jeudi 17 septembre 2015

Retour sur le passé

17 septembre 2015


Qu'est-ce que profiter du moment présent lorsque votre esprit est partout, en tout instant, sauf à maintenant ? D'ailleurs, même en me concentrant sur maintenant, de quoi pourrais-je bien profiter qui me fasse chaud au cœur ? Ici, à la terrasse de café où je me trouve, sous un ciel morose même s'il ne pleut plus en ce début d'après-midi, il n'y a guère de monde. Dans la même veine, il n'y a guère de passants aux alentours, personne à contempler pour occuper mon esprit, et les rares qui se manifestent ont triste mine, ne rayonne vraiment pas. Tous et toutes marchent tête baissée, comme si je ne sais quel problème accaparait leur esprit, leur donnant cette mine grave, soucieuse, comme si plus rien n'était possible. Non, pour profiter pleinement du moment présent, il faudrait déjà que j'arrête d'être à Paris bien avant l'heure, que ne focalise que sur Cynthia et moi, sur notre état psychologique, état général qui va nettement mieux que la semaine dernière.

Il m'est curieux d'avoir conscience que je pense à ma mort, que je la visualise pour dans deux ans à peu près, et, parallèlement, de ne pas sentir le temps se finir tel que c'était le cas auparavant. Je le sais, c'est l'effet de l'antidépresseur qui modifie ma perception émotive de bien des choses en profondeur. Je n'aime pas du tout cette modification de ma personne. Elle m'éloigne de la réalité, la vraie, sans mensonge ou faux-semblant. L'antidépresseur met un voile sur la manière dont j'éprouve les choses et les êtres, il m'amène à des leurres qui, même s'ils ne sont pas de fausses interprétation au sens premier du terme, me refusent d'accéder pleinement au réel. Il n'est pas normal, du moins de mon point de vue, de se dire, de savoir que ses jours sont comptés et de faire comme si de rien n'était, que ce n'est pas un véritable sujet. Oui, l'effet pernicieux de cette drogue qui nous amène à penser sincèrement que ce n'est pas si grave, ne donne pas l'envie, ne me stimule pas plus que ça à prendre soin de moi, à m'intéresser à ma maladie, à tout mettre en œuvre pour durer le plus longtemps possible. Oui, cela me rend d'une nonchalance désolante. La semaine prochaine je dois revoir mon psychiatre et je mettrai le sujet sur la table, autrement dit la question de l'arrêt de mon antidépresseur.

Souvent je me demande ce que je dois penser de ma vie, de mes premiers souvenirs à aujourd'hui, du bilan que je devrai en tirer, des conclusions à faire ou non. Déjà, je le sais, je n'aurai pas de regrets, bien que j'ai fait ou vécu des choses regrettables. Vivre, malade, aux côtés de Cynthia, est une chose regrettable dont je me serai bien passé. Pour autant je ne le regrette pas, pas plus que de partir de ce monde avant elle, car même non-malade, du fait de notre différence d'âge, il était écrit qu'en toute logique je mourrai bien avant elle. Je ne veux pas qu'elle me voit souffrir, c'est tout, car là j'éprouverai un véritable regret de lui infliger cela, et peu importe que ce soit malgré moi. Non, je la quitterai avant, c'est certain, par mes propres moyens, sauf si je meurt lentement mais sûrement de l'endormissement progressif de mon cerveau, dormant ainsi de plus en plus jusqu'à ce que j'atteigne le coma cérébral. Là, elle ne me verra pas souffrir et, de toutes les façons, à ce stade je serai évidement hospitalisé, finissant mes jours entre quatre murs blancs, dans une chambre aseptisée.

Toujours dans l'optique d'un bilan de ma vie, malgré les diverses épreuves que j'ai traversé, le fainéant que je suis ne s'en est pas si mal sorti. Certes, dans ma tête, cela a toujours été plus ou moins le yo-yo et les seuls efforts constants que j'ai fait consistaient à trouver des réponses à mes questions, peu importe par quel biais, l'expérimentation, la lecture, l'écriture, la psychiatrie ou la discussion, le débat contradictoire ou via mes relations amicales. Oui, le plus dur de ma vie me semble d'un autre temps, j'avais alors entre 20 et 35 ans, là fut mon apocalypse. Cependant je suis sorti de ce trou noir, tout cela est définitivement révolu, j'ai fait mon mea-culpa, j'ai tiré des leçons de cette période, j'ai également fait le deuil de mon rôle de père, n'ai même plus de véritables animosités envers la mère de ma fille, sa famille et les femmes de ma famille. Oui, là-aussi j'ai tourné la page et n'éprouve plus de véritables regrets d'avoir vécu ces différents enfers. Pour moi, tout cela est mort, comme si ça n'avait jamais existé, ou alors existé de manière si fulgurante, les événements s'enchaînant les uns derrière les autres, sans laisser de réel temps de répit, qu'aucun d'entre eux n'a de prééminence sur son suivant ou sur celui qui l'a précédé. Chaque événement, en soi, fut bref, y compris la mort de Michel, et seule la séparation de ma fille à réellement duré. Mais cela aussi, cette séparation, je ne l'éprouve plus comme naguère, car je ne suis plus dans l'attente d'obtenir la place qui aurait dû être la mienne, à savoir un père à part entière. Bouddha parlait de détachement, de distance, de recul, pour atteindre je ne sais quel nirvana. Même si je ne connais que très peu la philosophie bouddhiste, je confirme que le plus souvent le détachement est salutaire. Il évite bien des contorsions et des conflits avec soi-même et les autres. Cependant, dans ma définition, le détachement ne signifie pas ignorer l'autre et le reste du monde, faire abstraction de nos actes ou de ceux de l'autre. Se détacher, c'est parvenir à faire en sorte que quelque soit le problème sur le chemin, nous parvenions à prendre assez de recul pour que la dit-problème n'en soit plus un dans notre esprit. Cela ne veut donc pas dire ignorer le problème ou l'occulter, mais l'aborder sereinement, même si c'est un problème que l'on ne peut résoudre, comme l'approche de sa mort par exemple.

Oui, lorsque je repense à l'enfant que j'ai été, de mes 5ans à mes 10ans, je suis toujours aussi étonné par la joie de vivre que j'avais alors, par ma volonté d'être dans le plaisir. Puis vint la pré-adolescence et l'adolescence, moment où mes yeux ont commencé à s'ouvrir sur le spectacle de notre monde, celui de ma famille, réalisant des choses que je n'aurai jamais soupçonné exister. D'année en année, ma joie de vivre à complètement disparue et je ne cherchai plus qu'une chose : vivre le moins de désagrément possible. Cette période s'étala de mes 11ans à mes 20ans. Ais-je des regrets au jour d'aujourd'hui par rapport à tout cela ? Strictement aucun. Enfant j'étais joyeux parce que je ne comprenais rien à rien aux choses de ce monde, comme tout enfant, puis, plus tard, les circonstances familiales et mes facultés intellectuelles se développant au fur et à mesure que je grandissais, j'ai vu et vécu l'envers du décors. Ce fût l'occasion de belles douches froides, parfois glaciales.

Dans le bilan de ma vie, je ne peux faire l'impasse sur ma famille, surtout sur ma mère qui, croyant toujours bien faire, a plus été un frein à mon épanouissement qu'autre chose, même si elle toujours répondue présente lors de mes diverses traversées du désert. Je ne lui en veux plus, là-aussi j'ai pris du recul, j'ai pris acte qu'elle était obtuse, toujours certaine d'avoir raison, ne sachant pas prendre en compte les besoins que lui expriment ses enfants, en termes pourtant très clairs, parfois même très crus. Oui, j'ai pris mon partie qu'elle était ainsi, je l'ai accepté, ne lui en veux plus pour hier, j'ai simplement mis beaucoup de distance entre nous en conséquence, ne lui parlant pratiquement pas de ma vie, de mes questions, la tenant juste au courant de l'évolution de ma maladie. Mais il n'y a pas plus de partage que ça, car de mon côté les centres d'intérêts de ma mère ne m’intéresse pas. A partir de là, je n'ai que très peu de question à lui poser, excepté sur sa santé. Avec mon frère et ma sœur, dans l'ensemble tout s'est toujours bien passé et là-aussi le regret de quoi que ce soit n'est pas de mise. Reste mon père avec qui j'ai vécu 16ans, âge que j'avais lorsque mes parents se sont séparés. Lui, c'est un inconnu quelque part. Certes je connais certaines de ses facettes, mais pour autant elles  ne m'ont jamais fait comprendre qui il était, ce qui se passait ans sa tête, qu'est-ce qu'il appréciait réellement ou non. Oui, à plus d'un titre c'est un inconnu. Même s'il ne s'est jamais occupé de ses enfants, même s'il tapait ma mère, même si c'était, comme moi, un fainéant fini, c'est encore de mes deux parents celui qui m'aura laissé le plus tranquille, celui avec lequel j'étais le plus serein lorsque j'étais en présence, celui qui n'essayait pas de m'imposer ses idées, ses points de vues, contrairement à ma mère. Donc je ne regrette pas de l'avoir eu comme père. Parce que je me suis tôt émancipé du tutorat de mes parents, vers l'âge de treize ans, n'en faisant alors qu'à ma tête quels que soient les conflits que cela engendraient entre eux et moi, tout ce temps passé chez eux pouvait être assimiler à des vacances. Effectivement, je n'allais plus à l'école, sinon pour me faire renvoyer dans le mois qui suivait, et j'étais toute la journée dehors avec des copains qui, peu ou prou, étaient dans le même cas que moi. D'ailleurs, c'est avec cette bande que je me suis forgé ce que j’appellerai ma seconde identité. La première était celle de l'enfance, période où je ne remettais rien en question, prenais et avalais les choses, les dires tels qu'ils venaient. Mais lorsque j'ai commencé à fréquenter cette bande, c'est absolument tout que je remettais en question, y compris moi-même évidement. De cette seconde identité qui en résultat, il me reste encore aujourd'hui des résidus, même si je ne suis plus du tout celui d'alors. Cependant, certaines vues de l'esprit sont restées intactes, inchangées, de même que ma volonté de ne pas vivre certaines choses, même si aujourd'hui je met d'autres formes pour obtenir ce que je désire, des formes plus douces, moins agressives, beaucoup moins violentes qu'à cette époque et après. Bien que cette période avec la bande soit l'un des meilleurs souvenir de ma vie, bien que je n'ai fait avec eux que braver l'interdit, faire des conneries en tout genre, me suis droguer, ai volé, dépouillé, bref le portrait parfait du complet délinquant, je ne regrette pas non plus d'avoir quitter ce petit monde un jour.

Oui, si je devais faire le bilan de ma vie, au bout du compte je ne m'en plaindrai pas, car entre-temps j'ai vu des personnes vivre bien pire que ce que j'ai vécu. Contrairement à beaucoup, j'ai toujours eu cette chance que quelqu'un me tende la main dans les moments critiques de ma vie, en plus des mains tendues par ma famille. De même, du fait de ma maladie et des prises de conscience qu'elle a provoqué dans mon esprit, des modifications qu'elle a fait subvenir dans mon cœur, dans ma manière d'éprouver les êtres, les choses et moi-même, oui, tout cela m'a amener à voir encore plus futile des choses que je trouvais déjà futiles, mais sur lesquelles je réagissais toujours avant l'annonce de ma maladie, dépensant ainsi mon énergie pour rien, ce que je ne fais guère plus à présent.

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