lundi 31 août 2015

Euphorie

 31 août 2015


Il n'y a pas à dire, miracle du médicament, de la chimie, de leurs capacités de connecter ou déconnecter des groupes de neurones, de débloquer des molécules, d'en créer de nouvelles, tout cela pour essayer de faire de nous la plus parfaite des machines cérébrale. Dans mon cas cela marche, bien au-delà de ce que j'escomptais. Depuis une semaine que je prends maintenant un antidépresseur, chaque jour qui passe est un petit peu plus de joie dans mon cœur, tandis que la veille c'était le désespoir, la panique et le trouble. Oui, ce soir je me sens tellement euphorique, si content d'être débarrassé de mon stress et de mes angoisses, que je ne sais que penser de ce traitement qui, certes, me rend la vie nettement plus légère, mais qui, je le sais aussi, fausse la réalité de ce que je devrais normalement éprouver. Pour tout vous dire, c'est à un tel point, que l'on pourrai m'annoncer que je vis mon dernier jour, que je le prendrai avec le sourire, sereinement. Oui, l'alliance de mes calmants, de mon neuroleptique et de mon antidépresseur, se révèle d'une redoutable efficacité. Est-ce que dans les centres de soins palliatifs la méthode est la même, permettant ainsi aux personnes de mieux accepter leur fin ?

Cependant, en acceptant d'être ainsi déformé psychologiquement, n'être plus nous-mêmes quelque part, notre intégrité de naguère étant mis à mal, voire niée, ne sommes-nous pas des lâches ? Là, je parle en tant qu'homme et non en tant que femme, en tant qu'homme qui a baigné toute sa vie dans le culte de la virilité, de la force, de la résistance, du combat, de la lutte, et peu importe que j'ai eu plus d'une fois dans ma vie des lacunes dans ces domaines, elle a été et est encore la ligne directrice de mon existence, de mon conditionnement, de ma raison d'être. Si tout s'écroule dans cette perspective de moi-même, dans cette idée que je veux avoir de moi, alors qu'il est vrai que plus rien ne m'y oblige, alors qu'il est vrai que je ne m'y sens plus non plus obligé, la fin étant là, à proximité, quelque soit le comportement viril pour lequel j'opterai, mais en acceptant d'agir lâchement, en prenant tous ces psychotropes, quel estime aurai-je de moi-même d'ici quelque temps ?
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Mais il faut que je sois honnête avec moi-même, j'en tirerai les conclusions plus tard. Je dois admettre, avouer, que je préfère être dans cet état presque euphorique, en tout cas joyeux, même si c'est au détriment de ma véritable personnalité, car au moins là, je ne souffre pas. Même le cancer je peux le penser sereinement à présent, ainsi que mes séances de radiothérapies à venir, et pourrais en rire sincèrement si je devais en parler à quelqu'un. Là, de suite, je sais que je pourrai entendre tranquillement ma mère et ses espoirs, que contrairement à hier ou avant, cela ne m'irriterait pas. Ce serait donc l'occasion de l'appeler, pour un dialogue plus serein, plus détendu, dans lequel je serai moins aux aguets. Du coup je vais le faire...

Mes appels sont finis. Effectivement, en plus de ma mère j'ai téléphoné à ma sœur, afin de les rassurer toutes les deux sur mon état d'esprit psychologique, leur signifiant que je me sentais très bien. Dans leur voix, j'ai entendu le « ouf » de soulagement, la décompression, la détente faire son chemin. Voici une bonne chose de faite.

Pour tout vous dire, je me sens tellement détendu, ce qui ne veut pas dire que je plane pour autant, que je me sentirai capable de regarder un film, voire même de m'y intéresser. Oui, mon cancer, ma fin, m’apparaît ce soir comme un sujet parmi d'autres, pas plus important, pas plus grave que je ne sais quel attentat, oui, encore une fois, mes psychotropes sont redoutables d’efficacité. Cela continuera-t-il ainsi ou, tel que je le crois, je vais m'y accoutumer, m'y habituer, et revenir petit-à-petit à mes bons vieux démons, à l'état d'esprit qui est généralement le mien, celui du questionnement, du doute, du scepticisme ? L'avenir nous le dira, à chaque jour suffit sa peine pour le moment, à chaque jour sa pluie ou ses nuages, son soleil ou sa neige, j'aurai bien le temps de vivre tout cela en temps et en heure.

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