant le grand départ. Mais là-encore, je me demande à quoi cela servira, car qu'avons-nous à nous dire ? Dans ma tête je n'ai que ma maladie et, parce que je ne peux contrôler, voir, entendre ce qu'elle fait chez sa mère, tant sur le plan scolaire que sur tous les autres plans, je n'ai pas non plus de sujet de conversation la concernant. Oui, le fait qu'elle m'ait promené en bateau pendant trois mois ne me donne pas l'envie de lui faire promettre quoi que ce soit, de lui demander de s'engager dans quoi que ce soit, car une fois chez sa mère elle n'en fera, je  le sais désormais, qu'à sa tête. Donc parler de son avenir ne m’intéresse pas car je n'ai aucune prise sur ce dernier.

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