mercredi 2 septembre 2015

Réalisation

2 septembre 2015


Retour, sans réelle direction, ne sachant où aller et pourquoi y aller, j'accuse le coup avec un temps de retard, comme d'habitude. Malgré mes petites pilules miracles qui me permette d’accueillir la nouvelle sans que je ne m'écroule, sans que je ne panique trop, je sens moins l'anxiété, là et bien là, preuve que je n'ai pas digéré ni assimilé l'idée d'être complètement irradié du cerveau. Oui, il ne s'agit plus de tenter le tout pour le tout, de se dire que l'on verra après ce que l'on peut faire si l'irradiation localisée ne fonctionne pas. Non, en m'irradiant complètement, on passe à la phase extrême, celle après laquelle nous ne pourrons plus rien faire, qu'il s'agisse de mes tumeurs qui grossissent ou de nouvelles métastases qui se développent. Sale affaire, je suis dans une sale affaire.

Hier soir ma fille m'a demandé que l'on se voit ce week-end. A mon grand regret je lui ai dit que ce n'était pas possible car je n'avais pas assez d'argent. Par contre je lui ai dit que j'en aurai bientôt, au mois de septembre ou octobre, et que nous passerons ses vacances scolaires ensemble. Oui, j'ai donc raconté à Jade quelle autre solution me proposait le radiothérapeute. Immédiatement j'ai senti sa voix trembler, me disant de suite que c'était forcément dangereux. Je lui ai répondu qu'il n'y avait pas le choix pour me faire durer le plus longtemps possible, et tant pis s'il y avait des séquelles. C'est à ce moment-là qu'elle a demandé à me voir ce week-end. Ah, ma brave fille qui voudrait faire tant de chose pour moi, tant me donner du plaisir du haut de ses treize ans, comment ne pas l'aimer ?

Donc l'irradiation totale me fait peur, bien plus que le protocole qui avait été initialement prévu, à cause de la signification profonde de cet acte qui indique bien que la cause est perdu. Mais comme m'a dit Tony, mon meilleur ami, tant qu'il y a de la vie, il faut garder l'espoir. Lorsque l'on est dans mon cas, a-t-il tort, a-t-il raison ? Et si je dois garder l'espoir, ce n'est qu'en celui des découvertes de la recherche médicale, des éventuels nouveaux traitements qu'elle pourrait trouver. Mis à part cet espoir-là, je n'en vois pas d'autres à ma portée.

Depuis ce matin je pense à tout et à tout le monde, vous y compris, comme si je vivais ma dernière semaine avec vous, ma fin étant pour dimanche ou lundi. Plus encore j'ai envie de lire Cioran, mais je n'ai pas assez de force mentale pour pouvoir véritablement me concentrer sur sa pensée.

« Au fond de soi, chacun se sent et se croit immortel, dût-il savoir qu'il va expirer dans un instant. On peut tout comprendre, tout admettre, tout réaliser, sauf sa mort, alors même qu'on y pense sans relâche et que l'on y est résigné.» (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Il me semble que c'est bien cela qui m'arrive, que c'est cet état d'esprit qui m'aspire, que je ne réalise pas vraiment que bientôt, c'est-à dire pas dans une décennie, même cinq ans, je serai mort, que je dois m'y préparer, me préparer à ce jour où je serai étalé définitivement dans un lit, mais comment se prépare-t-on à cela ? En ruminant dessus tous les jours ? En attendant patiemment que les choses arrivent comme elles doivent arriver, sans s'en préoccuper quelque part ?

Si j'étais courageux, sachant que ma fin est plus ou moins proche, je ne me ferai pas irradier et laisserai mes tumeurs grossir, jusqu'à ce qu'elles étouffent mon cerveau à l'aide de mes œdèmes. Je.     tomberai alors petit-à-petit dans le coma, s'en même m'en rendre compte. Toute ma vie j'ai entendu parlé du cancer, ma grand-mère et ma tante en sont mortes, et pourtant je ne l'avais jamais vraiment associé à la maladie grave que l'on nous décrivait. Oui, je pensais qu'elle ne touchait qu'une minorité de personne et que beaucoup pouvaient être soignées, guéries. Quelque soit le protocole de soins qui m’attend, cela me rappelle la fin de vie de mon grand-père maternelle. A l'époque, il avait l’aorte qui se bouchait et les médecins préconisaient de l'opérer. Avant d'entrer à l'hôpital, mon grand-père était parfaitement valide, pouvant faire tout ce qu'une personne en bonne santé pouvait faire. Il était réticent à se faire opérer et c'est suite à mon insistance et celle de son fils, le frère de ma mère, qu'il accepta que cela se fasse. Il rentra donc valide à l'hôpital, se fit opérer, chopa je ne sais quel microbe juste après, passa près de deux mois en soins intensifs, ne pouvant plus parler ni bouger, avec des tuyaux de tous les côtés, y compris pour respirer, et un beau jour on le transféra dans ce que j'appelle une maison de la mort. Le lendemain, effectivement, on nous annonçait sa mort. Depuis ce jour je me suis juré de ne plus inciter qui que ce soi à se faire opérer, traiter, si tel est son choix. Ainsi, lorsque l'on m'irradiera, je pense que cela sera également ainsi. Par pallier, par étape, en un laps de temps peut-être plus long que celui de mon grand-père, je partirai de la même façon, avec des tuyaux de partout, le temps que les médecins prennent la décision de tout débrancher du fait de mon coma irréversible.

Comme hier, je me demande ce que je dois penser d'aujourd'hui, de ce nouveau jour qui m'est accordé. Oui, que je fasse quelque chose ou non, tout cela est du futile. Je suis dans l'attente, mais je ne sais ce que j’attends car je ne sais ce qu'est la mort. Par contre mourir, je sais un peu plus chaque jour ce que cela signifie.

« On ne redoute l'avenir que lorsque l'on n'est pas sûr de pouvoir se tuer au moment voulu. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, je redoute l'avenir car j'ai peur de quitter ma fille trop tôt, trop tôt pour elle.

« Tant qu'on vit en deçà du terrible, on trouve des mots pour l'exprimer ; dès qu'on le connaît du dedans, on n'en trouve plus aucun. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Là-aussi, de sentir, d'éprouver la mort vous gagner, vous envahir plus ou moins précipitamment à travers diverses manifestations physique ou psychique, oui, il est dur de la définir, de la décrire, de se décrire soi-même, de bien entrevoir où elle nous emmène dans la pensée, d'être au clair avec ses idées.

2 commentaires:

  1. Mon cher Hicham

    Que vous dire sinon garder l'espoir; c'est facile à dire bien sûr mais si vous baissez les bras, ça sera plus difficile. Et comme dit Zazou:" il faut donner de la vie aux jours" Donc très bien le petit resto pour votre anniversaire
    J'ai vu que Bérengère (Zazou) vous avez écrit; Je lui avais demandé, vous sentant un peu perdu. Connaissant sa gentillesse, je savais qu'elle vous écrirait.. Elle a une vie normale mais pas banale. Même si nous sommes séparés de 750 km, nous nous voyons 4 à 5 fois par an; et je sais, qu'en toutes circonstances, nous pouvons compter sur elle et sur son mari.
    Ses filles sont belles et intelligentes mais je ne suis pas particulièrement objective quand je parle d'eux; Elle, nos fils et nos petits enfants sont ce que nous avons de plus précieux. Et j'essaie de ne pas être une mère et une belle mère trop ch....mais c'est à eux de répondre. Ca se passe assez bien avec tous Mais comme je comprends le désarroi de votre maman. Un enfant malade -même s'il a 48 ans- c'est tellement injuste
    J'espère que vous verrez Jade très vite pour elle mais aussi pour vous; cela fera du bien à tous les deux. Dîtes la vérité à Jade; par expérience, je peux vous dire que les non dits sont destructeurs et on ne s'en remet jamais totalement
    J'ai aussi une pensée pour Cynthia. L'enseignement est une chose difficile aujourd'hui, Bérengère en parle souvent; nous ne pouvons qu'écouter ces jeunes enseignants

    Bon courage pour les jours et semaines à venir. Si cela peut vous aider, vous n'êtes pas totalement seul, bien des ami(e)s pensent à vous
    Je vous embrasse ainsi que Cynthia et Jade
    Mamy



    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Mamy, il n'est pas dans mon intention de baisser les bras, même si l'espoir est parfois difficile à entretenir. Pour Cynthia, pour ma fille, mais également pour vous qui me soutenez, je ne me vois pas tout tenter pour que la maladie ne m'achève trop tôt. Je m'en remet donc aux médecins, les incitent à se mettre en contact les uns avec les autres, pour qu'ils décident, en leur âme et conscience, ce qui sera le préférable pour moi. A présent que je les ai tous rencontré, je suis certain qu'ils essayeront de tout faire au mieux pour que je m'en sorte le plus longtemps possible. Cependant je ne me fais pas plus d'illusion que ça, la médecine a aussi ses limites.

      Sinon oui, votre fille m'a écrit et cela m'a vraiment fait chaud au cœur. Cela m'a instantanément ramené à l'époque où je l'ai croisé sur son blog. C'est la première bloggeuse que j'ai croisé sur internet (avant je n'allais jamais sur internet) et de suite ses poèmes m'ont parlé. Ainsi, depuis 2008, même si j'ai quitté la blogosphère la même année, je n'ai pas raté une seule de ses publications. Je suis heureux de constater que vous vous entendez très bien. Ainsi, chaque retrouvaille doit être chaleureuse et, d'après ce que j'ai compris, vos petits-enfants n'étant pas des petits monstres intenables, vous devez vraiment passer de bon moments ensemble. J'aimerai m'entendre aussi bien avec ma mère, nous sentir complices, mais cela ne l'a jamais été. Du coup, lorsque je la retrouve, je suis toujours un peu sur la défensive, rarement détendu. Il en va différemment lorsque je suis avec ma sœur et sa fille, et encore plus différemment, plus agréable, lorsque je suis avec Jade.

      Quant au désarroi de ma mère, désarroi que je comprends parfaitement, je ne sais comment me comporter envers elle. J'avoue qu'elle me saoule avec ses espoirs, ses conseils qui n'arrêtent pas, et régulièrement cela m'irrite tellement que je l'a remet en place plutôt sèchement. Après je regrette, alors je la rappelle pour m'excuser, aplanir les angles. Mais bon, ce n'est pas simple de ne pas se sentir être écouté, entendu, de constater qu'elle a toujours quelque chose à dire par rapport à mes choix (ce ne sont jamais les bons, ou presque, ou alors je n'en fais pas assez).

      Enfin, concernant Jade, je lui dit la vérité, toute la vérité, en essayant d'éviter de tomber dans le pathos. Je ne veux pas qu'elle ait de moi l'image de quelqu'un qui se plaint de son sort. Au contraire, j'essaye de l'inciter au maximum de profiter de tout les bons moments qu'une vie met sur notre chemin. Je lui explique que c'est ce que je fais, à ma sauce.
      .
      Je vous dis à bientôt Mamy, et encore merci pour votre présence.

      Supprimer