vendredi 22 mai 2015

Vivre avec un cancer

22 mai 2015


La matinée se déroule bien, je suis d'humeur nonchalante, pas pressé pour un sou, prenant tout mon temps à contempler les gens passer, le paysage, et n'écrivant que pour le seul plaisir de m'occuper, ne cherchant pas l'introspection, n'ayant pas de questions existentielles, métaphysiques dans ma cervelle, oui, je me délasse. Cependant, dans ma tête, des choses tournent en boucle et, ce, depuis mon réveil. Je pense à Lila, son cancer, sa tumeur au cerveau qui n'a pas été complètement enlevé, aux soins qu'elle subit depuis un an maintenant, quasiment en continu, sans véritable répit, je pense à sa vie de famille, à ses deux enfants en bas-âge, aux crises d'épilepsies qu'elle fait parfois, au poids supplémentaire sur ses épaules que peut être parfois la réaction de son entourage, à tous les efforts qu'elle doit faire pour essayer de ne pas inquiéter tout ce beau petit monde, et tout cela me désole au plus haut point. Oui, comme si elle n'avait pas assez de la maladie à gérer, sa propre personne, elle a également les autres à gérer, à essayer de contenter, et lorsque l'on est en soin intensif, ce n'est vraiment pas une chose aisée. Je la découvre et elle me rappelle Catherine, même si leur cancer est radicalement différent, lorsqu'en 2013 Catherine était elle-aussi en plein dedans, en soins continus et intensif. Je lis dans leur histoire, derrière la force qu'elles veulent garder, toute leur détresse néanmoins. Oui, il ne faut pas se leurrer, se mentir, mais tant que l’accalmie n'est pas là, nous sommes en détresse, livrés à nous-mêmes, uniquement à nous-mêmes, et notre entourage, aussi gentil, affectueux soit-il, ne peut strictement rien faire pour nous, pour nos états d'âmes. Certes, ils sont comme une canne, on peut pleurer ponctuellement dans leur bras, mais guère plus. Comparé à ce que vit Lila ou a ce qu'a vécu Catherine, Marine, je ne peux me dire qu'une chose, j'ai de la chance, en tout cas en ce moment. Mes déboires sont bien peu de choses face à ce qu'elles ont traversé et traversent encore. Oui, c'est malheureux, mais c'est parce que leur situation est pire que la mienne que j'apprécie ce jour, que je m’apprécie aujourd'hui, même s'il me semble vivre mon dernier jour, comme d'habitude, demain n'étant qu'une idée sans fondement, comme quelque chose qui ne pourra pas exister car je serai parti avant.

Et pourtant, dans ma tête, dans la théorie, je sais pertinemment que je connaîtrai demain, que ce soir je me coucherai et me lèverai demain matin, mais tout cela ne me parle pas, plus, ma notion du temps s'arrêtant constamment à aujourd'hui, demain n'étant qu'une sorte de rêve, presque une chimère, un temps réservé uniquement aux gens sains de corps. Oui, c'est cela vivre avec une épée de Damoclès, que cela nous plaise ou non, elle est là, bel et bien au-dessus de nos épaules, dans notre tête, dans notre cœur. Aussi, comment voulez-vous que nous ne changions pas, que notre état d'esprit ne se modifie pas, que nos humeurs soient forcément changeantes d'un jour à l'autre. Comment pouvez-vous attendre de nous que nous soyons toujours les mêmes, ceux que vous avez connu et que nous avons effectivement été ? C'est impossible messieurs-dames, strictement impossible. Dès que vous touchez du doigt le bout de la mort, alors tout ou presque vole en éclat. Les priorités changent, les compromissions que nous faisions parfois auparavant peuvent devenir insupportable à tenir, demandant trop d'effort, ne correspondant plus à ce que nous pouvons fournir, offrir, donner, malgré toute notre meilleur volonté, malgré nos meilleurs souhaits. Bien entendu que nous aurions préféré rester les mêmes, avec nos défauts et nos qualités, nos imperfections, nos coup de gueule ou nos rires, mais la mort monsieur, la mort madame, lorsqu'elle frappe à votre porte vous dénature, fatalement, inéluctablement. Lentement mais sûrement vous devenez quelqu'un d'autre, en tout cas pour l'autre, pour autrui. Mais ce dernier ou cette dernière qui, parce qu'il n'a pas peur pour sa vie, qui, parce qu'il peut encore aisément se projeter à demain, après-demain et bien au-delà, ne comprendra rien à notre changement si nous ne lui expliquons rien, c'est certain. Il ne pourra que prendre acte de ces derniers, les accepter ou les refuser, mais il sera ignare de qui nous devenons si nous ne lui disons rien, si nous ne nous confions pas à lui, à elle. Cependant, ne croyez pas que cela soit simple pour nous, malades mortels, de nommer, comprendre, assimiler nos changements. Certes nous les constatons, les vivons dans notre chair et notre esprit, mais cela ne veut pas dire pour autant que nous savons qui nous devenons, qui nous sommes aujourd'hui, et chaque jour nous réserve son lot de surprise sur le sujet. Aussi, pour ma part, souvent je me tais, ne parle pas à ma compagne, non parce que je veux lui cacher quoi que ce soit, mais simplement parce que moi-même je ne sais pas ce qui se passe exactement en moi. Alors je reste dans le silence, ne sachant quoi dire, espérant ainsi éviter de l'inquiéter pour rien, me demandant alors ce que nous faisons ensemble s'il n'y a même plus de dialogue, d'échange, ou si peu. Oui, ces moments où je ne sais où je suis et que je suis incapable de décrire en temps et en heure son un vrai fardeau dès lors que je suis en présence de quelqu'un que je connais, qu'il s'agisse de Cynthia ou d'une autre personne.

De même, je n'appelle pratiquement jamais personne, hormis ma fille. Effectivement, sachant à l'avance la question fatale que l'on me posera, c'est à dire est-ce que je vais bien, déjà j'ai envie de raccrocher. Bien entendu que je ne vais pas bien, comment voulez-vous que ça aille, au sens où ça allait hier, avant la maladie ? Cependant je ne vais pas si mal non plus, c'est vrai, mais si je répond cela, déjà mes interlocuteurs seront déçus, car les gens n'aiment pas les mauvaises nouvelles en générale, pas plus qu'ils n'aiment tout ce qui, de près ou de loin, les ramènent à la mort. Le cancer, le cancéreux, la cancéreuse, est un témoin gênant quelque part, un marqueur officiel qui signifie bel et bien que la mort existe, qu'elle n'est pas une fable. Malgré nous, nous rappelons tout ceci au bon souvenir de ceux et celles que nous côtoyons, les ramenons à leur juste condition malgré qu'ils soient sains et valides. A travers nous ils ne peuvent plus ignorer la mort, celle qui sera la leur tôt ou tard, et subitement le présent devient plat dans leur esprit, un court instant ils ne peuvent que se demander à quoi rime leur propre vie, leur propres choix, leurs propres croyances, et même si cette remise en cause ne dure que l'espace de notre rencontre, c'est souvent déjà trop pour eux, trop de remise en question d'un coup, soudaines, venues là sans crier garde, alerte, danger.

Mais il y a aussi les autres, peut-être les plus nombreux, ceux et celles qui ne veulent pas être déranger dans leurs certitudes, leurs convictions, leur petit bonhomme de vie. Ceux-là, chacun à sa manière, veulent nous tenir à distance ou se mettent à distance de nous. Oui, eux ne veulent pas de remise en question du simple fait de notre présence, de notre maladie. Ils veulent rester dans leur bulle, loin du tracs et du souci que nous représentons. C'est souvent parmi ceux-là que l'on entends toutes les meilleurs attentions à notre égard. Bien entendu ce ne sont que des mots qu'ils nous adressent, cela ne mange pas de pain, et sitôt leur formulation effectuée, ils retournent précipitamment dans leur bulle, s'y remettent à l’abri, car pour ces derniers il est hors de question d'envisager sérieusement leur mort. En général ce sont des personnes qui veulent profiter de la vie, la vivant comme si elle était éternelle, ne voulant pas considérer une minute qu'un terme y sera mis. Oui, pour ce type de personne, et Dieu sait s'il y en a, les malades sont des boulets, des empêcheurs de tourner en rond. Que dois-je penser de ces derniers ? Je n'ai pas d'avis véritablement tranché, mais je sais que je les évite à présent, qu'ils soient de ma famille ou non, proche ou non. Effectivement, qu'ais-je à partager avec eux, moi qui suis une maladie ambulante ?

1 commentaire:

  1. quand je lis votre dernier article, je pense à la chanson de Béart: "demain, je recommence". C'est vrai, la maladie isole, plus un jeune encore qu'une personne âgée. Pour moi, la vie s'achèvera mais j'aurai fini d'élever les enfants
    et j'aurai connu les petits enfants. Je partirai tranquille contrairement à Lila qui doit vivre encore longtemps
    Mais comme vous, les autres me fatiguent souvent; soit ils vous voient malade et donnent plein de conseils, soit ils vous voient guéri et vous bouffent la vie; c'est ainsi, il faut faire avec; mais on comprend mieux ceux qui sont comme nous
    J'ai lu ce que vous mettez sur Cioran; pas très gai e bonhomme mais j'aime bien cette phrase:" des opinions oui, des convictions, non" Avec cela on éviterait bien des guerres. Nos deux belles files marocaines nous ont fait comprendre qu'on ne détenait pas la vérité et même si le mélange des cultures nous apprend qu'on ne peut avoir de conviction, il est aussi très riche
    Comme livre, je préfèrerai toujours le petit prince de Saint Ex
    Pour finir sur une image joyeuse: le Mont Saint Michel est toujours aussi beau; nous avons fait la traversée à pied par la passerelle, 10 km de pur bonheur
    Je vous embrasse ainsi que Cynthia ( a t'elle présenté son mémoire?)
    A bientôt, votre Mamy anonyme

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