lundi 6 avril 2015

Métastases et écriture

6 avril 2015


J'ai encore dormi toute la matinée, toute la nuit et, hier, toute l'après-midi. Effet secondaire de la radiothérapie ? C'est ce qui se dit, mais cela commence à devenir agaçant. Si je ne sort pas et reste chez moi, vous pouvez être sûr que je ne pourrai rester éveillé plus de trente minutes d'affilées. Aussitôt je m'assoupirai, me ré-endormirai pendant au moins deux heures, me réveillerai, prendrai un petit café et, si je ne sorts pas, rebelote. Aussi, afin de n'être pas qu'une marmotte, je prends sur moi tôt ou tard, m'habille et me force à sortir, toujours avec mon ordinateur, histoire d'avoir de quoi m'occuper. Je pense beaucoup aux effets secondaires de la radiothérapie en ce moment, des séquelles qu'ils infligent à mon cerveau. Déjà, je me suis aperçu que j'avais beaucoup moins de mémoire qu'auparavant. D'autre part, moi qui aime écrire et qui n'est pu que constater que, dans la forme, je n'écrivais plus du tout comme avant, je n'ai eu de cesse de me demander pourquoi, qu'est-ce qui avait changé ? C'est en regardant une vidéo montrant quelqu'un qui se faisait opérer du cerveau et les effets secondaires que cela lui infligea que je remarquai des similitudes entre lui et moi. Il n'arrivait plus à trouver de synonyme et, effectivement, force est de constater que contrairement à hier, il en va de même pour moi. Hier, lorsque j'avais une idée ou un sentiment à exprimer, déjà mil mots me traversaient la tête et je n'avais qu'à faire mon choix. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, mais alors plus du tout. Une phrase me vient, pas deux, et il n'y a donc qu'elle que je peux coucher, mettre par écrit. Si dans cette phrase il y a trop de répétition ou un terme que je veux modifier par son synonyme, alors tout se bloque dans ma tête. C'est comme si la voiture tombait en panne, que le moteur s'arrêtait sec. Je suis donc obligé de me concentrer sur le terme que je veux modifier, effort qui me fatigue très rapidement, et, deux fois sur trois, je ne trouve pas de remplaçant. Aussi, afin d'effectuer néanmoins ma modification, je me sert du dictionnaire de synonyme intégré à mon logiciel de traitement de texte, chose que je ne faisais pratiquement jamais auparavant. Depuis que j'ai réalisé ce handicap, je comprend mieux pourquoi je ne peux plus écrire de poème « classique », avec rimes, pieds, etc. Je n'ai plus le choix du vocabulaire, c'est comme si une immense partie était oubliée, avait disparu de ma mémoire, et il en va de même dans la rhétorique verbale. C'est comme si hier j'avais été un dictionnaire à pages ouvertes et qu'aujourd'hui j'étais devenu un dictionnaire fermé qui ne peut s'ouvrir qu'à certaines pages. Moi qui aimais créer à travers l'écriture, jouer avec les mots, écrire des textes ou des phrases avec plusieurs degré de lecture, voilà tout ce que j'ai perdu. Oui, j'ai l'impression d'écrire comme un automate, qu'il n'y a aucune beauté ni aucun charme dans ma nouvelle forme d'écriture, qu'elle est plate comme est plat un mode d'emploi ou une recette de cuisine, et de cela j'en suis désolé. C'est comme perdre un membre, et pas des moindres puisqu'il est celui auquel je m'identifiais le plus. Bien avant d'être un musicien, un mélomane, un parolier, j'étais avant tout quelqu'un qui écrivait, qui aimait écrire et qui ne se voyait pas ne plus écrire, raison pour laquelle je continue encore à rédiger aujourd'hui, même si le résultat est loin de me satisfaire. Hier je relisais mes textes, quel qu'ils soient, pour voir si je pouvais les améliorer dans leur musicalité, dans leur précision. Encore une fois, cela m'étais aisé parce qu'une foule de mots et d'idées m'assaillaient à la lecture de la moindre phrase. Je n'avais qu'à pioché dans cette réserve de mot, prendre celui qui était le plus adéquat pour en remplacer ou l'ajouter à un autre, oui, tout était simple. Aujourd'hui je ne sais plus écrire une phrase, un paragraphe, voire un texte entier qui chante, même si c'est un chant de douleur, de souffrance ou de frustration.

Mes métastases se trouve dans l'aire droite de mon cerveau. C'est, entre autre, l'aire du langage et de la mémoire. Actuellement j'en ai deux qui y mènent leur vie bien tranquillement et la radiothérapie, même si elle est là pour m'aider à vivre quelques mois supplémentaires en essayant d'éradiquer, de tuer ces métastases, tuent aussi mon langage et ma mémoire. Qu'en sera-t-il si une troisième métastase se manifeste dans les mois à venir dans cette même région cervicale ?

Là, je pense à Mamy et Zazou qui sont bien gentilles de s'inquiéter de ma relation avec ma fille. Là aussi, dans l'émotion, le sentiment, l'empathie, je sens que j'ai beaucoup changé depuis août dernier, moment où je passais une séance de radiothérapie pour ma deuxième métastase. Ajoutez à cette séance les trois de février dernier et, là aussi, les effets secondaires concernant l'émotion, les émotions, se font ressentir. Oui, et c'est là aussi un triste constat, j'ai beaucoup moins d'empathie envers autrui, qu'il s'agisse de l'un de mes proches ou d'un parfait inconnu. Comment dire ? Ce n'est pas que je ne suis plus empathique, mais le sentiment ne dure plus. C'est comme si je l'éprouvais quelques minutes, fortement, intensément, et insidieusement il disparaît, faisant que je me désintéresse de ce qui l'avait provoqué. C'est comme avec ma fille, pendant deux jours je culpabilisais de ma sanction, me mettais à sa place et n'en menais pas large en conséquence. Puis, presque du moment à l'autre, cette culpabilité a disparu et, ce, complètement. C'est malheureux à dire, mais si je suis honnête, franc avec moi-même, ce que peux penser ma fille de ma décision ne m'importe plus maintenant. De même, du fait de ma décision et donc de ne pas la voir, elle qui me manque si souvent, cela a faillit me faire pleurer. Aujourd'hui, et là encore c'est malheureux, mais force est de constater que cela m'indiffère, comme si cela n'était vraiment pas grave que nous ne nous voyons pas. Oui, l'aire droite du cerveau doit aussi gérer l'émotion, le sentiment, et je ne peux que constater que là aussi, comme pour l'écriture et la mémoire, il y a des bugs. Oui, j'ai l'impression de n'être plus vraiment attaché à quiconque et moins encore à des objets matériels. A travers tous ces petits changements mis bout à bout, je sais donc que je change, mais j'ai l'impression de devenir de plus en plus inhumain, moins sensible, ayant un cœur de plus en plus froid qui se détache de plus en plus rapidement d’événements choquants, tel les attentats terroristes, Charlie-Hebdo, qui se détache sournoisement des êtres que je ne vois pas visuellement. Pourtant, en parlant de ça, je pense à ma mère, ma mère qui vit seule et dont la seule famille sont ses trois enfants dont un, mon frère, ne l'appelle jamais et deux, ma sœur et moi-même, ne l'appelons qu'occasionnellement. D'y penser, là, de suite, me fait mal au cœur pour elle. Je vais donc l’appeler maintenant, car si j'attends, je sais que ce sentiment va vite disparaître de mon cœur et que je la laisserai sans nouvelle, elle qui s'inquiète pour moi, elle dont je suis le fils aîné, elle à qui j'en ai fait voir de toutes les couleurs.

Voilà, je viens de raccrocher avec ma mère qui, comme moi, prenait une verre dehors avec une de ses amies. A paris, comme ici, c'est journée grand soleil. Cependant, même s'il fait un petit peu frais, je me suis installé à l'ombre, à la terrasse d'un café du quartier Saint-Anne. Tout à l'heure je descendrai à pied vers le quartier République, m'installerait à une autre terrasse, car si je rentre trop tôt, je sais que je vais encore faire une sieste de deux ou trois heures. Oui, j'aimerai reprendre un rythme normal, comme avant mes séances de radiothérapie, où je sortais matin et après-midi, écrivant donc beaucoup plus, même si mes écrits n'étaient pas forcément intéressants, mais n'ayant pas l'impression de perdre mes journées dans le sommeil.

De même, contrairement à il y a quelques mois, je pense moins à la mort imminente, à court terme ou à moyen terme, comme si cela ne me concernait plus. Là aussi je m'interroge ? A quoi cela est-ce dû ? Est-ce du fait de mes petites habitudes quotidiennes qui font que chaque jour ressemblant à son précédent, à son suivant, je n'imagine plus que quoi que ce soit vienne perturber cette petite routine ? Je le pense, car même si je ne pense plus beaucoup à ma propre mort, je pense par contre énormément à ma maladie et à toutes les personnes que je connais et qui sont dans mon cas, Mamy y compris. Oui, comme elle me l'a dit, c'est une saloperie de maladie. On sait lorsqu'elle commence et on ne peut savoir si elle s'arrêtera, régressera, stagnera ou évoluera. De même, on ne peut savoir à l'avance où elle se manifestera de nouveau. Dans le même organe ? Ailleurs ? En un seul lieu ou en plusieurs lieux simultanément ? Ensuite vient l'histoire des traitements. Encore de la chimiothérapie ? De la radiothérapie ? De la chirurgie ? A quelle fréquence, quel rythme ? Puis vient l'histoire des effets secondaires qui, quels qu'ils soient, nous affaiblissent systématiquement, ne serait-ce que pour un temps, voire nous handicap. A côté de çà, il y a notre entourage, entourage que nous ne voulons pas inquiéter pus qu'il ne l'est déjà, un autre effort à faire, presque une contrainte supplémentaire. Enfin, si la maladie nous fou la paix, si elle ne se manifeste plus, nous sommes néanmoins dans l'attente, plus ou moins consciemment, de sa prochaine apparition tant il est difficile de croire que l'on peut en être guéri. Je pense à Mamy et sa grande famille dans laquelle, si j'ai bien compris, tous ses petits-enfants sont déjà des adultes. Je fais le parallèle avec ma belle-mère qui, elle aussi a des petits-enfants, mais ceux-ci ont tous moins de cinq ans et ne peuvent comprendre la gravité de la santé de leur grand-mère. Oui, je me dis que lorsqu'on fait partie d'une grande famille, ce ne doit pas toujours être aisé de devoir rassurer tout le monde alors que soi-même nous ne le sommes pas tant que çà. Oui, rassurer quelqu'un est un véritable effort, un véritable travail de persuasion, et lorsque la maladie et les soins nous affaiblissent, ce doit parfois être ardu. Mamy est la seule personne avec qui je parle ouvertement de tout cela. Ma belle-mère, parce qu'elle est encore complètement dans la phase de soin intensif, je l'épargne, la rassure toujours à mon sujet et m’efforce de lui donner le moral. Aux dernières nouvelles, si tout se déroule comme prévu, elle devrait pouvoir réintégrer son domicile ce mois-ci. Mon beau-père, Bernard, est inquiet. Oui, il se demande sûrement s'il arrivera à gérer la situation en cas de problème, car Michèle, ma belle-mère, sera en fauteuil roulant, complètement dépendante de lui. Oui, la situation de Bernard ne sera pas facile non plus. Voilà, entre autre, pourquoi cette maladie est une véritable saloperie, parce qu'elle met tout le monde dans l'embarras, que l'on soit directement aux côtés de la personne malade ou non. Si on n'est pas à ses côtés, on y pense et ce, tous les jours. Je vois bien le comportement de Cynthia, de ma mère et de ma sœur en la matière. De même, si on participe au quotidien de la vie du malade, on prend sur soi pour le ménager, éventuellement lui donner du plaisir, bref on s'oublie beaucoup. Le malade, qui ne peut que constater tout cela, peut alors s'en vouloir d'imposer malgré lui tous ces efforts, ces inquiétudes, qu'il propage parce qu'il a une maladie mortelle. Oui, en tant que malade, quant on pense à tout cela, on s'en veut de ne pas avoir qu'un simple rhume, les choses seraient alors tellement plus simple.

Je viens d'essayer d'écrire deux poèmes, l'un sur ma fille, l'autre sur Cynthia. Dois-je être content du résultat, car ces poèmes ne sont pas travaillés ? A l'image de l'écriture automatique, ce sont des poèmes automatiques où se posent comme elles me viennent les vers qui me traversent l'esprit. Pas de rimes dans ces derniers, c'est de la prose, uniquement de la prose, mais est-ce poétique pour autant ? Dans ma logique, tel que je le faisais hier, un poème se travail, au moins un minimum, comme toute création artistique d'ailleurs. Là, du fait de laisser couler la plume comme elle vient, je ne sais comment nommer le résultat. Bribes de poésie ? Essai poétique ? Nostalgie de ce qui n'est plus à ma portée ?

Je pense également à mon psychiatre que je ne vois plus depuis deux semaines maintenant. Est-ce que nos séances me manque ? Nullement. Est-ce que les séances que nous avons eu m'ont aidé ? Certainement, même si je suis incapable de dire en quoi exactement. Je me souviens que lorsque j'ai commencé à le consulter,  j'appréhendais ma mort, fortement, intensément, et parallèlement à nos séances j'écrivais mes « Lettres à l'inconnue », cette mort que je ne voulais pas nommer, que j'avais du mal à voir, à envisager et, surtout, à accepter comme inéluctable, peut importe quand. Depuis l'adolescence je pense régulièrement à la mort, mais je me suis aperçu que j'y pensais comme si elle ne me concernait pas, comme s'il s'agissait de quelque chose qui n'arrive qu'aux autres, que cela ne pouvait véritablement me concerner. Depuis plus d'un an, tout cela est révolu. Révolu ma vision de la vie et de la mort d'antan, de mes vingt ans, de mes trente ans, de mes quarante ans. Hier je me sentais dans la vie avec la mort en ligne de mire. Aujourd'hui je me sens dans la mort avec la vie en ligne de mire, les jours, mois ou années qu'il me reste à vivre, et cela change toute la donne, la perspective, le point de vue sur bien des choses, à commencer sur ma propre personne.

1 commentaire:

  1. Juste une précision ;)
    Non, les petits-enfants de mamy ne sont pas adultes, mais ses enfants oui. Et Mamy peut vraiment comprendre ton ressenti face à la maladie
    Prends soin de toi.
    Zazou

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