mercredi 2 septembre 2015

Cioran, "De l'inconvénient d'être né" V

2 septembre 2015


En ce moment je me déverse, j'en profite, car j'ai été tellement choqué ces deux dernières semaines par mes troubles du langage, de l'écriture et de la lecture, que j'ai peur que cela reprenne et, cette fois, définitivement. Pourtant je n'ai pas spécialement grand chose à raconter. J'ai surtout en tête tout ce que j'aimerai pouvoir dire à ma fille, mais pas tout en un bloc, le faire petit-à-petit, comme un parent le fait normalement avec son enfant. Mais ais-je déjà vécu une situation normale ? Je crois que non. Déjà, naître dans une famille richissime est rare. Si mon père ne l'a plus été longtemps dix ans après son union avec ma mère, il n'empêche que son père, encore vivant à l'époque, était l'un des hommes les plus riches du Maroc. Je pourrai faire une liste presque sans fin de tout ce que je n'ai pas vécu comme tout le monde, comme habiter et grandir dans le seizième arrondissement de Paris, parmi et avec la classe aisée, bourgeoise, voire aristocrates. Oui, ma vie n'a été qu'une succession d'épisodes plus ou moins coquasses, plus ou moins perturbants, mais tout cela je le raconte déjà dans mon autobiographie. Seuls les moments heureux, sereins, manquent dans cette autobiographie. Mais en ais-je eu tant que ça ? La mémoire me fait défaut à ce sujet.

Je pense à l'amour et m'interroge sur la force de ce lien. Autant le sentiment amoureux n'est qu'un échafaudage d'illusion le plus souvent, autant l'amour est la confrontation avec ce qu'est réellement la personne, même si des aspects de sa personnalité nous déplaisent. Nous n'avons pas le choix que de le prendre tel qu'il est, telle qu'elle est, et, je le pense, mieux vaut apprendre à l'apprécier tel qu'il est que de vouloir essayer de le modifier. Je me souviens lorsque j'étais jeune, que j'essayais et que l'on essayait de me modifier, que ce soit dans les comportements ou les valeurs. Jamais cela n'a été concluant, jamais.

Là, ce soir, il est 19h00, je ne sais pourquoi, mais je me sens angoissé. Bien entendu et bien malgré moi, je pense à ma fin, et ce, presque toute la journée. Je n'ai pas l'impression qu'aimer des personnes m'aide à porter le fardeau. Par contre leur présence m'aide. Je ne m'explique pas cela, cette discordance.

« Se manifester, œuvrer, dans n'importe quel domaine, est le fait d'un fanatique plus ou moins camouflé. Si on ne s'estime pas investi d'une mission, exister est difficile ; agir, impossible... » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Quelle est ma mission dorénavant, envers qui que ce soit s'entend, moi qui ne peut presque plus rien faire,  construire, transmettre ? Cependant, pour l'instant encore, peut-être grâce aux psychotropes, sûrement grâce à eux, exister ne m'est pas si difficile. Il me suffit d'avoir de quoi occuper mes pensées, de les retranscrire, d'avoir parfois des personnes à contempler, des marcheurs et marcheuses menant leur petite vie sans même penser à leur mort future, à la maladie mortelle possible, à la confrontation possible et quotidienne avec l'un de leur proche malade, oui, il me suffit de me dire en les contemplant qu'ils sont dans une complète insouciance pour que cela me fasse chaud au cœur, pour que je sois content pour eux, content qu'ils n'aient pas dans l'esprit le type de bordel que j'ai dans ma tête et toute l'anxiété que cela génère. Certainement ont-ils d'autres types de problèmes, mais tant qu'ils ne mettent pas leur vie en danger, alors je suis satisfait de leur sort dorénavant, quelque soit ce sort, y compris celui du mendiant.

« Mes infirmités m'ont gâché l'existence, mais c'est grâce à elles que j'existe, que je m'imagine que j'existe. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Je suis en plein dedans. Je ne sais si j'existe, au sens existentiel, si ma vie a un sens, mais au moins la maladie me fait savoir que je suis bel et bien vivant. Le jour où ce ne sera plus, c'est que je serai mort.

« Qu'avez-vous, mais qu'avez-vous donc ? - Je n'ai rien, je n'ai rien, j'ai fait simplement un bond hors de mon sort, et je ne sais plus maintenant vers quoi me tourner, vers quoi courir... » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

C'est exactement ce qui m'arrive lorsque je m’efforce de ne pas penser à ma maladie, que j’essaie de focaliser sur autre chose, mais systématiquement, par un biais ou un autre, un chemin ou un détour, toujours je reviens à elle, toujours quelque chose m'y ramène. Est-ce si désagréable ? Parce que cela me concerne, ego oblige, non, cela ne me dérange pas vraiment. Ce qui m'indispose, ce sont les états d'âme qui lui sont parfois associé, comme la panique, l'anxiété, l'inquiétude et, parfois, comme une légère dépression, l'impression que tout est vain, que je respire, certes, mais pour plus grand chose.

« Toute les fois que je ne songe pas à la mort, j'ai l'impression de tricher, de tromper quelqu'un en moi. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

De prendre des psychotropes génère en moi le même sentiment. Je sais que je triche avec moi-même, mais comme me le disait Cynthia, parce qu'il n'y aura pas d'après, pas d'arrêt de la prise de ces médicaments jusqu'à ma mort, car c'est bien parti pour, je n'aurai pas de retour de bâton, de réalité quelconque à laquelle devoir être confronté puisque je serai mort. Donc, en l'état, je vais continuer à tricher avec moi-même, à faire mentir mon état d'esprit, à faire de mes humeurs d'énormes mensonges, mais encore une fois, à quoi me sert-il à présent de me faire souffrir en affrontant je ne sais quelle réalité ?

« On ne désire la mort que dans les malaises vagues ; on la fuit au moindre malaise précis. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

En entretenant l'espoir, car c'est bien ce que je fais malgré les apparences peut-être trompeuses, il est clair que je ne désire pas la mort à proprement parler. Non, ce que j'ai toujours voulu, c'est surtout la mort de nos sociétés, de nos codes, de beaucoup de nos valeurs, et ne pouvant obtenir satisfaction, c'est alors seulement que j'envisageai ma mort pour échapper à toutes les inepties que je constatais.

« La conscience est bien plus que l'écharde, elle est le poignard dans la chair. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

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