samedi 19 septembre 2015

Réflexions

19 septembre 2015


Plus ça va, plus je pense à mon cancer, omniprésent dans mon esprit, tel quelqu'un qui penserait, visualiserait sans cesse la campagne, les champs, les bosquets, une contemplation sereine, oui, plus ça va et plus je me sens comme un nomade de l'existence, existence qui permet les étoiles, les cieux, l'atome, exilé pour un temps dans le monde du vivant, des cellules, des molécules, avec pour tout support mon ADN, mes informations génétiques, celles qui permettent au corps qui m'enveloppe de se détraquer ou non. Quoi qu'il en soit, je me considère comme son passager, destiné à descendre de ce wagon de l'existence tôt ou tard. Oui, je n'ai aucune raison d'avoir peur de la mort, ne sachant strictement pas ce qu'elle est. Face à elle, ce que j'oppose, ce qui s'exprime est la peur de l'inconnu, uniquement cela, une peur non raisonnée, non raisonnable, infondée en l'état. La mort me fait aussi peur, car elle signifie séparation, séparation avec mes proches, avec ce monde, seul monde que je connaisse, et l'angoisse d'emporter dans ma tombe le souvenir de tout ceci. Oui, je m’efforce à croire que la mort est bien la fin de tout, de la conscience, de la pensée, des sentiments, une mort définitive de tout ce qui constitue mon identité humaine, mon identité d'être vivant. Pourtant, en arrière-fond dans ma pensée, je ne peux m'empêcher d'envisager que j'emporterai avec moi, dans ma tombe, je ne sais quel témoignage de mon existence humaine. Cependant je ne peux me résoudre à croire que ces souvenirs soient d'ordre intellectuel. Non, je pense qu'ils seront une forme chimique qui entrera en interaction avec d'autres formes chimiques, entraînant, générant un autre corps adapté à la Terre, que ce corps pourrait être vivant comme uniquement de la matière inanimée, mais qu'Hicham n'existerait plus quoi qu'il en soit. Cette pensée, idée, de faire partie d'un processus sans fin est un point de vue qui m'apaise, car elle signifie que même si l'humain que je suis aura un terme, pour autant mon existence ne cessera pas, elle continuera sous une autre aspect, dans un autre espace-temps, c'est tout.

En ce moment je prépare donc mon séjour à Paris. J'y monte à la fin du mois et j'ai demandé à ma nièce de m'assister dans mes déplacements, en venant me chercher à la gare de Lyon pour commencer, afin de m'aider à transporter ma valise et tout mon dossier médical, puis pour m'accompagner à mon rendez-vous avec le professeur en radiothérapie, car mon dossier médical étant conséquent et trop lourd pour moi, c'est elle qui le portera. De même, si c'est possible, je ferai en sorte qu'elle assiste à mon entrevue avec le professeur. Je me dis que cela lui fera une expérience et que plus tard, cela pourra peut-être lui servir. De même, elle sera ainsi parfaitement au courant de ma situation, une manière comme une autre de la préparer à ma disparition prochaine et, avec ses mots à elles, de préparer également ma fille, sa seule cousine, à cela. Cependant je ne lui demanderai pas de le faire. Si le sujet tombe sur la table entre elles, alors cela se fera. Oui, je veux impliquer ma nièce dans ma maladie maintenant qu'elle devient plus raisonnable, espérant ainsi qu'elle réalisera la fragilité de la vie, qu'elle se doit de tout mettre en œuvre pour en construire une qui lui plaira, qu'à tout moment l'un de ses proches pourrait à son tour disparaître et, qu'à ce titre, mieux vaut entretenir de bons rapports avec les gens, famille ou autres, et passer de bons moments ensemble.

Je me découvre vouloir délivrer des messages de paix, faire prendre conscience aux gens que la paix, y compris via les compromis, vaut mieux que n'importe quel conflit. Et dire qu'hier c'était tout l'inverse. J'étais pour le combat, l'attaque, tant pour me défendre physiquement que pour défendre  mes idées, n'hésitant pas une seconde à marcher sur l'autre, à cracher sur lui s'il le fallait. Toute ma vie ou presque j'ai été à côté de la plaque, parce que je me voyais immortel, donc comme obligé d'asseoir ma place dans ce monde et de tout faire pour la conserver. Mais j'ai fais le choix de défendre et d'affirmer une mauvaise place, celle de celui qui fait peur, que l'on craint, que l'on ne désire pas provoquer. A présent, et cela a commencé quand j'ai rencontré Cynthia, j'ai constaté au fur et à mesure des années qu'il n'était nul besoin d'essayer d’impressionner les gens pour qu'ils vous respectent, vous laissent tranquille et, le cas échéant, vous aident. Pourtant, moi qui sait pousser un raisonnement jusqu'à son extrême, comment ais-je pu être aussi sot à mon égard, envers moi-même ? J'ai ainsi pourri ma vie et celles de bien des gens qui ne méritaient pas ça, à commencer par celle de ma mère avec qui, même si j'étais en désaccord total sur presque tout, j'aurai pu ignorer, fermer les oreilles quand elle racontait des inepties, lorsqu'elle tenait des propos anti-sémites, etc. Oui, j'aurai pu me taire, ne pas répondre, ne pas la provoquer en l'amenant sur des sujets sensibles pour elle, sujets où je me faisais fort de la casser, de la briser dans se idées, de la ridiculiser le cas échéant. De même, j'ai été très brutal, voire souvent insolent dans mon ton lorsque j'avais quelque chose à lui dire. Aujourd'hui, je lui répète toujours ces mêmes choses, mais sur un ton calme, non sujet au conflit et, du coup, nous nous quittons maintenant en bon terme, même si de part et d'autre l'ego en prend parfois un coup, même si de part et d'autres nous faisons à présent l'effort de prendre sur nous pour que rien ne dégénère. Oui, même avec des gens que je côtoie encore et qui m'ont fait des coups tordues dans le passé, je ne cherche plus à régler mes comptes. J'ai mis un trait sur tout cela, non pas comme si cela n'avait jamais existé, mais tout simplement parce que j'estime que ce n'est plus d'actualité, que ce serait épuiser le stock du peu d'énergie que je conserve encore. Ce stock d'énergie, cette petite réserve, je la veux pour vivre au mieux ma maladie, physiquement et psychologiquement, et pour protéger mes proches, dans la limite de ce que je peux porter, garder en silence, afin de ne pas leur donner plus d'inquiétude qu'ils n'en ont déjà.

Ce matin j'ai rencontré un monsieur, Fred de son prénom, un parfait inconnu qui m'aborda en me disant qu'il m'avait vu à la gare de Belfort je ne sais quand, m'entretenant au téléphone avec quelqu'un au sujet de ma maladie. Constatant qu'il désirait dialoguer, entamer une conversation avec moi, je l'invitais à prendre un café. Cependant, il ne fût pas une seule fois sujet de ma maladie. Il me racontait sa vie, de motos, de ses enfants, de ses amis. J'appris ainsi qu'il avait grandi à Paris et qu'à l'âge de 33ans il partit s'installer en Bretagne, à Rennes comme par hasard, et que cela faisait une vingtaine d'année qu'il habitait Belfort. Il n'arrêtait pas de parler, c'était une vraie locomotive, et il me rappelait certains patients que j'avais croisé lors de mes séjours en hôpital psychiatrique. Comme eux, il ne se souciait guère de savoir si ce qu'il me racontait m'intéressait ou non, il ne cherchait pas plus à savoir si je portais attention à ses propos, il n'attendait également aucune question, son seul but était de parler, de s'exprimer, et de constater qu'une oreille l'écoutait, qu'un individu s'intéressait à lui. Oui, il était dans un monologue, il aurait pu se parler à lui-même face à une miroir, et n'attendait aucune réaction particulière de ma part, hormis que je reste en sa présence. J'ai tenu une bonne demi-heure à l'écouter distraitement tant je ne me sentais pas concerné par les sujets qu'il abordait, puis l'ai quitté. Je ne sais pourquoi, mais tout au long de ma vie j'ai attiré ce type de personnage, homme ou femme, des êtres un peu perdus, voire complètement à côté de la plaque, mais pas agressifs pour un rond.

Je m'interroge sur ce que signifie parler de son cancer, ou du cancer d'une manière générale. On peut en parler de façon purement médicale, expliquant par A+B comment il se crée, comment on le détecte, quelles thérapeutiques sont à dispositions, quelles statistiques sont à dispositions, comment il est possible de l'éradiquer ou non selon le stade auquel il est avancé, selon l'endroit où il est localisé, mais qu'est-ce que tout cela nous dit sur la personne qui le vit ? Absolument rien. Oui, une maladie, même non mortelle, modifie une personne tant que la maladie est toujours là, non éradiquée. Même un simple rhume trop envahissant dérange, handicape un individu. Du coup, il n'est plus tout à fait le même parce qu'il est mal dans sa peau, ne se sent plus à l'aise dans son corps. Oui, être en bonne santé c'est se sentir bien dans son corps. Ainsi, la psychologie est aussi importante que la mécanique du corps. Si pour une raison ou une autre nous ne sommes pas bien psychologiquement, là-aussi nous ne pouvons nous sentir à l'aise dans notre corps. Ainsi, il n'est pas simple ni évident d'être en bonne santé, de se sentir en totale harmonie avec soi-même tant la vie n'est pas une porte grande ouverte sur la facilité et le plaisir, surtout la vie que nous menons dans des sociétés que nous avons construit de toutes pièces.

6 commentaires:

  1. cher Hicham

    Vous ne pouvez pas baisser les bras tant que vous n'aurez pas vu le radiothérapeute de Paris
    Oui, la maladie nous transforme mais même si je supporte assez bien les gens, je défends encore mes convictions qui ne sont pas des certitudes

    En ce qui concerne Jade, je vous envoie une citation de Khalil Gibran


    Vos enfants ne sont pas vos enfants. ils sont fils et filles du désir de vie en lui-même. Ils viennent par vous mais non de vous, et bien qu’ils soient avec vous, ce n’est pas à vous qu’ils appartiennent. Vous pouvez leur donner votre amour mais non vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez loger leurs corps mais non leurs âmes, car leurs âmes habitent la demeure de demain, que vous ne pouvez vous efforcer de leur ressembler, mais n’essayez pas qu’ils vous ressemble. Car la vie ne retourne pas en arrière ni s’attarde à hier. Vous êtes les arcs qui projettent vos enfants telles des flèches vivantes. L’archer voit la cible sur le chemin de l’infini, et il vous courbe avec toute sa force pour ses flèches aillent vite et loin. Que cette courbure, dans les mains de l’archer, tende à la joie; car comme il aime la flèche qui vole, il aime aussi l’arc qui est stable.

    C'est vrai, nos enfants ne nous appartiennent pas laissez la exprimer ses idées même si vous n'êtes pas d'accord. Je crois qu'on ne grandit que dans l'affrontement; le métier des parents est le plus difficile qui soit

    Dans un de vos articles, vous dîtes que cous quitterez Cynthia si vous sentez votre fin proche. Même si vous n'en êtes pas encore là je ne suis pas d'accord avec vous encore une fois. Cette petite vous accompagne tous les jours dans votre maladie. Si d'aventure, il vous arrive quelque chose, gardez la près de vous. Elle pourra faire son deuil plus rapidement et c'est très important de faire son deuil pour continuer à vivre

    Le type qui vous a parlé à Belfort devait être très seul; c'est la plaie de notre sociéte

    Je vous laisse sur ce beau poème d'Aragon

    Ô mon jardin d’eau fraîche et d’ombre
    Ma danse d’être mon cœur sombre
    Mon ciel d’étoiles sans nombre
    Ma barque au loin douce à ramer
    Heureux celui qui devient sourd
    Au chant s’il n’est de son amour
    Aveugle au jour d’après son jour
    Ses yeux sur toi seule fermés

    Heureux celui qui meurt d’aimer

    D’aimer si fort ses lèvres closes
    Qu’il n’ait besoin de nulle chose
    Hormis le souvenir des roses
    À jamais de toi parfumées
    Celui qui meurt même à douleur
    À qui sans toi le monde est leurre
    Et ne retient que tes couleurs
    Il lui suffit qu’il tait nommée

    Heureux celui qui meurt d’aimer

    Je vous embrasse très fort ainsi que Cynthia

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    1. Bonjour Mamy, et ne vous inqiétez pas, je ne baisse pas les bras même si j'ai des moments de ras-le-bol ou découragement. Moi aussi j'ai des convictions, dont la première est que l'on me foute la paix, que l'on ne vienne pas me prendre la tête sur mes choix de vie. Certes j'écoute les conseils, les prends en compte le cas échéant, mais je n'accepte plus que l'on me hurle ou crie dessus si je ne les suis pas, ou que l'on revienne sur le sujet une fois que j'ai agi en conséquence.

      Quant à la citation de Khalil Gibrant, je la connais depuis l'adolescence qui dit, de mon point de vue,des choses que je partage entièrement, comme le fait que nos enfant ne sont pas notre propriété (ni personne d'ailleurs), et qu'ils sont des êtres à part entière que nous nous devons d'apprendre à connaitre pour pouvoir bien les respecter, Par contre je ne pense pas que l'affrontement soit une condition indispensable pour que l'enfant puisse s'émanciper. Il peut parfaitement émettre ses souhaits, ses désirs, ses peurs, ses craintes,et, dès lors que nous sommes réceptifs, répondre d'une manière ou d'une autre, mais dans la sérénité, à ses besoins. Je crois que l'essentiel est de lui montrer que nous avons confiance en lui, désirons continuer à lui faire confiance, et déjà là je pense que notre relation est bien partie pour être faite de compréhension de part et d'autre, évitant ainsi au maximum les conflits.

      Quand je dis que je quitterai Cynthia si ma situation s'aggravait réellement, c'est parce que je vois ce que vit mon beau-père avec sa femme. Lui non plus n'aurait pas accepté que sa femme le quitte, mais la réalité des choses, dans ls faits, dans les actes, c'est bien ce qui se passe. Elle est condamné à finir ses jours hors du domicile conjugal, elle dort toute la journée ou presque, elle est tellement en salle état que même lors de ses moment d'éveil, ses propos sont incompréhensibles. donc certes il est là, présent tous les jours dans sa chambre d'hôpital, mais que fait-il à part la regarder dormir et souffrir de ce triste spectacle? Non, je ne veux pas infliger calà à Cynthia, je veux qu'elle continue à construire sa vie comme si je n'étais pas là, ce qui est déjà un peu le cas, mais cela ne l'empêchera pas de me voir si elle le désire. Maintenant, si elle me dit que pour pouvoir faire son deuil plus facilement, elle veut que je reste proche d'elle, alors je répondrai évidement favorablement à sa demande, même si je pense que ce ne serait pas un service à lui rendre.

      Quant au poème d'Aragon (je n'ai toujours pas acheté l'un de ses livres, car je lis les poèmes de votre fille ence moment, au moins deux par jour), c'est là encore une belle éloge à l'amour.adiothérapeute approche. Je vous dis à très bientôt et vous embrasse très fort.

      Sur ce, je vous laisse car l'heure de mon rendez-vous avec mon r

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  2. J'ai reçu des exemplaires de mon recueil hier.
    Dis-moi, préfères-tu que je te les envoie à Belfort ou à Paris?
    Désolée d'être si peu présente. Le mois de septembre équivaut à énormément de travail.
    Et garde espoir, garde l'envie.
    Je pense à toi.
    Zazou

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    1. Bonjour Zazou,
      en l'état envoie-moi ton recueil à Belfort (as-tu mon adresse?) car il se peut que je le reçoive avant le 30 septembre, date de mon départ pour Paris. Pour plus de sécurité, au cas où il arriverait après, libelle-le également au nom de ma compagne, Cynthia Sauvage, afin qu'elle puisse le retirer à la poste.

      Sinon, je constate en voyant Cynthia à l’œuvre, que la rentrée scolaire est bien chargé entre les programmes à préparer et les diverses réunions que vous avez entre vous ou les parents d'élèves.

      Sinon, chaque soir je m'oblige à lire l'un de tes poèmes et beaucoup me surprennent, voire m'attendrissent complètement dès lors qu'il est sujet de ta mère ou de la maladie d'une manière générale.

      Quant à garder l'envie, l'espoir, sache que ta mère m'aide énormément dans ce sens, m'aidant à relativiseer bien des choses, me faisant souvent voir avec pertinence où est l'essentiel et, jusqu'à présent, je n'ai pas eu à regretter une seule fois de suivre certains de ses conseils. Tu as une mère généreuse, peut-être trop discrète ou réservée sur ce qui la concerne, mais généreuse encore une fois, et c'est peut-être là l'essentiel.

      Avec un peu de retard je te souhaite une bonne rentrée scolaire, pas trop épuisante, et te dis à quand tu veux !

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    2. Recueil envoyé.
      Bisous
      PS: peu présente car effectivement, beaucoup de travail et journées épuisantes.
      Zazou

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