lundi 28 septembre 2015

Cancer et encore cancer

28 septembre 2015


J'ai encore passé une sale nuit, nausée, vomissement, nuit hachée, découpée, et de fil en aiguille j'en suis arrivé  à me réveiller vers midi. Cela m'apprendra à trop manger le soir, à avoir un cancer, et à avoir l'estomac à moitié  détraqué. Certes, je prends des anti-nauséeux, mais ils sont d'une très relative efficacité. Ceci dit, comme hier, le soleil règne sur Belfort, mais le vent gâche tout. Je suis obligé pour ne pas avoir froid de porter polo, pull, et doudoune fermée, comme si j'étais à Rennes ou à Paris en plein hivers. Donc, je ne suis pas pressé de ressentir l’hiver d'ici.

Sinon, je suis déjà à demain, dans les préparatifs de mon voyage d'après-demain. En dehors de l'intégralité de mon dossier médical, je ne prendrai que le strict minimum, car je me demande bien comment je vais pouvoir porter tout ça jusqu'à la gare. A l'arrivée, tout devrait alller bien car ma nièce et ma mère viennent me chercher. Ma nièce portera mon dossier médical, bien plus lourd que le peu d'affaire que je prendrai. De même, je pense toujours au 2 octobre, au soir exactement, me demandant si j'irai de suite dans un foyer pour SDF ou non. Je pense que oui, mais qui sait ce qui peut encore se passer d'ici-là.

Je viens de téléphoner à mon beau-père et son ton était d'une fatalité qui ne dit pas son nom, sans l'ombre d'une pointe d'humour, lui qui est toujours le premier à rigoler ou à lancer des calambours. Pour sa femme, c'est de pire en pire, tout est touché, il y a des métastases partout, et là où elles lui font le plus mal, ce sont dans les os et les articulations, celles des bras et des jambes. Tout ce qu'on lui donne pour calmer ses douleurs ne la soulage que peu, n'ôte pas toute la douleur pour autant. Lætitia, la sœur aînée de Cynthia était avec Bernard. J'ai discuté un peu avec elle. Comme Cynthia, elle n'avait vraiment pas un ton à la joie, on sentait dans ce dernier un parfum de mort, celle à venir de sa mère, et bien plus que de l’inquiétude, comme pour son père, était sous-jacente la question « quand » ? Cependant, même si sa mère est dans ce sale état, cette dernière veut continuer à se battre, à se soigner, et a demandé à l'oncologue de lui faire faire les séances de chimiothérapie initialement prévues, séances que l'oncologue ne voulait pas reprendre, estimant que ma belle-mère ne pourrait les supporter et que, de toutes les façons, elles ne serviraient plus à rien pour ralentir la progression de la maladie. Pour mon beau-père, Bernard, les choses sont entendues et, comme il me l'a dit tout à l'heure, lui qui l'a voit tous les jours, il ne peut que constater qu'elle dépéri toujours un peu plus chaque jour et ne se fait plus guère d'illusion. Si j'ai les moyens financiers, que ma fille soit là ou non au mois d'octobre, j'essayerai de passer deux ou trois jours à Lyon, car moi aussi j'ai peur que le pire arrive avant que je ne lui prenne la main, même si c'est la dernière fois. Quelque part je me dis que même face à cette maladie nous ne sommes pas tous égaux face à la mort. La mère de Cynthia souffre physiquement, rien ne la soulage réellement, tandis que moi, lorsque mon cancer sera en phase finale, je ne ressentirai rien, aucune douleur, aucune conscience, je serai parti de ce monde avant même d'être mort, dans je ne sais quelle espèce de coma, sans plus rien éprouver et sans plus penser.

Hier, Anne, pas celle de Rennes, mais celle de mon enfance, de mon adolescence, qui était régulièrement ma nounou, sa famille habitait dans l'appartement situé au-dessous du nôtre, donc Anne m'a envoyé un long SMS me disant qu'elle me lisait régulièrement. Comme d'autre, c'est une cachottière qui ne laisse pas de trace sur ce blog, pas plus qu'elle ne m'appelle. Je ne sais donc pas ce qu'elle pense de ce que j'écris, de mes idées, états d'âmes, etc. Mais ce n'est pas grave, car qu'es-ce que cela changera à ma condition et la manière dont je la vis ? Du coup, je repense à Anne, mais celle de Rennes. Je lui avais dit que j'essayerai de rédiger un tableau de Rennes, mais je ne l'ai pas encore fait. Pour se faire, j'aurai besoin d'être complètement concentré sur cette année merveilleuse passé là-bas, comme l'on est concentré lorsqu'il s'agit de rédiger un poème, chose difficilement accessible à présent pour moi. Pour rendre le vrai de Rennes, tel que je l'ai vécu, il faut pouvoir dire le beau, l'enthousiasme, l'élan, la plénitude, tout un tas de choses à développer, sinon c'est comme acheter une boite de conserve plutôt qu'un bon plat fait par un traiteur. Mais un jour me viendra l'envie et la force de consacrer un portrait à cette ville. Un jour j'ai fais un portrait de Paris, c'était juste avant de partir pour Lyon, à la conquête de Cynthia. Le portrait n'était pas glorieux, car Paris, sans ses monuments et ses vieux quartiers, serait indigeste.

J'aimerai quand même écrire des choses plus gais, comme ma journée d'aujourd'hui que j'ai passé agréablement, sans prise de tête avec personne, même avec ma mère qui m'a appelé pour un courrier quelconque adressé à mon nom, à son adresse, endroit que je n'habite plus depuis 2008. Je lui ai dit de le jeter et, encore une fois, il a fallut que j'insiste. Ma mère me fatigue, vraiment, rien ne peut être simple avec elle, elle a toujours quelque chose à redire quelque soit votre propos, votre souhait ou votre acte. C'est plus que lassant, ce l'était déjà avant et ça l'est plus encore maintenant, car devoir convaincre, non seulement ne m'intéresse plus du tout, mais en plus m'épuise. C'est de l'énergie perdue pour rien tandis que je ne demande que du repos. Mais bon, là encore, je n'écris rien de très gai. Est-ce à dire que je ne trouve que dans les choses qui paraissent trites, mornes, sombres, matière à penser ? Effectivement, je ne pense pas aux plages et au soleil tous les jours, effectivement je ne suis pas gai plus que çà en pensant au séjour de ma fille auprès de moi du 17 octobre au 28. Enfin de compte, plus rien ne me rend véritablement gai, aucun moment passé avec quiconque ou seul ne me transporte, cela m'a également l'air révolu dans mon évolution psychologique, plus rien ne m'impressionne, pas plus que rien ne me surprend vraiment, que ce soit dans le pire ou le meilleur. Oui, plus ça va, et plus j'ai l'impression de devenir un imperméable sur qui tout coule, que rien n'affecte réellement, que plus rien d'extérieur ne peut pénétrer, seule l’évolution de mon cancer me posant le seul réel problème, la seule chose qui me maintienne éveillé, la seule chose qui est encore un réel intérêt pour moi, bien avant qui que ce soit, quoi qu'il se passe, mais ce n'est pas volontaire, ça s'est imprimé ainsi dans mon cœur et dans ma tête, et je fais que suivre le mouvement, les vagues que cela provoque ou non. Non, honnêtement, je ne me sens pas triste, pas plus que les sujets que j'aborde, même si je comprend parfaitement qu'ils peuvent être rébarbatifs, tristes à vos yeux, voire déprimant, non, tout cela n'est pas ainsi pour moi. Bien que je le cherche pas, je constate que je prends tout avec beaucoup de recul, y compris l'état critique de ma belle-mère, et dans la mesure de ce que je peux, mon propre état. Certes, lors des mauvaises nouvelles, qu'elles me concernent ou non, je suis pris à vif, je suis en plein dedans, la tête dans le guidon, mais trois ou quatre lus tard c'est comme si tout s'estompait, prenait un autre angle, un autre visage, et plutôt que de me lamenter, d'avoir le cœur toujours serré par ce que j'ai appris, j'en acceptai la fatalité, revenait à l'essentiel, c'est à dire la santé, condition indispensable pour continuer à vivre. Toute ma vie, parce que mon corps n'a jamais été en danger, moi j'étais essentiellement mon intellect, comme la majorité d'entre nous, ne me préoccupant absolument pas de mon corps puisqu'il marchait. C'était s'ignorer, ne rien comprendre à ce que nous sommes, car lorsque le corps se détraque, ce n'est pas l’intellect qui peut le guérir. Au mieux notre intellect peut nous aider à supporter notre état, à garder tant que se peut le moral, mais face à des maladies mortelles, que peut-il faire ? Dans nos sociétés modernes, on a oublié, voire on ne sait tout simplement pas, comme moi, ce que signifie « une bonne alimentation », l'importance de l'entretien physique de son corps, car c'est bien beau de n'entretenir que l'intellect, que ce soit à l'école, en se cultivant ou en faisant des sorties culturelles, encore une fois, si un jour le corps lâche, c'est le plus souvent parce que vous l'aurez délaissé.

Voilà, ma journée dehors est sur le point de se finir. Je vais rentrer à la maison, rejoindre Cynthia et notre grosse chatte, dîner léger afin de ne pas connaître à nouveau les déboires de ma nuit passé. IL fait encore jour, mais la nuit ne va pas tarder à tomber. J'ai encore envie d'écrire comme d'autre désirerait une glace au chocolat, mais sur quoi, je n'en sais rien. Ou plus exactement, si, je sais parfaitement sur quoi disserter, toujours le cancer, le mien, celui de ma belle-mère, de l'échéance de la mort que cela signifie, de ce que signifie vivre dans ces conditions. Mais bon, j'y reviendrais une autre fois, forcément, inévitablement, caron ne peut se séparer de son corps, surtout quand celui-ci programme votre fin, que vous le savez, et qu'il n'y a aucune issue possible mis à part des pansement et de la pommade.

2 commentaires:

  1. Non Hicham, ce que vous vivez m'interpelle aussi; je voulais juste vous dire que, si cette semaine, je ne vous écris pas, ça n'est pas parce que je ne penserai pas à vous, c'est que j'aurai peu de temps pour écrire. Mais je lirai vos écrits. Je pense beaucoup à Cynthia; pauvre petite, perdre sa maman est terrible.
    Je vous embrasse très fort
    Mamy

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    1. Bonjour Mamy,
      partant à Paris demain, certainement pour une succession de consultations ou d'examens, je serai certainement également très pris. De même, Paris étant une ville très fatigante pour moi dès que je m'y déplace, je ne sais si j'aurai la force d'écrire beaucoup.

      J'ai reçu le recueil de Zazou, il va m'accompagner lors de mon périple. Certainement y mettrais-je des annotations, comme je fais souvent les rares fois où je lis. Elle m'a également adressé une lettre qui m'a touché, où elle parle de vous d'ailleurs (vous êtes incontournable). Ne pouvant écrire je lui répondrai par mail et, si j'osais, je lui enverrai en retour un recueil de Cioran. Je verrai....

      En attendant profitez bien de votre famille et je vous dis à bientôt !

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