vendredi 1 mai 2015

Orage

1 mai 2015


Il est 10h30 et depuis mon réveil, 7h30, je suis tendu, stressé, inquiet. Pourtant, même si ma journée avait plutôt mal commencé hier matin, moral en berne, idées sombres, inquiétude, au fur et à mesure de la journée qui avançait, peut-être grâce à mes médicaments, l’anxiolytique, j'ai repris le dessus. Vers 18h00 mon moral était revenu au beau fixe et j'ai même appelé Tony et ma fille pour leur annoncer la bonne nouvelle, ma métastase qui régressait, ma métastase qui, si tout se passe bien dans les mois à venir, devrait mourir, être éradiqué de mon cerveau. De même, lorsque je suis rentré chez moi vers 20h30, j'ai dîner, chose exceptionnelle ces derniers temps et j'ai véritablement apprécié ce dîner. Après j'ai eu envie de regarder un film, comme dans le bon vieux temps, alors  que je n'en regarde plus depuis bien longtemps, n'arrivant pas à m'extirper de ce qui me tourmente chaque jour ou presque, mon cancer, la fin déterminée,  la  fin à coup sûr, mais quand restant la seule inconnue. Oui, hier soir ma soirée a été excellente et je comprends d'autant moins mon état au réveil ce matin. Quand Cynthia s'est levé à son tour, constatant mon état, quelle déception pour elle et moi. Pour ne pas vivre, voir, sentir sa déception, je me suis alors immédiatement habillé et suis sorti de suite pour aller au café, prendre l'air, prendre quelques cachets supplémentaires car il est hors de question que je me vive dans cet état de tension toute la journée. Comme je disais à mon psychiatre la dernière fois que je l'ai vu, là, si j'en avais les moyens financiers et savais où m'en procurer, c'est de l'héroïne que je prendrai et non des anxiolytiques. L'anxiolytique me tempère, mais ne me fait pas quitter le monde glauque du cancer. L'héroïne, à coup sûr et d'expérience, me permettrait de m'évader.

Une fois arrivé au café où je suis actuellement, près de la gare de Rennes, j'ai appelé Cynthia. Je fume également cigare sur cigare, comme si je voulais précipiter ce que ma patience ne peut plus attendre, en a marre d'attendre, autrement dit ma fin, une bonne fois pour toute, définitivement. Tandis que Cynthia me disait de prendre les choses comme me le suggère Mamy, c'est à dire en sortant du monde du cancer pour retourner dans celui des vivants, des gens sains, afin de profiter de ces précieux moments de vie que permet de vivre la médecine et ses progrès, je lui répondais à la manière de Cioran. Oui, à quoi bon tout çà puisqu'au final, tout est vain, la maladie aura raison de moi, mes métastases sont toujours là, même si l'une d'entre elle a diminué, et le risque qu'elles se reproduisent dans mon cerveau ou ailleurs dans mon corps n'est pas minime, très loin de là, même si on ne sait jamais quel va être leur comportement tant le cancer, son fonctionnement, est une machine à vous faire tourner en bourrique. Tantôt il est présent, activement, tantôt il se fait discret, se met en mode sommeil. Quand se réveillera-t-il à nouveau ? Se réveillera-t-il seulement à nouveau ? C'est la parfaite inconnue. Mon corps n'est qu'un salopard, mon peu de volonté pour entretenir sainement, convenablement mon corps est une salope et ma tournure d'esprit actuelle n'est qu'une vraie merde également. Heureusement que ma fille ne sait pas tout çà, ne lit pas mes écrits, ne sait pas à quel point je m'enfonce dans un puits. Mais ce puits ce n'est pas le cancer, ce puits c'est moi-même, la perception que j'ai de ma personne malade, que j'ai des personnes malades en général, Mamy et d'autres y compris, personnes atteintes également d'une maladie mortelle qui ne cesse de jouer à cache-cache avec nous. Oui, c'est moi seul qui perd mon temps à ne focaliser que là-dessus, qui m'empêche par je ne sais quel tour sombre de magie noire d'aller voir si je ne peux pas être ailleurs, dans d'autres mondes existants, plus pacifiques, moins inquiétants, plus joyeux, mondes aussi tangibles et sensés que celui dans lequel je me suis engagé depuis un an, date où est apparu ma deuxième métastase alors que les médecins pensaient mon cancer éradiqué, ma tumeur au poumon étant enlevée et ma première métastase étant morte. Mais le malin n'a pas voulu que tout se passe ainsi, que tout soit aussi simple, alors il en a rajouté une couche, en temps et en heure, attendant patiemment le moment propice pour relancer toute la machine qui me bouffe encore les neurones en ce moment. Oui, j'éprouve de la colère, c'est indéniable, et ce n'est pas une question de justice ou d'injustice, du moins le crois-je, c'est juste que je suis lassé de ce jeu sordide qui m'épuise moralement.

Ce matin j'ai encore eu quelque décharges électriques sous mon crâne, mais nettement moins que ces trois derniers jours. Cependant, comment ne voulez-vous pas que cela me ramène à ma maladie, à cette métastase de presque 2cm qui obstrue mon cerveau ? Quel est le diamètre d'un cerveau dans sa longueur ? 10Cm ? 15Cm ? Guère plus quoi qu'il en soit. Hier matin, sur l'écran d'ordinateur de mon radiothérapeute, j'ai vu mon cerveau sur le scanner, j'ai vu la place que prenait cette putain de métastase dans mon cerveau, presque le tiers de mon aire gauche, et, même si elle régresse, c'était plus qu'impressionnant et inquiétant. Oui, qu'elle régresse est effectivement un bon signe, une bonne nouvelle, mais tant qu'elle ne sera pas morte, je le sais, je ne serai pas tranquille. Oui, cette troisième métastase peut très bien se comporter comme la seconde, c'est-à dire cesser de régresser à un moment donné, se stabiliser et, plus tard, se reproduire à son tour. Oui, c'est bien cela le film noir qui défile dans ma tête depuis ce matin.

Je grince des dents, ce matin plus que d'accoutumée, chaque jour je grince des dents et, ce, depuis plusieurs mois déjà. C'est devenu l'une de mes nouvelle habitude, comme si je voulais mordre, grignoter, réduire à néant mon cancer, la cellule, mes métastases, la vie à  laquelle j'en veux quelque part, vie qui permet, autorise la mort à advenir, tôt ou tard, quel qu’en soit la raison. Je la giflerai si je le pouvais, mais à défaut de pouvoir le faire, c'est moi-même que je gifle, écornant par là-même tous mes proches par le souffle de ma main qui s'élance pour mettre à mort ce mal qui me ronge. Comme je disais à mon psychiatre, il n'existe ni médicaments ni thérapie pour guérir, soigner, l'envie de ne pas mourir. Alors où est la solution, où est ma solution ? Si je me résigne à cette éternelle vérité, que tout disparaît un jour, alors cela me met dans mon état actuel, celle d'un cheval sauvage qui rue dans tous les sens, tournant sur lui-même à un rythme effréné, créant des boucles et des boucles autour de lui-même, boucles dans lesquelles il s'enferme, l'empêchant d'aller voir l'ailleurs qui, pourtant, n'est qu'à quelque pas de lui. Mais dans sa sauvagerie, car je suis un sauvage dans le fond de l'âme, il bloque sur lui-même, fait la toupille, et l’enivrement qui l'envahi alors ne lui permet plus de discerner quoi que ce soit au-delà de l'endroit où il est cloué.

Donc, ma matinée à commencer dans l'inquiétude, le stresse, et me voici maintenant dans la colère, la rage et, tout au moins dans ma tête, j'ai l'impression que je vais péter un câble, que les résistances vont lâcher, que les plombs vont sauter. Tout à l'heure, je le sais, tout cela va redescendre, comme à chaque fois, mais pour me mener dans quel état exactement ? Serai-je soulagé, apaisé d'avoir craché comme je l'ai fait sur l'inaccessible, l'insaisissable ? Tout ça est sans sens, ne me mène nul part, en tout cas pas dans la tranquillité, cela est certain. Le plus sage, je le sais, même si tout cela n'est que de la théorie, serait de cesser de penser à mon cancer, de cesser de me penser comme une personne malade, de me voir comme une personne valide qui peut bouger et se mouvoir, s'occuper d'elle et des autres, même si je n'ai plus l'énergie de mes vingt ans. Oui, la sagesse serait d'aller dans cette direction, dans cette autre vue des choses, de changer, modifier l'angle d'attaque face à l'adversité, le destin, le hasard, le sort ou autre nom que vous voudrez lui donner. Mais dans la pratique, je suis bien loin d'y parvenir, force est de le constater.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire