mercredi 27 mai 2015

Réveil...

27 mai 2015


Comme chaque matin au réveil, je me scrute, m'examine, m'écoute, à l'attention de tous les signes que veut bien me donner mon corps. Là, tout semble aller, il n'y a que les fréquences radios qui se manifestent dans ma tête et, en conséquence, je vais donc prendre un antalgique. Bref, c'est la routine, une routine qui ne m’ennuie pas, car depuis l'apparition de mon cancer j'ai appris, bien compris, que je n'étais pas qu'un esprit, mais également et surtout un corps. Oui, j'ai bien compris que si ce dernier n'allait pas, mon esprit, ma pensée ne pouvait être pérenne ou sereine, aussi logique soit-elle, cohérente, sensée ou sage. Donc je m'écoute, attentivement, très attentivement, essayant également d'entendre ma pensée, comme si elle pouvait me parler, me dire des choses, m'informer sur qui je suis, sur qui je deviens. Je ne me reconnais plus, ou pas, et c'est peu de le dire. Cela ne me dérange pas outre-mesure, je fais avec au quotidien, observant, constatant des choses ci et là, les acceptant tel qu'elles se présentent, se manifestent, accompagnant le mouvement de mes humeurs et de ma réflexion. Cependant, je ne peux pas dire que je suis dans la réflexion à proprement parlé. Je suis plutôt dans la contemplation la plupart du temps, la contemplation de tout et de rien, du mouvement et de son absence, comme si je regardais un point fixe à l'horizon, n'étant nullement troublé ou déconcentré par tout ce qui passerai dans mon champs de vision, qu'il s'agisse d'individu, de chiens, de pigeon, de voitures ou autres.

Est-ce que j'essaye réellement de comprendre, de me comprendre, de savoir qui je deviens, qui je suis aujourd'hui ? Je crois que non, car en l'état tout va plutôt bien. Donc je n'ai pas envie de me poser de question, cela me fatigue à l'avance, pas plus que je n'ai envie de rentrer dans la réflexion, le raisonnement, la logique, qui eux m'épuisent à l'avance. Cependant je m'écoute, ou tout au moins essaye d'entendre ma pensée défiler, mais entre nous, si dialogue il y a, c'est un dialogue de muet. Comme mon esprit est calme, serein, je me dis qu'il se repose, qu'il n'y a pas alerte en la demeure, cancer ou pas cancer, et que je peux continuer à vivre tranquillement d'ici ses prochaines manifestations. Oui, il ne fait aucun doute dans mon esprit que la maladie se révélera à nouveau à moi, en moi, je ne sais sous quelle forme, soit de mon fait parce que je me suis remis à fumer par exemple, alors que l'origine de mon cancer était ma tumeur au poumon dû au tabac justement, poumon dont j'ai été amputé pour ôter cette satanée tumeur, mes côtes m'en faisant encore mal, ne s'étant pas encore complètement remise en place, soit parce que mes métastases cérébrales auront engendré d'autres métastases, peut-être au cerveau, peut-être ailleurs. Ainsi, comme chaque jour, je suis quelque part dans l'attente, mais une attente sereine, toujours, sans impatience, sans stress, car je le crois, je veux mourir, quitter notre monde, celui de l'homme, celui du non sens de la vie, de l'existence. Oui, j'ai passé plus de 35 ans à m'interroger sur ce mystère que sont la vie et la mort, j'ai tourné cela dans tous les sens, ai lu en long, en large et en travers tout type d'ouvrage, philosophique, religieux, psychologique, sociologique, ethnologique, scientifique, mais je n'ai trouvé aucune réponse satisfaisante à mes questions. En cela j'envie ceux et celles qui croient en Dieu, quelque soit ce dernier. Même si la simple idée de ce dernier ne me parle pas du tout, il est indéniable qu'elle offre une perspective, une orientation sur l'après, voire l'avant de l'existence à proprement dite. Moi, j'ai l'impression d'être là pour rien. Hier, ce constat me rendait mal, il m'a même fait souffrir plus d'une fois, éprouver de réelles solitudes que rien ne pouvait combler, guérir, transformer. Aujourd'hui, j'accepte sereinement de n'être là pour rien, ou en tout cas pour pas grand chose. Oui, j'accepte que mon existence n'a ni changé la face du monde ni ne la changera jamais. La maladie, l'éphémère et l'insignifiant que son mon sort, comme le votre d'ailleurs, m'ont rendu nettement plus humble quant à ma condition, à ce que je crois ou non de moi et de vous. Je sais que tôt ou tard plus personne ne se souviendra de nous, pas plus que nous nous souvenons de nos lointains ancêtres les plus directs dans nos arbres généalogiques, ancêtres dont nous ne soupçonnons même pas l'existence la plupart du temps. Qui était l'arrière grand-mère de mon arrière grand-mère ? Grand bond en avant dans l'inconnu ! Et pourtant, génétiquement parlant, je suis cause et raison d'être de cette femme des temps passés, du 19ème siècle, cette illustre inconnue qui, malgré elle, a mené à ma naissance un beau jour, au cancer que je porte aujourd'hui, à ma mort de demain, à la fille que j'ai. Oui, tout est lié, imbriqué, et même si l'environnement jour énormément sur qui nous devenons, n'oublions pas que c'est par la grâce du corps de nos ancêtres que nous sommes aujourd'hui. Leur doit-on respect pour autant, leur adresser une forme de révérence ? Je crois que tout dépend de la manière dont chacun juge sa vie et, plus généralement, la société dans laquelle il vit. Vous l'avez compris, pour ma part je n'éprouve aucun respect pour ceux et celles qui ont participé à ma naissance, à ma présence ici-bas. C'est un fardeau qu'ils m'ont livré, ni plus ni moins, fardeau des événements de ma vie, même si j'en suis en grande partie responsable, seul coupable, mais également fardeau de ma pensée, de cet esprit qui, inlassablement, ne cesse de se poser des questions, de faire des constats souvent désagréables, moches, déprimants. Oui, je ne remercie ni ma mère ni mon père de m'avoir conçu, et peu importe qu'ils aient fait le maximum, surtout ma mère, pour que j'ai une vie agréable. Ma vie n'a pas été agréable, presque jamais, même si une fois encore ce fût la conséquence de mes choix insouciants, inconscients, bêtes, sots et puérils. Cependant mes parents n'ont pas su y faire pour que je ne plonge pas dans mes travers, car nous avons tous des travers, mais la majorité savent les contenir, les maîtriser, ne pas se laisser déborder par ces derniers. Un peu comme aujourd'hui, j'avais pris le partie de ne rien contrôler, de me laisser aller à mes désirs et envies, peut importe où cela me menait, y compris dans le glauque et le macabre. Si c'était à refaire, avec le recul que la maladie m'a fait prendre sur la vanité de celui que je fus, il est clair que j'agirai tout autrement. Mais pas plus que l'on ne peut maîtriser le cancer, son apparition ou non, on ne peut refaire le passé. Alors j'avance, lentement maintenant, m'éloignant aussi sûrement que l'oiseau vole des sentiers dangereux que j'empruntais hier.

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