jeudi 2 avril 2015

De la vengeance

2 avril 2015


Demain sera l'anniversaire de ma fille, treize ans, ça pousse, ça grandit, mais la maturité n'est pas encore là, la véritable réflexion par soi-même non plus. Dans deux ou trois ans elle sera à ce stade, capable de réaliser par elle-même bien des choses qu'aujourd'hui elle ne peut comprendre que si on les lui explique. J'ai hâte d'être le 15 avril, jour où elle arrivera à Paris, jour où j'irai la chercher à la gare, jour où nous serons bras dans les bras, sourire aux lèvres. En taille, elle aura encore grandi. La dernière fois que je l'ai vu, elle avait déjà presque ma taille. Sans doute sera-t-elle plus grande que moi si sa croissance se poursuit tel quel.

Aujourd'hui j'ai encore beaucoup dormi. Couché hier soir vers 21h30, je me suis levé ce matin vers 6h30, puis me suis recouché dans le canapé du salon vers 8h00 pour ne me réveiller qu'à 13h00. En face de moi, assise dans le fauteuil, Cynthia était là, préparant les cours qu'elle va donner demain. Oui, aujourd'hui elle n'avait pas de cours de Fac, pas de cours à donner au lycée et était donc là, disponible un peu pour moi, même si au réveil je suis loin d'être une flèche. Nous avons donc déjeuner ensemble, ce qui est exceptionnel en semaine, et j'ai apprécié ce tête-à-tête. En ce moment, pendant que je suis au café entrain d'écrire, elle continue à préparer ses cours car demain elle est inspecté pendant deux heures et elle veut que le travail qu'elle effectuera avec ses élèves soit nickel. Là encore les cours porteront sur la poésie, plus précisément la poésie fragmentaire à l'image du recueil « Le tombeau d'Anatole » de Stéphane Mallarmé, un recueil qui n'est pas des plus simples à aborder et, surtout, à comprendre. Au programme, il y aura aussi Victor Hugo, « Les contemplations », recueil où il écrit sur la mort de sa fille. Oui, la mort de l'enfant est un sujet, un thème, qui parle beaucoup à Cynthia. Avant qu'elle ne se décide à devenir professeur, alors qu'elle était en Master 1 Recherche, la thématique qu'elle avait choisit pour son mémoire était de démontrer que l'écriture fragmentaire de Mallarmé dans « Le tombeau d'Anatole » était de la poésie à part entière, ce que conteste beaucoup de littéraire. Si ma mémoire est bonne, elle a lu ce livre quelque temps après la mort d'Antony, son neveu âgé de deux ans seulement, découvrant cette forme d'écriture et la puissance des mots qui se dégage de ce recueil où Mallarmé tente d'exprimer, en vain selon lui, sa douleur d'avoir perdu son fils. Effectivement, il n'est déjà pas simple de mettre des mots sur ce que l'on éprouve lorsqu'on perd son père ou sa mère, mais cela doit être bien plus complexe lorsqu'il s'agit de son enfant, tant ce sens de la mort est contraire à la logique du vivant. Comme dirait Cynthia, en pareille circonstance, vouloir écrire sur la mort de son enfant c'est vouloir nommer l'impossible. Victor Hugo y est parvenu et, à mon sens, Mallarmé aussi, même si ce dernier pensa certainement le contraire.

De parler de tout çà me fait donc penser à la logique du vivant. Qu'est-elle exactement ? Y a-t-il réellement une logique du vivant, telle une norme, une doctrine dont on ne pourrait s'écarter, ou est-ce l'aléatoire qui est le mode de fonctionnement du vivant, expliquant que des enfants meurent avant leurs parents par exemple ? Oui, pour un parent, cette situation ne doit pas être simple. Que pense-t-il des souvenirs de son enfant, que pense-t-il du temps où il fût et du temps présent où il n'est plus ? Que pense-t-il des bons ou mauvais moments passés ensemble ? Y a-t-il une ou des leçons à tirer d'une telle expérience ? Comment observe-t-on les autres parents, ceux qui ont la chance d'avoir leur enfant en vie ? Les envie-t-on ou, parce que la mort de notre enfant nous a forcément plongé dans un espèce d'état second, les regardons-nous autrement ?

Moi qui ai la mort d'un homme sur la conscience, je n'envie pas ceux et celles qui ne sont pas dans mon cas. Effectivement, cela ne ramènera pas cet homme. Par contre je suis content pour eux de ne pas avoir à éprouver tout ce que j'ai éprouvé tant cela était insupportable, parfois atroce. Je ne connais rien de plus horrible que de se sentir couler, aspiré par le fond, vers le fond,  sans même avoir la force ou simplement l'idée de se débattre tant nous sommes abasourdi. Je me souviens d'image de télévision ou, suite à un accident de la route ayant entraîné la mort d'un passager ou de l'autre automobiliste, je lisais et entendais dans le ton de leur voix le désemparement du conducteur à l'origine de l'accident. A l'époque, bien avant mon histoire avec Michel, je ne comprenais pas qu'ils prennent autant à cœur ce qui n'était qu'un accident, indépendant de leur volonté, car il est clair qu'il n'avait pas la volonté de donner la mort. Depuis la mort de Michel, je comprends toutes ces personnes, car même si nous n'avions pas la volonté de tuer, nous sommes néanmoins les responsables de ces morts. Est-ce à dire que l'on peut être responsable mais pas coupable ? La justice en a décidé ainsi dans mon cas, mais quelque part ce n'est pas logique, ce n'est pas cohérent. Bien sûr que nous nous sentons coupables, même si nous ne pouvons définir de quoi exactement, mais il est clair que c'est suite à l'un de nos actes intentionnels qu'une mort est survenue, soit parce qu'on a pris la décision de se battre, soit parce qu'on a pris la décision de conduire plus vite que de raison, etc. Bref, nous ne sommes pas étranger à cette vie qui disparaît d'un coup, comme si elle n'avait jamais existé. Nous sommes pieds et mains liés à ce fait, quelque soit l'angle sous lequel on envisage la chose, et je ne vois pas comment on peut s'en délier. Est-ce à dire pour autant que l'on ne doive plus s'aimer, que l'on doive se détester, s'en vouloir à tout jamais ? Même si c'est ainsi que je me suis traité, je ne pense pas qu'il doive en être ainsi pour tous. Je m'en suis voulu à moi-même et m'en veux encore parce que cette mort est une espèce de suite logique à tous mes errements précédents. En somme, ce n'est peut-être pas la mort de Michel en tant que tel qui m'a traumatisé, mais d'avoir subitement pris conscience de l'individu exécrable que j'étais alors et avant. Oui, je m'en veux d'avoir été cet individu et, c'est malheureux à dire, mais s'il n'y avait pas eu la mort de Michel sur mon parcours, que serais-je devenu ? Sa mort m'a d'abord mis KO, puis m'a obligé à réfléchir, à me repenser, à revoir tous mes codes et mes valeurs, à revoir mes comportements et,  surtout, mes devoirs. Effectivement, depuis mon adolescence, j'avais estimé n'avoir aucun devoir envers qui que ce soit, ce qui explique que je faisais ce que bon me semblait là où bon me semblait, et peu importe les conséquences. Ainsi, je n'avais aucun devoir à respecter l'autre ou ce qui relevait de sa propriété et seuls mes desiderata comptaient. Aussi, à force de ne pas respecter l'autre, comment s'étonner que la vengeance ne soit pas devenu un sentiment légitime en moi ? Effectivement, dès lors que seuls mes desiderata comptaient, je ne pouvais supporter tout ce qui pouvait les contrarier, je ne pouvais qu'en vouloir à ceux ou celles qui me barraient la route et n'avais qu'une envie : les contrarier à mon tour. Voilà ce qu'est l'esprit de vengeance. Certes il y a la rancune, mais il y a surtout l'ardent désir de contrarier celui ou celle qui nous a contrarier et d'élaborer des plans, des stratégies en conséquence. Donc se venger, qu'est-ce ? C'est toujours toujours faire du mal, peu importe que l'autre mérité ou non cette vengeance, c'est toujours faire du mal dans les faits. Lorsque je me suis battu avec Michel, c'est par vengeance que je l'ai fait, parce qu'auparavant, à tort ou à raison, je m'étais senti humilié par lui. La vengeance, comme le don de soi, est une habitude que l'on prend, un comportement qui devient comme une seconde nature, voire qui devient votre nature. On en veut à quelqu'un, peu importe qui, peut importe pourquoi, et par réflexe on veut se venger et, si cela est possible, on se venge. Lorsque cet état d'esprit vous habite, qu'il est vous, vous ne réfléchissez même plus, n'êtes plus capable de relativiser, de remettre les choses à leur juste place et le plus souvent votre sanction, votre vengeance, est disproportionnée par rapport au désaccord ou au différent que vous avez eu. Si la légitimité de la vengeance n'était pas devenue l'une de mes valeurs et d'agir en conséquence une de mes normes, Michel serait toujours vivant, cela est certain. Donc oui, encore aujourd'hui, je suis sidéré de constater quel genre d'abruti j'ai été, sans même m'en rendre compte, sidéré d'avoir entretenu en moi des valeurs et des normes à la con, sidéré d'être devenu un autre depuis, un autre que je surveille, que j'essaye de comprendre en temps et en heure afin d'éviter d'autres bévues.

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