lundi 25 mai 2015

Témoignage de Cynthia, ma compagne

25 mai 2015


Un verre d’alcool

Et me voilà à taper des mots sur le clavier. Des mots qui ne veulent rien dire, qui ne savent même pas pourquoi ils s’écrivent, des mots qui existent et qui meurent dès lors qu’ils s’écrivent. Sans laisser aucun souvenir. Sans raison. Qui se multiplient. Comme un cancer. Ses cellules.
Comme la maladie qui se répand. Qui commence par le corps du malade. Son lieu de vie. Et qui s’étend dans les corps tout autour. Les autres. Ceux qui sont encore sains. Qui ignorent le mal et la douleur.
Écrire pour quoi faire ? Quand il sera plus là, à quoi serviront ces mots ? A quoi ont servi mes mots jusque-là, sinon à lui ? A lui que j’aime et qui ne comprend plus pourquoi.

La maladie a cela de bon. Elle laisse le temps. Le temps de se dire les choses. Je t’aime. Au revoir. Je continuerai sans toi. En tout cas j’essaierai. Si je n’y parviens pas, je te demande de ne pas m’en vouloir.  Viens alors hanter mes nuits, les transformer en cauchemars. Montre-moi que tu existes encore ailleurs. Démontre-moi que la mort n’existe pas. Qu’elle n’est qu’un invisible. Un invisible transparent. Un invisible. Horrible.
Dis-moi que je ne t’oublierai pas, comme j’ai oublié l’enfant, le tout petit. Dis-moi qu’en fait tu resteras vivant.
Dis-moi des conneries.

Parce que sans conneries, je ne pourrai croire en rien. En plus rien. En un chien. Juste en un chien. Me remettre à lui pour me projeter vivre encore. Après toi. Sans toi. Sans Elle peut-être aussi. Comme Lui.
Écrire pour rien.
Parce que tout n’est que rien.

Et pourtant la vie est là. Elle existe. La maladie en fait partie. La mort aussi. En fait, on ne craint pas la mort. La mort de soi peut-être, mais jamais la mort de l’autre. On ne craint que la solitude. La survie. L’oubli. La reconstruction. On ne craint finalement que cela. Etre seul. Et se demander pourquoi. Pourquoi vivre. Encore. Puisqu’on est seul. Vivant alors sans raison d’être, sans que notre propre existence n’ait de sens pour personne.

Un jour, j’aimerai que les mots, les miens, soient utiles.

J’ai peur qu’écrire ne soit refermer la boucle.

Je crois avoir tellement à dire que je ne sais par quoi commencer. Et organiser l’illogique me paraît hors de portée. Il aurait fallu que je tienne un journal. Depuis ce 11 novembre 2013. Un journal d’états d’âme. Qui montrerait combien j’ai mûri en à peine deux ans. Combien la maladie, pour l’aidant, n’est pas systématiquement synonyme de mal, de souffrances, mais qu’elle est avant tout un bond en avant dans le temps, dans l’âge, dans la sagesse peut-être même. Un bond en avant dans la vie, en cela qu’elle inclue la faille et la fin.
En cela que la vie n’est pas rose.
Pour moi aujourd’hui, la vie reste un mystère qui s’acharne. 
J’ai tellement peur qu’ils meurent sans qu’ils sachent à quel point je les aime. Si entièrement. Si pleinement. D’un amour comparable à une bienveillance, à une acceptation pleine et entière de tout leur être, même meurtri. J’ai peur qu’ils meurent sans savoir à quel point ils m’ont appris, à vivre, à aimer, et je le sais déjà, à mourir, ou en tout cas à appréhender ma mort. J’ai peur qu’ils meurent sans savoir leur importance dans ma vie. Qu’ils sont cette raison qui fait que je suis. Que j’existe. Que ce qu’ils perçoivent comme un poids pour moi est en fait la seule véritable leçon de vie, le seul véritable cadeau qu’un être puisse faire à un autre : celui de la préciosité, la précarité.

Celui de l’Instant.


(Cynthia)





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