vendredi 29 mai 2015

Un jour sans...

29 mai 2015


Aujourd'hui est un jour sans. Sans quoi, je ne le sais exactement. Simplement je ne suis pas dans le même état d'esprit qu'hier, pas aussi serein, un peu tendu, vraiment pas réveillé malgré qu'il soit 14h00 et que j'ai dormi toute la matinée et le temps, cette fameuse notion du temps, n'est également plus la même que celle des jours précédents. D'habitude je me sentais dans la contemplation, assis dans une chaise longue sur un bord de plage, regardant les mouettes et les goélands voler, les nuages passer et les enfants courir sur le sable. Aujourd’hui, même si je dors debout, je me sens dans le mouvement, bien que comme à mon habitude, c'est à une terrasse de café que je suis attablé. Mais j'ai mon explication, au moins une explication, et elle vaudra ce qu'elle vaut. Donc, à cause de mes métastases et de la radiothérapie, un gros œdème s'est formé dans mon cerveau. Pour lutter contre ce dernier, contre ses effets exactement, je prend donc de la cortisone à haute dose depuis plus d'un an maintenant. La cortisone, à haute dose, rend actif, voire hyper-actif et, lorsque les doses sont vraiment très forte, tel que cela m'est arrivé d'en avoir, cela peut même vous rendre agressif, très agressif envers l'autre. Depuis deux jour, par suggestion de mon pneumologue, j'ai donc diminué la dose que je prenais jusqu'alors. C'est juste un comprimé en moins, trois au lieu de quatre. Mais du coup, mon corps est moins boosté, moins ragaillardi, et d'autres effets secondaires de la radiothérapie se re-manifestent, telles les nausées. En diminuant la dose de cet existant chimique, je redécouvre la faiblesse et la fatigue de mon corps. Mon ordinateur me semble deux à trois fois plus lourd que les jours précédents et, dans ma tête, tout marche au ralenti, voire ne voit même plus la surface. Donc aujourd'hui est un jour sans parce que je ne me sens pas spécialement à l'aise dans mon corps. Ce dernier se rappelle à mon bon souvenir, me signifie à nouveau dans quel état il est exactement, c'est à dire pas au plus haut.

Cet après-midi, si j'ai le courage, je vais aller m’acheter une nouvelle cigarette électronique. C'est Cynthia qui me l'offre. Elle veut, souhaite, espère que cela m'aidera, m'incitera à cesser de fumer mes cigarillos et, ce, définitivement. Mais aujourd'hui je ne me sens aucun courage, aucune envie de faire les magasins, aucune envie de me renseigner sur tel ou tel modèle de cigarette électronique, non, je ne me sens ni en état de parler ni en état d'écouter. Plus j'écris, plus les mots s'affichent sur la page, et plus je sens que je me détends, que je me relaxe un peu, que je m'apaise. Le temps me semble moins pressé subitement, reprenant presque son rythme normal, celui que je lui connais depuis quelques mois maintenant, c'est à dire du temps présent, de l'instant, du moment calme et éphémère qui ne soucie guère de celui à venir, que celui-ci se manifeste dans quelques secondes, quelques minutes et, à plus forte raison, dans quelques heures. Non, tout cet avenir n'intéresse pas le temps présent, pas plus qu'il ne m'intéresse, ne m'interpelle ou ne m'attire. Tout cela n'existe pas encore et, quoi que j'imagine de tout à l'heure, il est de forte chance que ce qui s'y déroulera ne ressemblera pas à l'idée que je peux en avoir maintenant, tout de suite. Alors je cesse de me projeter ou de projeter qui que ce soit, je prends les choses et les êtres comme ils viennent et, dans la mesure du possible, m'en accommode. Il est bon de ne plus rien contrôler, ne plus vouloir le faire, tout au moins de ne plus vouloir contrôler son environnement. Oui, c'est vraiment reposant, apaisant et beaucoup de souci puérils en moins. Plus d'encombrement dans l'esprit, plus de stratégie à mettre au point, plus de planification à élaborer. Même lorsque je prends ma fille en vacance, je ne prévois strictement rien. Je me lève le matin, lui demande si elle a des idées de sorties, si elle veut faire quelque chose de particulier. Si rien ne lui traverse l'esprit, alors je lui propose une balade, une promenade, ne sachant jamais où à l'avance, et c'est ainsi que nous parvenons néanmoins à occuper nos journées, à faire des choses ensemble, loin de l'ennui pour l'instant, tant pour l'un que pour l'autre, et je trouve cela parfait.

A Rennes, avec Cynthia, c'est le même processus qui est à l’œuvre de ma part. Là aussi je ne planifie rien, strictement rien. Je fais des propositions qui me passent par la tête à l'instant T et, à l'instant U, je peux parfaitement lui proposer autre chose. Après elle est libre, entièrement libre de me dire oui ou non, de m'accompagner ou pas, car il est vrai que je passe toute mes journée dehors. De la même façon, si elle a des choses à me proposer, en général j'accepte de les faire, de l'accompagner, histoire d'être avec elle, à ses côtés, et non chacun dans son coin, elle à la maison et moi dehors.

Donc aujourd'hui je ne parlerai pas Cioran, je n'ai pas la tête à penser ou à épiloguer sur ses aphorismes. Pourtant Dieu sait, s'il existe, si j'aime cet auteur. Oui, à mon regret il est bien trop méconnu, méconnu parce politiquement, moralement, voire philosophiquement incorrect. Il n'a jamais écrit de roman et, s'il l'avait fait, je me demande quelle trame et quelle tournure aurait pris ce dernier. A coup sûr, c'eut été un roman existentiel, mais y aurait-il eu un happy end ? De cela je doute. Un roman noir, noir de chez noir, voilà ce qu'il aurait rédigé. De même, s'il avait été directement ou indirectement concerné par le cancer, qu'en aurait-il dit, qu'en aurait-il déduit ? Comment nous aurait-il gifler à partir de cette anomalie de notre corps ?

Mais la cancer, est-ce vraiment une anomalie ? S'il est là, si les cellules cancéreuses sont là, ne le sont-elles pas naturellement ? Personne n’appuie sur un bouton, personne ne déclenche leur naissance à partir d'un produit, d'une substance, d'un médicament. Non, elles sont là naturellement et, en cela, je ne peux les concevoir comme une anomalie. Elles sont quelques choses qui m'emmerde, cela oui, comme un gros rhume ou une bonne bronchite, mais où est l'anomalie. Toutes nos cellules, aussi saines soient-elles, ne se reproduisent pas de la même façon, au même rythme, à la même fréquence. Chacune d'entre elle a sa spécialité, sa spécificité. La cellule cancéreuse n'échappe pas à la règle, tout simplement. Certaines de nos cellules sont programmées pour mourir, des cellules saines bien entendu, c'est là le propre de la vieillesse, sa caractéristique, qu'il s'agisse de cellules de la peau ou d'autres choses. Oui, dès la naissance , déjà dans le ventre de notre mère, lorsque nous ne sommes encore qu'embryon, déjà des cellules sont auto-programmées pour mourir, disparaître. C'est la raison pour laquelle nous ne possédons pas de palmes entre nos doigts lorsque nous sortons du ventre de notre mère. Pourtant, à l'état d'embryon, nous avons ces palmes. Notre corps commence par se construire ainsi. Puis l'ADN, l'information génétique ordonne à toutes ces cellules qui constituent nos palmes de disparaître, de mourir, de retourner au néant. Nous venons alors au monde avec des mains et des doigts, laissant nos palmes à un lointain passé.

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