samedi 25 juillet 2015

Cioran," De l'inconvénient d'être né" III

25 juillet 2015


« La lucidité n'extirpe pas le désir de vivre, tant s'en faut, elle rend seulement impropre à la vie. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

« L'idée qu'il eût mieux valu ne jamais exister est de celles qui rencontrent le plus d'opposition. Chacun, incapable de se regarder autrement que de l'intérieur, se croit nécessaire, voire indispensable, chacun se sent et se perçoit comme une réalité absolues, comme un tout, comme le tout. Dès l'instant qu'on s'identifie entièrement avec son propre être, on réagit comme Dieu, on est Dieu.
C'est seulement quand on vit à la fois à l'intérieur et en marge de soi-même, qu'on peut concevoir, en toute sérénité, qu'il eût été préférable que l'accident qu'on est ne se fût jamais produit. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Ce n'est pas tant la mort qui rend impropre à la vie, mais bel et bien les civilisations que nous avons créé, de la première à la plus récente, les valeurs que nous avons instaurés, souvent à travers le religieux, bien avant l'invention des religions monothéistes, à l'époque de l'âge de pierre, âge où furent créés les premiers villages, puis les premières cités, les premiers rituels religieux où l'on priait tout et n'importe quoi tant, à cette époque et bien après, on ne comprenait rien au fonctionnement de la nature, époque où la procréation était encore un grand mystère, mais l'homme, déjà soucieux de maîtriser son environnement, de le façonner afin qu'il soit adéquat pour lui et lui seul, soucieux également de donner un sens à l'existence, donc un sens à la mort, cet état de fait qu'il ne comprenait pas plus qu'on ne le comprend aujourd'hui, oui, car en la matière nous sommes toujours aussi ignorant ce qu'est l'état de mort. Comme nos lointains ancêtres, nous, nous ne pouvons que constater l'état de fin de vie, c'est tout. A ce propos Cioran écrit :

« La vie n'est rien ; la mort est tout. Cependant il n'existe pas quelque chose qui soit la mort, indépendamment de la vie. C'est justement cette absence de réalité distincte, autonome, qui rend la mort universelle ; elle n'a pas de domaine à elle, elle est omniprésente, comme tout ce qui manque d'identité, de limite, et de tenue : une infinitude indécente. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, nous sommes incapable de saisir sa réalité distincte, c'est indéniable. En conséquence, que de fantasmes, que de visions, que de peurs et de préjugés avons-nous sur elle. Quoi qu'elle soit, je veux penser que la mort ne peut offrir pire sort que celui que nous sommes réservés entre nous les humains. Détruire, être médisant, la violence, l'agressivité, le mécontentement, l'aigreur, le rejet, tout cela parce que nous sommes naturellement des êtres égoïstes, comme tout ce qui relève du vivant d'ailleurs, pensant d'abord à nous conserver avant de penser à la conservation de tout ce qui nous est semblable, c'est à dire du monde vivant dans son ensemble, voilà les sentiments qui nous animent le plus souvent, voilà pourquoi nous créons des sociétés injustes, dont seuls les plus pourries tirent leur épingle du jeux, sachant pertinemment que notre peur naturel, engendrant le plus souvent la lâcheté de notre part, feront que nous nous soumettrons volontairement aux diverses formes de peurs qu'ils nous infligent. Le chantage à l'emploi fait partie de ces dernières et elle n'est pas la moindre de nos inventions glauques, méprisable.

« Chaque fois que je pense à l'essentiel, je crois l'entrevoir dans le silence ou l'explosion, dans la stupeur ou le cri. Jamais dans la parole. »  (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Oui, même si je disserte sur nos sociétés, sur notre espèce, sur le sens ou non de l'existence, je suis pourtant incapable, comme tout le monde d'ailleurs, d'exprimer l'essentiel, quelque soit le thème, le sujet donné. Si cela était possible, il n'y aurait plus besoin de cinquante millions de livres pour traiter de tous ces sujets. Un seul suffirait. Ne serai-ce que par rapport aux religions monothéistes qui se réclament toutes les trois du même Dieu, le fait qu'il y ait trois livre pour traiter de la question démontre qu'aucun n'y parvient. A quand un quatrième livre, une quatrième religion monothéiste ?


« Ce rien de lumière en chacun de nous et qui remonte bien avant notre naissance, bien avant toutes les naissances, c'est ce qu'il importe de sauvegarder, si nous voulons renouer avec cette clarté lointaine, dont nous ne saurons jamais pourquoi nous fûmes séparés. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

En cela, je veux croire que la mort me ramènera ce rien de lumière, et c'est parce que j'y crois que je l'attends avec une certaine forme de sérénité. Comme tous, je retrouvais mon état initial, et parce que je suis un matérialiste philosophiquement parlant, ce sera certainement sous la forme d'atome, d'électron, d'ions. Mais peut-être suis-je complètement à côté de la plaque, que tout ce que nous considérons comme non-vivant, tel l'atome justement, font justement et exclusivement partie du monde du vivant. Effectivement, puisqu'ils sont les briques premières de nos chairs, il se peut que la mort, l'état de mort, sa réalité distincte, se passe complètement d'eux, qu'ils n'aient pas de place pour eux dans cette autre forme d'existence. Je parle d'existence, car comme le vie et la pierre ont une existence, la mort a forcément la sienne. Simplement nous n'en connaissons ni le fond ni la forme.


« Dire : « Tout est illusoire », c'est sacrifier à l’illusion, c'est lui reconnaître un haut degré de réalité, le plus haut même, alors qu'au contraire on voulait la discréditer. Que faire ? Le mieux est de cesser de la proclamer ou de la dénoncer, de s'y asservir en y pensant. Est entrave même l'idée qui disqualifie toutes les idées. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

En cela, je m'épuise comme bien d'autre pour rien. Effectivement vouloir démontrer, montrer, faire entrevoir à quiconque que tout n'est qu'illusion, c'est également, peut-être, affirmer une autre illusion. Donc, nous ne pouvons sortir de ce cercle vicieux et, le plus sage sans doute, serait de se taire, de cesser d'essayer de convaincre sur cet état de fait, pour ne passer son temps qu'à contempler l'autre s'embourber les pieds dans ce qu'il tient pour vérité.

« Quand nous discernons l'irréalité en tout, nous devenons nous-mêmes irréels, nous commençons à nous survivre, si forte soit notre vitalité, si impérieux soient nos instincts. Mais ce ne sont plus que de faux instincts, et de la fausse vitalité. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

« La perception de la précarité hissé au rang de vision, d’expérience mystique. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

La perception de la précarité ne se peut que lorsque l'on a discerné l'irréalité en tout, autrement dit la futilité de tout, sans exception, et c'est seulement là, effectivement, dans cet état d'esprit, que nous vivons une expérience mystique,  expérience qui n'a rien à voir du religieux ou une quelconque forme de spiritualité. C'est l'expérience du « néant », d'un vide dont on éprouve le plein de ce vide. Dès lors, vis-à-vis de qui que ce soit, même de l'être le plus cher, nous ne faisons plus que faire semblant d'être quelqu'un, quelqu'un que nous savons pertinemment de pas être nous. C'est alors le moment propice pour aller vivre en ermite, seule situation, seul cadre où nous n'aurons plus à faire semblant. Le mourant, peut importe à quel stade est sa maladie, son âge avancé, est parfaitement conscient de la précarité de toute chose. Il est simplement dommage de devoir être dans cet état pour l'éprouver, la vivre quotidiennement en soi, car si dès notre plus jeune âge nous avions conscience de cet état de fait, sans doute l'homme serait plus raisonnable, plus sensé, plus juste. Même son ego ne lui serait plus d'aucune utilité.

« La souffrance ouvre les yeux, aide à voir des choses qu'on n'aurait pas perçues autrement. Elle n'est donc utile qu'à la connaissance, et, hors de là, ne sert qu'à envenimer l'existence. Ce qui, soit dit en passant, favorise encore la connaissance.
« Il a souffert, donc il a compris. » C'est tout ce qu'on peut dire d'une victime de la maladie, de l'injustice, ou de n'importe quelle variété d'infortune. La souffrance n'améliore personne (sauf ceux qui étaient déjà bons), elle est oubliée comme sont oubliées toutes choses, elle n'entre pas dans le « patrimoine de l'humanité », ni ne se conserve d'aucune manière, mais se perd comme tout se perd. Encore une fois, elle ne sert qu'à ouvrir les yeux. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

2 commentaires:

  1. Non, je ne vous ai pas oublié mais j'étais aussi un peu fatiguée. Après le départ de Zazou, ma belle fille a dû être hospitalisée; ses parents sont à Fès et comptent sur moi.
    Je ne savais pas qu'il y avait des bateaux bus à Saint Malo. Comme en octobre, nous irons au Mont Saint Michel, à Cancale, et à Saint Malo avec Zazou, ses enfants et ses beaux parents, cela me donne une idée de sortie.

    J'ai repensé à votre frère; vous ne vous voyez pas beaucoup alors il faut mieux interrompre une relation qui n'apporte pas de bonheur. Je m'embarrasse de moins en moins de gens qui m'ennuient. Je sais que le temps est compté; je me pose parfois la question: est ce l'âge ou la maladie? peut-être les deux à la fois; ou bien la sagesse ou l'humilité qui viennent en vieillissant: Avant, je pensais que je pouvais rendre tout le monde heureux. Quel orgueil!

    Comme Anne, je pense que je pourrais vous reconnaître mais contrairement à elle, je n'oserais pas vous aborder si je vous voyais

    En attendant, j'ai eu peur quand je ne vous voyais pas vos écrits; je craignais une rechute de la maladie; ça n'a pas l'air d'être le top mais votre esprit est toujours aussi vif;
    Par contre, je ne lis pas trop Cioran, j'occulte l'idée de la mort même si je ne me sens pas Dieu. D'ailleurs je n'y crois pas, trop de sang coule encore en son nom
    Je vous souhaite un bon dimanche et vous embrasse vous et Cynthia
    Mamy
    PS: souhaitez bon courage à Lila de ma part

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  2. Bonjour Mamy,

    je n'ai pas pensée une seconde que vous m'aviez oublié et que parfois, voire souvent, on a autre chose à faire que d'être derrière son ordinateur. Pour votre belle-fille, j'espère que ce qui a nécessité son hospitalisation n'est trop grave. D'ailleurs, peut-être est-elle déjà sortie et est rentré chez elle. Vous me dites que ses parents sont de Fez. Chose étrange, ou encore curieuse coïncidence, il se trouve que mon père était également de cette ville. Il y est née et a grandi là-bas dans le palais Tazi (mon nom de famille), palais qui a été détruit depuis. Cependant je ne connais pas cette ville, n'ai jamais éprouvé le besoin de m'y rendre, alors que j'ai éprouvé le besoin de me rendre sur les terres de ma famille maternelle, en Bretagne donc, besoin que j'ai assouvi il y a quelques années, rencontrant ainsi des cousins et d'autres membres de la famille. Oui, je pense qu'à cause du comportement de mon père envers ma mère (qu'il frappait), j'ai un sérieux contentieux avec le Maroc et tout ce qui se rapporte ou se rapproche de cette culture où la femme, disons-le clairement, me semble être plus considéré comme un objet que comme un être.

    Concernant Saint-Malo et tout ce que l'on peut faire en bateau (bateau-bus y compris) voici l'adresse du site de la compagnie qui s'en occupe :

    http://www.compagniecorsaire.com/

    Sinon, concernant mon frère, même s'il m'arrive encore de penser à lui régulièrement, même si je suis déçu d'en être arrivé là pour ne plus supporter ses humeurs et une partie de sa personnalité que je n'ai jamais apprécié, je pense également qu'il en est mieux ainsi. Les relations à sens unique, ce qui est le cas entre toute ma famille et lui, j'ai donné et il ne mérite vraiment la peine que je continue ce type d'effort. Comme vous, je ne m'embarrasse plus des gens qui m'ennuient ou me contrarient trop. A présent, je les raye d'un trait, sans aucun état d'âme. Dans le même esprit, si je constate que j'indispose quelqu'un, je m'efface immédiatement de son paysage. Oui, à présent je veux des relations fluides, sans conflits, parce que je sais qu'il est parfaitement possible d'en avoir. Depuis, tous les polémistes je les évite en général, mon frère étant le dernier avec qui j'étais encore en contact. Est-ce de l'intransigeance ou une certaine forme de sagesse? Je penche amplement pour la seconde hypothèse, Cioran également.

    D'ailleurs, concernant Cioran, il n'écrit pas sur la mort à proprement parlé. Il écrit sur le sens de l'existence selon lui, sur le sens des activités humaines en conséquence, et il traite également beaucoup de la maladie, de la vieillesse, révélant ainsi comment elles seules, à ses yeux et au miens maintenant, nous permette d'ouvrir enfin les yeux, de ne plus être dans le rêve ou l'illusion. Oui, puisque je relis toute son œuvre actuellement, je découvre quelle importance il attache au corps, chose qui ne m'avait pas frappé l'esprit à l'époque où j'ai découvert cet auteur, ce penseur. Enfin, mes articles sur Cioran sont surtout des prétextes pour que je puisse étaler ma propre pensée, entre deux citations.

    Sinon, il est dommage qu'au mois d'octobre nous ne soyons plus Rennes. Sinon je vous aurai proposé que nous nous rencontrions lors de votre escapade à Saint-Malo et aurait eu ainsi le plaisir de vous présente Cynthia. Mais bon, les choses sont ainsi et, qui sait, peut-être que l'occasion se présentera un jour.

    Je vous souhaite un excellent dimanche, une bonne semaine à venir, et vous dis à très bientôt en vous embrassant très amicalement.

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