mercredi 20 mai 2015

Humeur...

20 mai 2015


Aujourd'hui je me sens d'une humeur que je n'arrive pas à bien définir. Néanmoins, parce que je suis ainsi, mal formé quelque part, ayant constamment le besoin de comprendre, qu'il s'agisse de moi ou d'autrui, je vais m’efforcer à essayer de nommer mon humeur. Certes je ne suis pas triste, mais alors pas du tout. Cependant je ne me sens pas heureux pour autant. Quelque part je me sens dans l'expectative, la contemplation, mais pas l'observation. Non, je ne lorgne pas sur des détails, ne m'attarde sur rien ni personne en particulier. Je suis là, dehors depuis 9h00 du matin, il est à présent 14h00, assis à une terrasse de café, et je crois que c'est le jour que je contemple, le moment présent, l'instant, comme si demain n'existait pas, ne pouvait exister, comme si j'étais dans mon dernier jour. Oui, depuis mon lever je crois que c'est ainsi. C'est un état d'esprit qui n'est pas à proprement parlé désagréable, non, mais pourtant il n'est pas aussi agréable que çà. Peut-être est-ce une question d'habitude, peut-être n'ai-je pas assez l'habitude d'être habité ainsi pour apprécier à sa juste mesure cet état d'âme, car c'est un état d'âme, bien plus que de la pensée ou de la réflexion. Si je ressentais un peu de tristesse, je pourrai croire que je suis dans une espèce de nostalgie. Mais ce n'est pas du tout cela, encore une fois aucune tristesse ne m'habite. Je me sens léger, véritablement léger, comme si je n'étais qu'une plume volant au vent, emportée, bercée par ce dernier. Paradoxalement je me sens en même temps lourd, mais cette lourdeur c'est mon tracas, celui qui est quotidien, autrement dit mes questionnement pas forcément formulés sur mon cancer, ma santé, mon état et, parce qu'elle est ma compagne, au quotidien, sur l'état de Cynthia. Oui, je me pose beaucoup de question sur elle, sur la manière dont elle éprouve l'être que je deviens, l'être qu'elle devient en conséquence, et tout comme elle ne peut saisir, attraper au vol, enfouir en elle tout ce que j'éprouve, il en va de même pour moi envers elle. Avant l’apparition de la maladie, elle n'était pas une énigme pour moi, pas plus que je ne l'étais pour moi-même. Depuis, tout cela a volé en éclat, il faut bien le dire, ce qui ne veut pas dire que cela a mené au désastre, pas du tout, mais c'est bien autre chose que nous vivons face à face, côte à côte, quelque chose de radicalement différent de ce que nous avions connu. Est-elle une énigme à présent dans mes yeux ? Je n'irai pas jusque là, mais il est indéniable que je ne parviens pas à comprendre ce qui la retient près de moi.

Hier, longuement, entre deux rendez-vous médicaux, je pensais à ma libido. Depuis que le cancer a jaillit dans notre vie, je n'ai plus de libido. Aucun corps de femme, y compris celui de Cynthia, ne m'attire plus au sens sexuel du terme. Non, tous ces corps m'apparaisse fade, sans intérêt. Certes, je regarde les passantes dans la rue, les scrute de haut en bas, mais rien, c'est l'encéphalogramme plat, quelque soit leurs forme elles m'indiffèrent. Cela fait deux ans que je ne sais plus ce qu'est une érection. Au début cela m'intriguait plus que ça m'inquiétait. Là aussi je me suis posé des question sur Cynthia, beaucoup. Comment vivrait-elle cette absence d'élan à son égard, à l'attention de son corps que j'ai tant désiré et aimé ? Elle m'a dit qu'elle s'en foutait, que ce n'était pas important. Dois-je la croire ? A quel point dois-je la croire ? Aujourd'hui cette question ne me taraude plus. Je n'ai plus de libido fonctionnel, je suis comme un impuissant, mais cela ne me dérange plus du tout. Au contraire, je constate que cela me rend même la vie plus simple, car dans mon esprit il n'y a plus de désir charnel envers quiconque venant me perturber, m'obligeant parfois à prendre sur moi-même le self-control, à redescendre sur terre. Oui, ce sont des efforts à faire en moins et il m'est bon de constater que je ne désire plus aucune femme, que je ne désire plus aucun corps de femme. C'est un vrai repos, une vraie détente, laissant ainsi libre mon esprit d'explorer d'autres horizons beaucoup moins chaotiques, dangereux, pernicieux. Cependant je n'ai pas compris le lien entre mon cancer et ma libido. Est-ce les divers traitements que j'ai subi qui ont mené à cela ? Sont-ce mes métastases qui, au niveau cérébral, agissent sur je ne sais quelle zone de mon cerveau qui contrôle la libido ? Est-ce tout simplement la fatigue, ma diminution physique qui sont la clef de ce changement ? Je n'en sais strictement rien et, bien que j'aime comprendre en général, puisque là rien ne me dérange, je laisse les choses en l'état, ne cherche pas à en savoir plus.

Lorsque je suis dehors, je ne dévisage pas uniquement les femmes. Je regarde et scrute tout autant les hommes. Eux-aussi je ne les vois plus comme avant. Hier, tout homme était un « concurrent » potentiel, un rival potentiel et en même temps mon parfait homologue. Peut importe le tempérament ou le caractère de ce dernier, je savais que je le connaissais par cœur, que je n'avais qu'à décrypter sa manière de pensée pour pouvoir rapidement le ranger dans l'un des tiroirs de mon placard. Aucun homme ne pouvait plus me surprendre, strictement aucun, et peu importe leur comportement. A présent, et plus le temps passe et plus c'est ainsi, je les regarde tous de loin, comme si je n'avais plus rien à voir avec eux, exactement comme avec les femmes. Il ne s'agit pas du tout de rejet, non, il n'y a rien de tout cela dans mon esprit ou dans mon attitude, mais c'est simplement que j'ai le sentiment de ne plus faire partie du tout du même monde. Si je devais donner une image, je ne saurai laquelle prendre. Est-ce qu'un communiste à le sentiment de faire partie du même monde qu'un capitaliste ? Est-ce qu'un ouvrier, un manutentionnaire, a le sentiment d'appartenir au même monde que notre président, qu'un patron du CAC40 ? Est-ce qu'un djihadiste se voit des affinités, des points communs avec un athée ? Nous-même, humains, avons-nous vraiment le sentiment de faire partie du monde des fourmis, que nous pouvons nous comprendre entre nous, voire œuvrer ensemble ? Oui, c'est ce type de fossé qui me sépare de mes semblables, peut-être même y compris de ceux et celles qui sont concernés, atteints, touchés par le cancer ou toute autre forme de maladie mortelle. Oui, même entre nous, de l'un à l'autre, nous ne vivons pas forcément la chose de la même manière, je m'en suis aperçu, bien que nous ayons en commun le poids de la mort à venir constamment sur nos épaules.

Aujourd'hui j'ai également fait la connaissance de Virginie. Hier elle avait laissé un message sur le forum de la ligue contre le cancer. Elle est en couple avec un homme qui vient d’apprendre qu'il avait un cancer du cerveau. Sale situation, présage funèbre. Là encore la médecine va devoir faire de son mieux et, là encore, tous deux vont vivre des moments éprouvants, sinon difficiles. Sur le forum, Virginie lançait un appel à l'aide pour faire face à cette situation. Comment ne pas le comprendre ? Alors je lui ai répondu et, aujourd'hui, elle m'a trouvé sur facebook. A présent je suis l'un de ses amis virtuels et, bien évidement, si je peux l'aider, c'est sans réserve que je le ferai.

Cependant, étrange la manière dont tourne les choses. Lorsque j'ai ouvert ce blog, je ne pensais pas une seconde que j'irai à mon tour chercher de l'aide, des témoignages, des expériences de cancéreux, de cancéreuses. De même, je n'aurai pas plus imaginé que cela me conduirai à aller sur des forums, à m'y inscrire et à y intervenir, pas plus que je n'aurai songé à recevoir des demandes d'amitié via facebook. Mais tout cela n'est pas fait pour me déplaire, je me sens ainsi un peu utile, dans la limite de ce que le virtuel peut offrir de bon.

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