vendredi 22 mai 2015

Vivre avec un cancer II

22 mai 2015


Il y a quand même quelque chose de pourri au royaume du vivant, dans l'enfer de la vie. Il n'y a que des prédateurs, prédateurs de toutes sortes, végétale, animal, quoi qu'il en soit il en est toujours un pour bouffer l'autre, prendre sa vie d'une manière ou d'une autre. Nous humains avons mis à l'écart tous nos prédateurs animaux, tous, sans exception, quitte à les éliminer définitivement ou presque, tels les lions, les tigres, les hyènes, etc. Mais il est d'autres types de prédateurs, invisibles à nos yeux, microscopiques, tels les microbes, les virus. De même, nous le savons aujourd'hui à l'heure de la grande gloire de la médecine, notre propre corps peut nous bouffer. Évidemment, c'est aux cellules cancéreuses que je pense. Elles sont notre ennemi intérieur et pourtant elles sont nous, nous sommes elles, irrémédiablement ensemble pour le meilleur et pour le pire. Nous ne sommes même pas un couple, on ne peut nous séparer, faire de nous deux entités distinctes. Elles sont nous comme le sang coule dans nos veines, comme nos poumons respirent l'oxygène, comme la pensée traverse l'esprit. Alors que pensez de nous, que pensez de notre corps lorsque ces dernières ont décidé d'exister, de se mettre à vivre ici ou là dans notre chair ? Immédiatement nous le savons, tout le monde en a assez parlé, ces cellules vont détruire des morceaux de nous-mêmes, parfois un peu, parfois beaucoup, et feront tout pour subsister, tel que nous-même le faisons dans le monde présent. Oui, c'est le principe de la vie, de la nature, de l'existence sur cette terre, subsister, peu importe comment, peut importe en mangeant quoi, peu importe en détruisant quoi, il faut subsister, condition sine qua non pour durer dans la flèche du temps, cette flèche dont on ne sait où elle mène exactement car nous n'en connaissons que deux étapes, la naissance et la mort. Avant, après, qu'est cette flèche ? A quoi sert-elle ? Existe-t-elle au moins encore ? Pour tout ce qui est vivant, oui, elle semble toujours là, éternel, imperturbable. Mais pour tout ce qui n'est pas encore là, tel un futur né, ou pour tout ce qui n'est plus là, tel un mort, qu'en est-il exactement ?

Oui, le cancer, la maladie mortelle, peut-être même la vieillesse avancée, nous plonge dans la métaphysique. Plus rien n'est linéaire, plus rien n'est tout blanc ou tout noir, plus rien n'est vraiment laid ou vraiment beau, même notre cœur ne sait parfois plus à quoi se raccrocher. Pourtant, parce que nous avons grandi et vécu avec des attaches, des liens humains, il reste quelque chose de cela en nous, mais ce n'est plus pareil, ce n'est plus le même type d'attache, même si nous sentons le lien. On pourrait dire que quelque chose s'est cassé, mais ce n'est pas non plus exactement çà. Cela se transforme, au fur et à mesure que nous prenons conscience de notre maladie, de son impact sur notre quotidien, sur notre corps,  notre psychisme. Oui, comme le papillon sort de la larve, c'est exactement ce qui nous arrive. Nous devenons comme un autre animal, une autre espèce humaine qui n'a qu'un très lointain rapport avec ce que nous fûmes jadis. Les certitudes d'hier s'ébranlent, tanguent, vacillent, voire disparaissent à jamais. La seule chose dont nous sommes sûrs, c'est que la maladie est là, avec sa promesse de fin à venir, redoutant qu'elle ne survienne tôt, trop tôt, toujours trop tôt. Alors nous fonçons chez les médecins, nous ne voulons pas mourir, et encore moins si tôt. Crédules ou incrédules, nous nous en remettons totalement à eux, comme un enfant tête le sein de sa mère, comme un enfant se cache dans les bras de ses parents lorsqu'il a trop peur. Oui, nous avons besoin de réconfort et non de l'inquiétude des autres, à commencer par celle de nos proches. Ces inquiétudes sont plus qu'un fardeau, elles pèsent bien plus lourds sur nos épaules que la maladie-même, cette même maladie qui nous angoisse déjà tant, parfois à la limite du supportable, du tenable. Mais parce qu'hier nous avons été des humains sains, valides, en bonne santé, nous nous souvenons parfaitement de la manière dont nous considérions les malades alors, voire la maladie en générale. Donc nous comprenons plus que pertinemment l'inquiétude de nos proches, tous leurs conseils qui, le plus souvent, ne nous servent strictement à rien pour gérer nos états d'âmes. Nous savons que certains d'entre eux ont vraiment peur, sont vraiment inquiets et en souffrent. Alors nous culpabilisons, bien malgré nous souvent, mais c'est plus fort que nous, car nous ne voulons pas que vous souffriez, que vous cessiez d'exister, que vous soyez notre conjoint, enfant, père, mère, sœur ou ami. Cependant vous nous faites porter malgré vous le lourd fardeau de vos craintes et ce n'est pas une mince histoire, un mince exploit de notre part que d'essayer de gérer tout ça, de l'emmagasiner, d'essayer de l'étouffer en nous, alors que du fait de notre maladie nous aspirons à respirer, respirer pleinement, à gorge ouverte, plein poumon, ressentir à nouveau le parfum de la vie nous traverser de part en part, de haut en bas, et non plus ce parfum de mort qui, sans cesse, rôde en nous et autour de nous.

Est-ce que je critique nos proches par mes propos ? Non, ce n'est point de cela qu'il s'agit. Je fais juste un constat, un constat à sens unique il est vrai, autrement dit celui du sort des cancéreux qui ne sont pas en rémission, qui ne sont pas guéris, qui ne savent ce que sera leur lendemain. Oui, pour nous il ne s'agit plus de se battre pour vivre, pour construire une vie, il s'agit d'un combat contre la mort, ce qui n'est pas du tout pareil, où chaque minute, chaque seconde compte, où malgré nous nous entendons, voyons le compte à rebours défiler, et peu importe que chaque jour nous constations que nous avons vécu un jour de plus. L'horloge ne s’arrête pas, elle défile à l'envers, et nous, tout ce que nous voulons, c'est au moins la bloquer, tant pis si elle ne va plus dans le bon sens, celui d'un demain ouvert comme au temps jadis, celui de la belle époque, celle où nous étions insouciant sans le savoir, non conscient de la réalité de notre condition, celle de survivant et, ce, depuis notre naissance. Oui, au moins bloquer l'horloge, pour quelques années au moins, le temps de voir nos enfants grandir par exemple, d'être en âge de supporter et surmonter notre disparition. Non, au delà de l'aspect purement physique, des dégâts généré par le cancer dans notre corps, il n'est pas aisé du tout d'être à l'aise dans sa tête, dans ses pensées, quelque soit le recul que nous essayons d'avoir vis-à-vis de notre sort. Oui, psychologiquement, là est peut-être le combat le plus rude, le plus âpre, celui qui cause le plus de tortures, bien plus que de supporter une chimiothérapie ou tout autre traitement. Dans cette lutte psychologique avec nous-mêmes,  il n'y a pas de médicament miracle, juste des béquilles pour ne pas boiter trop, pour ne pas se casser la gueule, pour ne pas se vautrer et rendre l'âme.

2 commentaires:

  1. Pourquoi toujours pensé au cancer et à la mort? la vie est là aussi
    Bon WE
    Mamy

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  2. Cher mamy, je pense à tout cela en ce moment parce que je suis en contact avec deux nouvelles personnes, Lila qui a un cancer cérébrale et Virginie qui est la compagne d'un homme qui a li-aussi un cancer cérébral. Du fait de nos échanges, sur ce blog et via facebook, cela m'amène à toutes ces considérations, bien malgré moi, je ne le cherche pas, elles s'imposent en moi, traversent mon esprit, mais soyez certaines qu'elles ne me perturbent pas plus que çà, qu'elles ne me rendent ni amer ni triste. Ce sont juste des constats, des constats qui n'engagent évidement que moi.

    Quoi qu'il en soit je suis ravi de vous retrouver (c'est que vous commenciez à me manquer), car je n'ai pas dans mon entourage, virtuel ou non, de personne qui a votre recul, un recul qui me fait grandement du bien, et c'est vraiment avec plaisir que j'écoute vos conseils, n'hésitant pas à agir dans le sens que vous me suggéré (comme avec ma fille par exemple), sans pudeur, sans gêne, car je crois que vous avez atteint une forme de sagesse dont je suis encore loin.

    Hier, lorsque j'avais 20 ans, 30 ans, je ne prenais pas en considération l'expérience de mes ainés. Pour moi, vous étiez tous d'une autre époque, avec d'autres valeurs que celles de ma jeunesse, et je pensais que nos mondes intellectuels étaient incompatibles, que nous ne pouvions être que de l'incompréhension mutuelle. Depuis j'ai appris, compris, que la sagesse était autre chose qu'une simple masturbation intellectuelle. Je ne saurai donner une définition exacte de la sagesse, mais je sais qu'elle rend la personne plus posée, moins enclin à l'outrance, l'outrage, la violence, que son regard est généralement très lucide, peut importe les constats qui sont fait, et du fait de son expérience de vie, surtout lorsque l'on votre âge, vu tant de chose, assisté à tant de choses, je ne pense pas que beaucoup de chose peuvent encore réellement vous surprendre. Oui, je crois que vous savez de quoi il en est des choses de ce monde et de vous-même, que vous savez pertinemment faire la distinction entre le futile et l'essentiel, chose que je découvre depuis peu pour ma part, et en cela vous ne pouvez qu'aider ceux et celles qui aspire à un peu de sagesse.

    Sinon je me sens vivre, croyez-le bien, mais de manière étrange, c'est indéniable. Peut-être que cela passera, que ma notion du temps, de demain, va encore évolué, me permettant de vraiment me projeter dans le futur, aussi proche soit-il ou non. Quoi qu'il en soit je me sens bien dans ma peau en ce moment et croyez bien que j'en profite.

    Quant au Mont Saint-Michel, je ne pouvais imaginer que cette excursion ne vous ferai pas plaisir. Cynthia et moi avons projeter de nous y rendre le mois prochain. Elle ne l'a jamais vu et, je le pense, il est a visiter au moins une fois.

    Enfin, concernant nos proches et leur manière de nous aborder par rapport à notre maladie, vous m'avez bien fait rire en disant que certains nous voyaient comme guéri et recommençaient (ou continuaient) à nous prendre la tête comme si de rien n'était. Oui, quelque part c'est un film comique....

    Je vous dis à très bientôt, vous embrasse bien fort et souhaite que vous soyez en bonne santé, aujourd'hui, demain, afin que vous profitiez de vos proches, toutes ces personnes que je vois à quel point vous aimez.

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