dimanche 24 mai 2015

Une bonne journée

24 mai 2015


Cela fait moins d'une heure que je suis debout, réveillé, et pourtant j'ai éprouvé de suite le besoin de sortir, de quitter la maison, mon grand salon, ses murs. Je suis donc déjà au café, place Sainte-Anne, à la terrasse du seul café ouvert à cette heure-ci le dimanche. Il est 8h30. En face de moi, je vois des personnes commencer à monter, installer les terrasses d'autres cafés, leurs tables, leurs chaises, leurs parasols, car aujourd'hui il devrait y avoir du soleil sur Rennes. Ce matin, dès que j'ai ouvert les yeux, j'ai scruté mes genoux et, ouf, miracle, aucune douleur, aucun blocage d'articulation. Cela me confirme donc dans mon idée, je rouille, c'est clair, car depuis deux ans maintenant je ne fais plus aucun effort physique. Même marcher est presque un exploit. Pourtant hier j'ai marché, et pas un peu comparativement à d'habitude. Effectivement, j'ai passé toute l'après-midi et la soirée avec Cynthia. Hier elle avait son cours d'équitation, comme une petite bourgeoise qui se paye son petit luxe, sa petite activité de nanti. Mais n'est-ce pas pour cela, entre autre, qu'elle a fait les études qu'elle a entrepris il y a six ans maintenant, n'est-ce pas pour cela qu'elle a voulu sortir, quitter, le ghetto dans lequel elle a grandi, une immense cité lyonnaise où se côtoient braves gens et racailles, où régulièrement la police intervenait, vivant avec ses sœurs dans une famille au revenu très modeste, l'empêchant ainsi d'être une enfant gâté comme l'est ma fille ? Donc oui, j'estime qu'elle mérite désormais ses plaisirs, qu'il s'agisse d'équitation ou d'autre chose. Cette année est donc sa dernière année d'étude. L'année prochaine, la chose est certaine, elle sera professeur titulaire, à temps complet, peut-être même dans une zone d'éducation prioritaire puisque l'académie de Besançon, académie dont elle dépend à présent, l'a sollicité pour se faire. Dernièrement elle a donc été inspecté par une inspectrice du rectorat. Tout s'est impeccablement passé, l'inspectrice lui signifiant qu'elle finissait son année en beauté avec cette inspection. De même, ses deux tutrices, celle de la Fac et du lycée où elle enseigne, ont validé toute son année. Enfin, il ne lui reste que son mémoire à présenter. Cela se fera début juillet, mais ses deux maîtres de recherche, déjà, lui ont dit qu'ils étaient satisfaits de ce qu'elle leur avait présenté. La présentation de son mémoire ne sera donc qu'une ultime formalité et il est clair dans mon esprit que sa dernière année d'étude est d’or et déjà validé, qu'elle aura son diplôme signifiant qu'elle est enfin professeur.

Donc hier, en début d'après-midi, nous avons été ensemble à son centre équestre. Pour se faire, il nous a fallu prendre l'autobus, ni moi ni elle n'avons de permis de conduire et encore moins de voiture, mais une fois descendu à l'arrêt dit, à cause de mon rythme de marche, il nous fallu plus de vingt minutes pour atteindre le centre équestre. Dans mon état, vingt minute de marche est un exploit. Dans mon quotidien, je dois m'arrêter toutes les dix minutes en moyenne. Je me pose alors sur un banc ou à une terrasse de café. Oui, vous l'aurez constaté à force, les cafés et moi c'est presque une histoire d'amour, de fusion, une habitude que j'ai pris à Paris, un mode de vie que j'ai entretenu, préservé, chéri et que je continue d'entretenir. A cause de ses études, du mémoire qu'elle avait à préparer, Cynthia n'avait plus pris de cours depuis deux mois. De même, lors de son dernier cours, en avril, elle avait chuté, était tombé de cheval, et avait mis plus d'une semaine à se remettre définitivement des douleurs engendrées par sa chute. C'est donc avec une certaine inquiétude qu'elle a abordé cette reprise, redoutant de tomber à nouveau. Cependant, tout s'est excellemment bien passé, même si à un moment, moment où elle était au galop, son cheval a commencé à s’emballer, galopant de plus en vite, faisant voler Cynthia de la selle plus d'une fois. J'ai même crû, alors qu'ils étaient dans un virage, que Cynthia allait tomber tant elle avait du mal à ressaisir les rênes, à rester cramponner à son cheval. J'ai vu la peur, la vive inquiétude sur son visage, mais elle s'en est sortie, plaçant ses pieds comme il le fallait dans les étriers afin d'être bien maintenu sur le cheval, reprenant les rênes d'une main ferme, obligeant ainsi son cheval à ralentir la cadence, à  se diriger vers le groupe des autres cavaliers, cavaliers à l'arrêt. Lorsque enfin son cheval s'arrêta à son tour, je lu le soulagement sur son visage. Elle avait affronté et vaincu sa peur, son inquiétude, et je ne pouvais qu'être satisfait.

Comme dirait Mamy, hier je n'étais ni dans la mort ni dans la maladie. J'étais dans la vie, le vivant, entouré de personnes qui se faisaient plaisir en faisant de l'équitation, entouré et cerné par tous les chevaux que contient ce grand centre équestre, ces animaux imposant, majestueux quelque part, qui m'ont fait oublié l'espace de l'après-midi l'espèce humaine, exclusivement humaine, ses villes, ses voitures, ses murs, sa consommation. Oui, j'étais dans quelque chose de beaucoup plus naturel, plus sain quelque part, et avec toute la campagne et les bois alentours je redécouvrais la nature, la vrai, celle qui est propre à notre planète, non celle que nous dénaturons, détruisons, mettons à mal. Tout cet écosystème, c'est aussi l'existence, la vie, quelque chose à respirer à plein poumon, ce que je ne me suis pas empêché de faire, me régalant de voir les arbres, des plantes, des insectes et, bien sûr, les chevaux.

Cynthia et moi-même sommes rentrés sur Rennes vers 19h00. Nous avons été place Sainte-Anne pour boire un verre. Pendant deux bonnes heures nous sommes restés face à face, à discuter, à échanger, à parler de son métier, de son activité, de notre emménagement à venir à Besançon, et sans doute d'autres choses dont je ne me souviens plus. Vous dire que j'ai apprécié ce moment serait un euphémisme. C'était bien au-delà tant il m'est bon de me sentir en couple à nouveau, de ne pas être qu'une simple présence, une présence qui plus est handicapée, qui ne peut plus faire grand chose physiquement, voire plus rien ou presque. De même, intellectuellement, je ne peux plus aller très loin dans la réflexion, en tout cas comparativement à hier. Oui, je suis devenu lent, très lent, quoi que je fasse ou pense, mais cela ne me dérange plus. J'en ai pris mon parti, en ai pris acte et apprends à vivre et à me déplacer autrement en conséquence. Cependant, lorsque je me remémore il y a deux ans encore, c'est un sacré changement. Il est radical, incontournable et je n'ai d'autre choix que de faire avec, de trouver à travers ce nouveau mode d'existence les moyens de me faire encore  plaisir, de me donner du plaisir et, tant que faire se peut, d'en procurer à d'autres.

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