dimanche 24 mai 2015

Comme une absence

24 mai 2015


Absent je suis cet après-midi, dans un lieu, quelque part dans ma tête, que je ne saurai définir. Sans doute est-ce parce que je n'ai pas assez dormi cette nuit, que je me suis levé trop tôt, trop précipitamment, ne voulant pas manquer le moindre grain de jour qui se manifestait sous mes volets. Oui, d'entrée de jeu, mes yeux à peine ouverts, je voulais vivre, déjà profiter, de suite, de l'instant, du moment présent. Mais le manque de sommeil ne me permet pas d'apprécier à sa juste mesure cette journée, sa vraie valeur, car elle en a une, celle d'une journée supplémentaire dans ma vie, dans la vie. De même, et là je ne sais si c'est le manque de mon sommeil ou tout simplement mon cerveau, depuis ce matin j'entends des ondes en bruits de fond. Cela faisait longtemps que ce n'était pas arrivé, presque une semaine au moins. Je viens donc de prendre un antalgique, histoire que cela s’arrête, stoppe. D'ici une petite heure je serai fixé sur son efficacité, saurait si ces ondes radios ont disparu.

En ce moment, depuis quelques jours, j'ai l'impression d'être une femme enceinte avec ses envie de fraises. Moi, ce sont des envies de pizzas et de banana split qui s'empare de moi chaque après-midi, je ne sais pourquoi. Pourtant le couscous que j'ai mangé ce midi m'a calé, bien calé même, même si j'ai envie d'une glace néanmoins, d'une banana split, une envie presque irrépressible et, si dans le café où je suis actuellement il en proposait, je serai déjà entrain de la manger. Cela, je le crois, est un effet de la cortisone, cortisone qui a été augmenté pendant mon séjour à l'hôpital. Oui, ça ouvre l'appétit dès que je dépasse une certaine dose journalière, me donnant l'envie de manger, de dévorer toute la journée.

Je pense à Lila, à mamy, à d'autres également, toutes dans le même bain que moi à des degré divers, le cancer, la maladie encore une fois, ce qu'elle nous laisse espérer ou non, entrevoir ou pas. Pourtant nous ne sommes pas un club, non, pas du tout. Nous sommes des entités distinctes, des êtres à part entière avec des parts de nous-mêmes qui nous sont propres, spécifiques, uniquement cause de nous, de nos histoires réciproques. Lila croit en Dieu. Moi pas. Et après, qu'est-ce que cela change à notre sort quotidien ? Cela l'améliore-t-il, le rend-t-il plus âpre ? Non, chacun avec notre croyance, notre conviction, nous puisons en elle de la force, celle de tenir pour commencer, puis celle d'avancer, coûte que coûte, d'aller de l'avant, de ne pas baisser les bras même si la tentation peut se manifester fortement parfois. Oui, nous puisons de la force là où nous le pouvons et il n'y a pas de sot endroit en la matière, de sotte idée, tout est bon à prendre si cela nous permet de nous maintenir debout, presque vaillant, guerrier, guerrière, sabre à la main pour en découdre avec la mort. Au moins, pendant ce temps, nous vivons, et c'est bien là l'essentiel.

Je pense également à Cynthia, que j'aime, mais que je ne sais plus comment lui montrer. Je me sens si maladroit subitement, si inintéressant souvent, ne pouvant lui apporter que peu, très peu même, et cela m’emplis d'une espèce de chagrin sans larme. Tout cela n'est pas très gai, c'est vrai. Pour autant il n'y a rien de triste, c'est juste une espèce de désillusion, une croyance d'antan qui est tombée à l'eau, qui s'est noyée, me laissant seul avec mon regret, celui de ne plus être celui qu'elle a connu, celui de ne plus être celui que je croyais être, ou étais, lui apportant alors mon savoir, libre à elle d'en faire ce qu'elle voulait alors, mais au moins je lui apportais ça. Aujourd'hui, le seul savoir que je lui transmet, c'est ma nouvelle identité, celle que je découvre au fur et à mesure au fil des jours qui passent, inlassablement, impassiblement, mais qu'est-ce que cela lui apporte concrètement, en quoi cela l'a fait-elle grandir, mûrir, apprécier de nouvelles choses ? Lorsque nous serons à Besançon, je redoute d'être encore moins, de faire encore moins, de lui être de plus en plus inutile. Oui, j'ai bien du mal à me projeter là-bas, autant que j'en ai à me projeter à la semaine prochaine. Alors je ne sais pourquoi, là, subitement, je pense à ma fille et cela me revigore. Cependant je ne vais pas appeler, alors que j'ai envie d'entendre sa voix. Mais je ne veux pas qu'elle entende la mienne, je ne veux pas qu'elle constate que je n'ai rien à lui dire, car si je devais parler ce serait pour dire des choses mélancoliques, presque sombres, et cela je ne le veux pas. Non, dans la mesure du possible je souhaite qu'elle reste dans son insouciance. Elle aura bien le temps pour souffrir, pour connaître, apprendre, devoir gérer la véritable souffrance. Sa vie, quoi qu'elle devienne, mettra forcément des épreuves rudes sur son chemin. Ce sera alors le début des vraies désillusions, mais plus tard ce sera et mieux ce sera, là est mon point de vue.

J'écris j'écris, mais les ondes radios ne disparaissent pas de ma tête, de mon cerveau. Elles sont mon fond sonore continue, mais ma foi je crois que je m'y fait, que je m'y habitue. Leurs venues ne me surprends même plus, c'est le contraire qui deviendrait étrange. Que m'en dira mon pneumologue la semaine prochaine lorsque nous ferons le point sur ma santé ? Je me le demande, car le cerveau n'est pas spécialité. Peut-être devrais-je consulter un neurologue, qui sait ?

Je repense à Cynthia, à ma fille, je sais bien que je les aime, mais ce n'est plus comme avant, le sentiment n'est plus le même, il a changé, s'est modifié. Je le sais parce que je l'éprouve et si ma tête, ma pensée, ma logique peut me jouer des tours, mon cœur ne le peut. Ce que j'éprouve je l'éprouve, c'est clair et net, comme de l'eau dans un verre transparent, mais je ne comprends pas ce nouveau sentiment, je n'arrive pas à mettre de mots dessus, à le nommer. Je sais simplement qu'il n'est plus celui d'hier, celui que j'éprouvais lorsque je les pensais ou étais en leur présence. D'ailleurs, il en va de même avec tout le monde, sans exception, ma mère, ma sœur, mon frère, mon meilleur ami. Tous je tiens à eux, c'est indéniable, évident dans mon esprit, mais dans mon cœur je n'éprouve plus du tout les mêmes sentiments à leur égard. Pourtant ces sentiments sont bien là puisque j'éprouve néanmoins quelque chose. Le sort de mon meilleur ami ou des membres de ma famille est important pour moi. Je n'ai pas envie qu'ils souffrent, qu'ils aient mal, qu'ils soient tristes ou malheureux, mais pourtant dans mon cœur rien ne se passe plus comme avant. Les sentiments d'hier morts, je le crois, cédant leurs places à une autre forme de sentiments. Mais cette dernière m'est pour l'instant impalpable, intouchable, innommable. Ça ressemble à du détachement, à une espèce de détachement, mais se détacher n'est-ce pas antinomique avec « aimer » ? Même si j'ai beaucoup lu sur la religion en général, je méconnais par contre toute la doctrine bouddhiste, doctrine dont le détachement fait partie. Peut-être devrais-je lire là-dessus, m'informer, augmenter ainsi mon savoir en la matière. Oui, dans mon esprit, se détacher c'est quelque part s'éloigner. S'éloigne-t-on de gens que l'on dit aimer ? Pourtant, dans les faits, c'est un peu ce que je fais depuis un an. Je m'éloigne, me dissipe, me dissimule. Mon blog m'aide beaucoup à cela et, peut-être, est-ce là sa seule raison d'être, me cacher, m'enfouir, disparaître physiquement de la surface, m'éloignant ainsi plus facilement de mes proches, de tout mes proches, afin de rendre plus supportable, éventuellement, mon calvaire, la maladie, ma peur de la mort, peut-être même ma peur de vivre en conséquence. Oui, c'est peut-être cela. Depuis que j'ai appris mon cancer, sans doute ais-je peur de vivre, tout simplement.

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