lundi 2 février 2015

Progression du cancer

2 février 2015


Voilà l’inconnue, je sors de mon rendez-vous avec le radiothérapeute au sujet de cette troisième métastase cancéreuse qui se développe dans mon cerveau. Trois séances de rayon ciblé sur cette dernière vont être programmées pour la fin du mois. Un peu plus l’on tente d’enrayer la maladie, de diminuer sa progression, mais au final, à quoi bon tout cela puisque ma véritable place est à tes côtés, non dans ce monde minuscule où tous et toutes nous nous agitons, telles des abeilles, cherchant fiévreusement le pollen pour construire notre miel, un présent agréable, supportable, loin de tous ces cris qui inondent notre monde. Et toi l’inconnue, t’arrive-t-il d’être exaspéré, agacé, irrité, sentiments faisant partie du lot auquel nous autres, petits humains, sommes régulièrement assujettit ? Bien sûr que non tu n’éprouves pas tout cela, bien que tu aies parfaitement connaissance de leurs présences dans ces bestioles que nous sommes. Toi tu contemples, nous observes comme tu dévisages d’autres formes d’existences dont nous n’avons même pas idée.

Il est vrai qu’il est si tentant de ne pas penser notre mort, d’éviter de se pencher sur notre sort en conséquence, que nous autres, puceaux de l’univers, nous évertuons à porter notre  regard ailleurs, sur ce qui, bien que cela soit faux, nous parait tangible, solide, à commencer par nos propre pas, notre propre vie qui ressemble à tout sauf à la mort définitive. Oui, le fait de constater le mouvement, qu’il soit nôtre ou tiers, apparence pourtant trompeuse, autre illusion d’optique, nous incite à croire que celui-ci est éternel, quand bien même devrions-nous mourir un jour. Avant nous et après nous, nous le croyons, le mouvement perdurera, qu’il s’agisse d’un soleil et de ses satellites qui tournent en ellipse autour de lui, de nos descendant qui, à leur tour, créeront leur propre descendance, de la lumière qui ne semble aller que de l’avant, toujours de l’avant, sans retour possible vers son point d’origine, oui, nous croyons le mouvement éternel. Cependant, parce que nous ne connaissons pas les autres mondes dont tu fais partie l’inconnue, il nous ait impossible de les imaginer sans mouvement. Même les anges de nos fables religieuses volent, même les Dieux de ces mêmes contes pour adultes s’activent à faire ou défaire, créer ou détruire, selon la volonté qui leur serai propre. Oui l’inconnue, notre capacité imaginative est si limitée que nous ne pouvons créer que des mythes dans lesquels, quel que soit la divinité concernée, tout se déroule, peu ou prou, comme ici-bas. Comme nous, ces Dieux peuvent être déçus ou joyeux, ont le pouvoir de créer comme nous-mêmes procréons, que ce soit par l’enfantement, les OGM, le clonage. De même, comme nous construisons des prisons pour ceux qui désobéissent aux règles communes d’une société donnée, nous n’avons d’autre choix que d’inventer, de supposer l’existence d’un paradis et d’un enfer, d’un endroit distinct pour ceux et celles qui enfreignent ou non les lois de nos livres religieux.

Dans un autre registre, nous inventons également des esprits avec lesquels nous pourrions communiquer, nous marmonnant à l’oreille tel ou tel message, une mise en garde ou une bonne nouvelle. Pour nous persuader de leur existence nous mettons alors au point des rites, les tables tournantes par exemple, ou des jeux de cartes à travers lesquels notre main serait dirigée par l’esprit. Oui, quoi que nous inventions, imaginions, tout cela est à notre image, fidèle aux rapports que nous entretenons les uns avec les autres, les uns envers les autres, certains d’entre nous étant plus persuadé que d’autres de détenir la vérité, leur vérité au bout du compte, et s’ils sont assez persuasifs, alors ils feront des adeptes. Ces derniers, tous sans exception, sont alors dans le doute avant d’adhérer à telle ou telle croyance, peu importe le pourquoi de ces doutes, et parce qu’une bonne réponse les rassurerait, éloignant ainsi de leur cœur la peur, la crainte, le non-savoir, ils sont prêt à consentir à toute forme de thèse qui leur permettrait de vivre en paix avec eux-mêmes. Moi-même j’agis de la sorte en dialoguant avec toi l’inconnue, je ne le sais que trop bien, mais plutôt que d’emprunter l’une des thèses déjà existante sur l’après-mort afin de m’y réfugier, de m’y coucouner, je préfère te voir comme je le fais actuellement. Oui, je ne peux te concevoir comme un aboutissement ou un début, cela m’est impensable tant il serait incohérent pour mes yeux de te regarder avec le prisme propre à l’être humain. Oui l’inconnue, je te parle de notre fonctionnement, du mien, alors que tu nous connais par cœur, n’apprenant rien par ma bouche, ma pensée ou mon ferveur. Cependant, comme je ne désire pas être seul, dans la solitude de mon cœur, je m’adresse tout de même à toi, persuadé que néanmoins tu m’écoutes avec attention, si ce n’est avec empathie, sentiment qui ne t’effraie pas, qui ne te rebute pas, tant tu sais que l’ouverture à quelque monde que ce soit, ses créatures y compris, sont la seule vérité, la seule possibilité de l’existence. Oui, on ne peut nier ce qui est, on ne peut faire comme si cela n’était pas. Le faire, c’est être dans l’ineptie, l’idiotie, voire la lâcheté, toute attitude propre à la majorité d’entre nous dès lors que nous sommes confronté à ce qui nous déplait ou nous dérange.

Lorsque je serai auprès de toi, je sais que le mouvement ne sera plus, bien que je n’ai pas la moindre idée de ce que peut être une existence sans le temps. De même, je sais également que ce ne sera pas pour autant l’inertie. J’imagine cela comme une patience sans fin, un état constant, invariant, qui n’aura que faire de la vitesse de la lumière, des étoiles qui naissent et qui meurent, non que le mouvement soit insignifiant, mais il ne sera que l’une des composantes du tout dont nous faisons partie.

Excuses-moi également l’inconnue de revenir souvent sur mon espèce, notre fonctionnement, nos incohérence et notre bêtise, mais sur quoi puis-je t’entretenir, moi qui ne connait que la modeste condition qui est la nôtre ? Lorsque mon père envoya ses milliers de spermatozoïdes à la rencontre de l’ovule de ma mère et que ce fût moi l’élu de cette union charnelle, j’aimerai pouvoir te dire pourquoi il en a été ainsi et pas autrement. Est-ce dû au hasard, ce que je crois, ou à un destin qui, déjà, commençait à se manifester ? La théorie du destin est un concept confortable, car si tout est déjà écrit, pourquoi se lamenter ou se faire une joie de sa vie. Tout étant écrit, notre volonté n’existe donc pas et, quelques soient les choix que nous croyons faire, ils ne sont enfin de compte que des leurres puisque c’est la main de l’au-delà qui, sans aucune concertation avec notre personne, décide de la manière dont tourne la roue de notre vie.

Vu d’ici-bas, tout ne semble que cycle, plus ou moins long dans le temps, avec un début dont on ne sait pourquoi il a débuté et une fin, à plus ou moins long terme, dont on ne connait pas plus la finalité. Un jour le système solaire ne sera plus, notre soleil explosera et tous ses satellites, Terre y compris, disparaitront avec lui. Ce sera la fin de son cycle et aucun autre système étudié à la loupe par nos techniciens de la science physique, astrophysique, ne nous fourniront de réponse quant au pourquoi de ces apparitions et disparitions. Toi, l’inconnue, qui ne peut que savoir qu’il en est pourtant ainsi, tu regardes, tu contemples, fidèle à toi-même, toi qui n’a pas de corps, de cerveau,  de veines ou de nerfs, et je me demande alors de quel sang tu es faites ? Oui, parce mon cerveau est limité, je m’adresse à toi comme je m’adresserai à un homme, à une femme, toi qui est tout sauf cela.

Peut-être te demandes-tu ce que je pense de ma mort proche, mais je sais que tu perçois très bien la peur qui m’habite à cette seule idée. Simplement, le fait de savoir que tu l’entends m’apaise, aussi fou cela puisse-t-il paraître. J’ai plus confiance en toi qu’en mes médecins, qu’en mes idées, quel que soit le domaine abordé par ces dernières. Je sais que ma pensée ne construit que des cubes et que, plus ou moins habilement, j’essaie de les placer les uns à côtés des autres afin que l’ensemble ait un semblant de cohérence non seulement à mes yeux, mais également à ceux de mes congénères. A propos de ces derniers, plus je vois clair mon avenir, et plus je me détache d’eux. C’est un réel soulagement car ainsi je n’ai plus de fardeau autre que le mien à porter. M’éloignant de mes semblable, je n’ai plus à vivre ou porter leurs attentes, qu’elles me concernent ou non, je n’ai plus à vivre leurs espoirs ou désespoirs, leur joies ou leurs déceptions et, réellement, c’est une formidable quiétude qui s’installe en moi. A leurs yeux, forcément, inévitablement, je les abandonne. D’un certain point de vue ce n’est pas faux, même si ce n’est du tout dans cette optique que je réagis. De mon point de vue je me recentre, tente de définir à nouveau, une fois de plus, une fois encore, ce qu’est l’essentiel lorsque devient imminent ma rencontre avec toi.

Autour de moi et y compris au sein de mon propre couple, tout sujet ou presque tourne autour de l’argent, celui que nous avons ou pas, celui que nous espérons avoir, et à travers cette monnaie d’échange, c’est surtout des espoirs ou des désespoirs d’ordre matériel que j’entends. Mais pour ma part, plus je m’approche de toi l’inconnue plus je me sens proche de l’immatériel, de ce qui ne semble avoir aucune consistance, comme peut l’être la communication entre l’homme et l’animal, avec un cheval par exemple, ou la contemplation d’un paysage, tel un ciel nuageux où, néanmoins, se dessinent des arc-en-ciel. Oui, l’argent, tout ce qu’il peut permettre comme acquisition, toutes les joies ou déceptions que sa présence provoque, tout cela m’apparait fade à présent, sans aucune saveur, si ce n’est l’opportunité de s’offrir un plaisir éphémère, plaisir qui cédera rapidement sa place à un autre souhait, un autre désir d’ordre matériel. Oui l’inconnue, c’est ainsi que nous autres voguons, de vague en vague, d’un objectif vers son suivant, objectif toujours lié de près ou de loin à un plaisir que l’on souhaite se procurer, et selon la résistance propre à chacun, sa ténacité ou non à atteindre son but, nous vivons en conséquence heureux ou malheureux. Ces ballets sans fin sont pourtant sans raison, si ce n’est de penser, de s’occuper de la chose matérielle pour combler le vide de l’existence, plutôt que de penser à la mort, à toi et à tout ce que cela peut signifier. Oui, nous nous rendons malade pour bien des peccadilles, des légèretés qui ne nous épargneront pas le rendez-vous final avec notre fin. Mais de cela, nous ne voulons rien entendre, rien voir, tant que nous ne sommes pas nous-mêmes directement concernés. J’ai été ce benêt, ce nigaud têtu et obstiné, uniquement intéressé par les choses produites par l’homme, n’ayant que faire que tout cela soit vent et poudre aux yeux au bout du compte. Te rends-tu compte qu’un temps, selon qu’un vêtement était de marque ou non, cela faisait toute la différence à mes yeux ? Peut-on être plus sot que cela, je te le demande ? Mais là encore je sais que tu me pardonnes l’inconnue, moi qui ne pardonne plus à mes semblables de se comporter ainsi.

Cependant, comme si je n’avais pas assez à faire avec ma maladie et la spiritualité dans laquelle elle me fait plonger, je dois aussi subvenir à mes besoins matériels, comme tout un chacun, et je te l’avoue volontiers l’inconnue, cela me fatigue et m’épuise bien plus que naguère, non que l’exercice soit plus difficile qu’hier, mais l’absurdité que sont les normes par lesquelles nous devons passer me démoralisent à présent. Alors que j’en suis à me demander combien de temps ai-je encore à passer ici-bas, en 2015 de notre calendrier Chrétien, des administrations me demandent quels étaient mes revenus en 2013. Ainsi, elle me renvoi dans un passé qui est mort de longue date pour pouvoir administrer et gérer mon temps présent. Oui l’inconnue, la vie humaine n’est qu’une succession d’aller et retour dans le temps et, rarement, nous sommes dans l’instant, le vivant pleinement et entièrement.

Il n’empêche, je ne comprends toujours pas ce que signifie exactement le cancer dans mon cœur, dans mon esprit. Je constate seulement qu’il m’a rapproché de toi, toi qui n’est pas et ne sera pas ma fin et qui, pourtant, est tout de même synonyme de fin. D’autres se raccrocheraient peut-être à leurs médecins, à leur famille, à un Dieu ou toute autre divinité pour vivre le mieux possible leur calvaire, leur supplice, voire leur souffrance. Pour ma part il n’en est rien, n’attendant plus rien de personne, de l’Homme, tant tout cela, ma maladie y compris, me semble dérisoire face au tout auquel je serai bientôt confronté. A peu de chose près, plus les jours passent et plus j’ai hâte d’en faire enfin partie, en pleine conscience, même si je ne sais comment se peut et sous quelle forme existe une telle conscience. Bien entendu, par empathie avec mes proches, essentiellement Cynthia et ma fille, ma fille qui est venue dans ce monde sans l’avoir demandé, je ne vais rien précipiter et, bon grès malgré, je vais continuer à me soigner, laissant aux techniciens du corps que sont mes médecins utiliser les recettes qu’ils jugent bon me servir. D’autres, comme ma mère ou ma sœur, ne se satisferaient pas de ces seules recettes médicales et partiraient en quête, tant bien que mal, d’autres recettes, plus naturelles, faites de plantes et d’aliments qui, selon leur savoir, pourraient autant faire l’affaire. Mais comme tu l’as bien compris l’inconnue, je me méfie du savoir, de tous les savoirs, et de tous les compartiments que nous inventons en conséquence tel que le naturel et le non naturel, comme si le chimique venait d’ailleurs, n’était pas issu de notre planète, qu’il serait extra-terrestre en quelque sorte. Il en va de même des pesticides, des OGM, etc. Même si mère nature ne nous a pas mis toutes ces inventions humaines clés en main, elles n’existent pourtant que parce que dame nature le permet. Si cette dernière permettait que nous ne mourions jamais, alors je suis sûr que tôt ou tard nos descendants trouveront la recette et se feront fort de la mettre en application. Inventer un médicament, une manière de soigner, que cela se fasse par la radiothérapie, la chimiothérapie, le clonage ou autre, équivaut à  inventer une nouvelle recette de cuisine, ni plus ni moins. Effectivement, aucune soupe, aucun bouillon ne nous est donné à l’état naturel. Il en va de même du feu que n’avons fait que maitriser. Oui l’inconnue, plus ça va et plus j’en ai marre de ces compartiments qui amènent plus de discordes que d’ententes entre nous. Pour ma part j’ai pris le parti que chacun devait être libre de faire ce qu’il veut de son corps, avec ou sans chimique, que ces corps n’étant pas les miens, leurs pensées n’étant pas la mienne, je n’avais pas à m’immiscer dans ces considérations. Se soigner, c’est comme manger ou boire, chacun ses goûts, chacun ses convictions et il ne serait être question de les imposer à autrui, chose que nous ne savons pas faire en règle générale. Voilà pourquoi je me mets de plus en plus à l’écart, loin des attentes et convictions d’autrui qui, tôt ou tard, finissent par assombrir mon paysage.

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