dimanche 9 novembre 2014

Monotonie

Encore une nuit de merde, une de plus, où des nausées m’ont réveillé vers une heure du matin. Mais cette nuit j’ai été jusqu’à vomir, par deux fois, laissant dans le chiotte le repas de veille. Mon estomac ou mon foie ne tourne plus rond, mais cela ne date pas d’hier. Tout a commencé lors de mes premières séances de chimiothérapies en janvier de cette année. Pourtant je prends des médicaments pour éviter ce genre de désagrément. Parfois ça marche et parfois, comme en ce moment, ils n’empêchent rien. Du coup, comme à chaque fois ou presque, je commence mes nuits dans mon lit, aux côtés de Cynthia, et les finis dans le canapé du salon.

Ce matin, comme souvent, je suis place Sainte-Anne et prends un café. Du fait de l’heure matinale et parce que nous sommes dimanche, la place est complètement vide. Seuls les restaurateurs et brasseurs s’activent à mettre en place leurs terrasses. Même s’il a plut cette nuit, ce matin il n’en est rien et le soleil est même présent. C’est une belle matinée d’automne, calme, silencieuse, avec de belles couleurs. Comme chaque matin à mon réveil je ressens une sourde angoisse dont je ne connais pas la nature, instaurant de fait l’inquiétude dans mon esprit. De suite je prends donc mes calmants avec le profond souhait qu’ils agissent rapidement. De même, si j’écris si tôt ce matin, c’est également dans le but d’atténuer cette angoisse, mon inquiétude, car d’expérience je sais que parfois les mots, au détour d’une phrase, parviennent à mettre en pleine lumière le maux qui nous ronge. En l’état je pense que le cancer et tout ce qu’il signifie dans ma tête est mon maux. Mais il peut être tout aussi bien un écran de fumée qui cache le véritable mal, la cause de mon angoisse.

Ce matin je me sens d’humeur monotone, à l’image de la saison, l’automne, où lumière, chaleur et joie semblent s’estomper lentement, sans mot dire, mais sûrement, nous préparant à l’hiver rigoureux à venir, ses nuits froides, ses journées courtes où, si vent il y a, nous serons frigorifiés. L’automne n’a jamais été ma saison préférée, c’est même le contraire. Elle symbolise la fin à venir, à l’image de la perception que j’ai de mon cancer et même si je passe l’hiver tranquillement, j’éprouve les quatre saisons comme un long automne, quoique je projette dans l’avenir.

Je repense à ma jeunesse, l’enfance exactement, toute cette période allant de mes six ans à mes dix ans. A l’époque je ne savais pas que je vivais mes meilleurs moments, vivifiants, exaltants, épanouissants, heureux, où je n’envisageais pas qu’il puisse exister des moments durs, pénibles, atroces à supporter, où la joie, le plaisir, la douceur n’avaient plus leur place. Oui, à cette époque tout était merveilleux, quoi que je fasse ou quoi qu’il se passe. J’étais en constante découverte, apprenant chaque jour de nouvelles choses, sentant que je mûrissais d’année en année, preuve que je grandissais et qu’un jour je ne serai plus un enfant mais enfin un grand, un jeune, un adulte en devenir. Cruelle a été ma désillusion lorsque pour la première fois je vis mon père frapper ma mère. J’avais onze ans et tout ce en quoi j’avais cru s’est écroulé d’un coup, sans crier gare. Est-il  possible d’exprimer ce que j’ai ressenti alors, l’impact psychologique et l’effroi qui m’a traversé lorsque je vis ma mère se faire frapper ? C’est un exercice difficile que de me replonger dans l’être que j’étais alors tant les décennies suivantes m’ont endurci, faisant parfois de moi un être froid, insensible, méchant, sadique, un provocateur qui ne ratait pas une occasion de créer un conflit, de chercher un adversaire afin d’en découdre, physiquement ou verbalement, une manière comme une autre d’exorciser mon mal-être.


(9 novembre 2014)

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