jeudi 3 septembre 2015

Dubitatif

3 septembre 2015


J'ai dormi toute la nuit, toute la matinée, et ne suis sorti qu'histoire de ne pas rester cloîtré chez moi, auprès de Cynthia qui ne travaille pas le jeudi, morne, morose, guère heureuse de vivre, une chappe de plomb dans l'atmosphère, un couvert que je n'arrive pas à supporter, mais ne pouvant lui porter faute, alors je m'échappe. Oui, tant qu'elle ne se sera pas reprise en main d'une manière ou d'une autre, avec ou sans médicaments, la cohabitation va être difficile, en tout cas pour moi. La malheureuse, il n'y est pour rien, elle n'a pas demandé tout ce qui lui arrive depuis deux ans, pas plus son sort que celui de sa mère ou le mien. Mais je suis trop fragile psychologiquement pour supporter,  endurer ou faire des efforts, prendre sur moi-même les états d'âme des autres. Cela je ne le peux que ponctuellement, pas au quotidien.

Aujourd'hui, le Mittan, le centre qui s’occupe de moi dorénavant m'a contacté. J'ai rendez-vous demain après-midi avec un oncologue. Certainement va-t-il me prescrire un scanner thoracique à passer afin de voir où en sont mes poumons, s'il est d'autres cellules cancéreuses qui se seraient développées. Vu que je me suis remis à fumer régulièrement depuis le début de l'année et plus encore depuis que je suis à Belfort, bah, il n'y aurait rien d'étonnant que mon cancer se ré-déclare ailleurs.

Je suis donc installé à la terrasse du café du théâtre de Belfort, situé sur les bords de la rivière « La savoureuse » qui traverse toute la ville et, ma foi, la vue est agréable. Je n'ai absolument rien envie de faire, j'écris vraiment pour m'occuper, car le sujet que j'ai en tête est de voir ma fille. Seul ceci m'importe en ces jours. Alors j'attends et espère que les soins que l'on me fera au Mittan ne se dérouleront pas pendant ses vacances scolaires, au mois d'octobre.

Sinon, je n'aime vraiment pas l'état d'esprit qui règne sur Belfort, même celui des parisiens est amplement préférable, même si ce sont des gens qui courent tout le temps. Est-ce à dire qu'à Belfort ils sont méchants ? Non, ce n'est pas ça, mais ils sont vraiment trop crus, pas du tout policé, j'ai l'impression d'être dans un grand village campagnard, comme dans le temps, les années 40-50, où les gens sont rustres, pas fin pour un sou, mais pas vulgaire pour autant. A peu de chose près, on dirait une ville morte, comme sont mortes celles du nord après la fermeture des mines. Les gens ont l'air résigné, n'ont pas du tout l'air d'avoir de l'ambition, des envies. On pourrait dire qu'ils prennent les jours comme ils viennent, vivant justement le temps présent, comme s'il n'y avait rien d'autre à faire, rien à attendre. Eux et d'autres doivent aimer ce genre de vie, ce genre d'état d'esprit, une espèce de laisser-aller, de nonchalance, comme si tout était déjà écrit, c'est à dire rien ou presque, et moi je n'ai d'autre choix que de me plier à cela, qu'à faire avec. Lorsque j'étais à Rennes, parce que la ville et son émulation me suffisait amplement, je n'ai pas éprouvé le besoin d'aller voir ailleurs comment cela se passait en Bretagne. Bien sûr j'ai voulu voir la mer, mais je n'ai pas été en quête, en recherche d'un état d'esprit différent de celui des rennais. Par contre, si je le peux, ici je pense que je ferai régulièrement des voyages. Besançon sera certainement ma destination la plus courante et je pense également aller à Strasbourg, voire dans je ne sais quelle ville suisse. De même, toujours selon les finances, j'irai peut-être plus souvent à Paris ou à Lyon. Belfort a certainement eu un beau passé historique, mais je lui trouve un présent bien triste, bien monotone.

Zazou m'a envoyé son recueil de poème sous format PDF. Tout à l'heure, si je m'en sens la force, je commencerai à le lire. J'espère que j'aurai assez de force pour me concentrer pour la lecture, pour que s'imprime dans ma tête tous les messages qu'elle veut faire passer. Déjà, dans son poème « L'aiglon du poète », tout raisonne en moi. Comme elle le dit si bien :

Je soulève ma plume
Pour dissiper la brume
Et détruire l'enclume
Si lourde d'amertume


Oui, je m'y efforce depuis des décennies, depuis que j'écris, depuis mon adolescence donc, mais rien n'y fait, toujours la brume est plus ou moins présente, parfois même c'est le brouillard qui m’enveloppe, et même si j'ai beaucoup moins d’amertume aujourd'hui, moins de fardeaux à porter envers les uns ou les autres, je sens que c'est mon cancer, la maladie, qui, petit-à-petit, détruit l'enclume. Elle l’érode, la polisse, la grignote et la ronge, lentement mais sûrement.

J'ai changé de café pour aller dans un lieux un peu plus animé, une autre terrasse de café avec wifi situé dans une rue piétonne dont je ne connais pas le nom, une rue qui mène à un centre commercial nommé les 4as. Le café s'appelle le Tutti Frutti, il ne paye pas de mine, il ressemble à une sandwicherie, il propose aussi des crêpes, nettement moins bonnes que celles de Rennes, mais sa clientèle est jeune, entre vingt et trente ans, et sa terrasse est agréable. De même, venir jusque là m'oblige à marcher,  ce qui ne peut pas me faire de mal, au moins une demi-heure par jour.

Il est 17h00 et je viens donc de lire les premiers poèmes du recueil de Zazou. Beaucoup sont à mil lieu de mes préoccupations, mais c'est avec un vrai plaisir que je les découvre. Ils me changent de monde, me font voir d'autres horizons que, sans leur déclic, je ne pourrai déceler actuellement. Oui, de moi-même, par moi-même, mes déclics ne m'amènent qu'au cancer, aux gens malades, au gens qui vont mal, dont Cynthia évidement, bref, rien pour ensoleiller un peu l'espace de mes neurones. Là j'aimerai savoir que ma belle-mère, Mamy, Lila, François, vont a peu près bien, qu'ils sont comme dans une période de rémission, qu'ils ont un vrai répit. Oui, cela me rendrait l'évolution de mon cancer moins amer, je pourrai me dire qu'il y en a pour qui le sort est moins sordide, qu'ils ont encore des années à vivre.

9 commentaires:

  1. Même si je sens que je me fais un peu à t'écrire, je pense bien à toi.. mon ami me ramenant à ta situation, votre situation commune.. je te transmets un peu de cette force qu'il arrive à m'apporter par sa seule présence et son sourire quand il fait des choses qu'il aime.. prends bien soin de toi.. demain existe toujours.. ou aussi aujourd'hui a existé et j'apprécie au mieux ces instants de vie.. à bientôt, je t'embrasse, amicalement, virginie ps : mes pensées aux personnes participant aussi sur ton blog, lila, mamy, zazou.....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. je me fais un peu moins présente à t'écrire....

      je pense que vous avez compris.. :-)

      Supprimer
    2. Toi, tu es comme Cynthia et Zazou, des personnes qui nous donnent du réconfort, qui font que le se sent moins seul, moins isolé avec et dans notre maladie, même s'il est peut-être vrai, surtout dans mon cas, que nous ne vous montrons pas à quel point cette folle relation nous fait du bien. Pour Cynthia, parce que cela fait deux ans que cela dure au quotidien, elle commence à accuser le coup, véritablement, car en plus du sort de ses proches, elle a également le travail à penser, chose qui n'ai pas aisé lorsqu'on à l'esprit trop encombré par l'inquiétude, voire la tristesse.

      C'est toujours avec plaisir que je reçois tes mots, tes photos. Avec Mamy vous m'apportez a Normandie à domicile, région que je préfère franchement à la Franche-conté. Je te dis donc à bientôt Virginie !

      Supprimer
  2. Je suis en rémission et entend bien le rester; mais, dans votre cas, il y a une étincelle d'espoir; soit, les tumeurs ont grossi, soit elles sont mortes dans votre cerveau, suite à la radiothérapie; il faut garder l'espoir et faire de petits projets, comme celui de voir Jade prochainement; adorable petite fille qui vous écrit et qui doit être bien inquiète; Cynthia aussi n'est pas en forme mais elle doit continuer à vivre, à travailler
    Dans les poèmes de Bérengère, il y en a un qui m'émeut particulièrement, c'est la clé de ton monde" dédié à sa grande fille un peu mutique; mais c'est une adorable gamine. En octobre, nous retrouverons notre fille, nos petites filles et les parents de notre gendre au Mont Saint Michel et leur ferons découvrir Saint Malo, la pointe du Grouin; c'est pour cela que je lutte même si parfois, j'en ai un peu marre aussi
    Je vous envoie un autre poème d'Aragon que vous connaissez peut-être et que j'offre à Cynthia
    COURAGE, vous n'êtes pas seul
    Gros gros bisous
    Mamy


    Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
    Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
    Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
    Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

    J'ai tout appris de toi sur les choses humaines
    Et j'ai vu désormais le monde à ta façon
    J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
    Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
    Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
    J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson.

    Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
    Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
    Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
    Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

    J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
    Qu'il fait jour à midi qu'un ciel peut être bleu
    Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne
    Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne
    Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux
    Tu m'as pris par la main comme un amant heureux.

    Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
    Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
    Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
    Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

    Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes
    N'est-ce pas un sanglot de la déconvenue
    Une corde brisée aux doigts du guitariste
    Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
    Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
    Terre terre voici ses rades inconnues.

    Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
    Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant
    Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
    Que serais-je sans toi que ce balbutiement.


    Louis Aragon

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui sage Mamy, il y a une lueur d'espoir, je le sens, l'éprouve, et m’efforce de l'entretenir. Je ne sais quels soins seront décidés à mon sujet, mais je m'en remet à mes médecins en qui j'ai confiance. Cependant, et cela je n'arrive pas à en démordre, combien de temps me permettront-ils de gagner sur la vie, dans la vie? Pas longtemps est ce que je crois, une année serait déjà formidable.

      Dans le recueil de Zazou, j'ai lu le poème qui vous est destiné. Il m'a mis la larme à l’œil, je la voyais à votre chevet, assise sur une chaise près de votre tête, mais n'osant vous caresser le crâne parce que la chimiothérapie avait agit. Je me suis dit que c'était beau de pouvoir dire ainsi ses sentiments à sa mère, et je regrettais alors de ne pouvoir faire de même envers la mienne, non que je ne l'aime pas ou n'y suis pas attaché, mais trop de choses nous séparent, trop de choses ne concordent pas. En tout cas votre fille vous aime et vous apprécie, cela semble indéniable.

      De même, vous me parlez de Saint-Malo, du Mont Saint-Michel, etc. Comment ne puis-je regretter? Mais je ne regrette pas vraiment au final, je sais que j'ai énormément apprécier mon année à Rennes, peut-être l'une des plus belle de ma vie, et cela malgré la maladie. Si les parents de votre gendre ne connaissent pas le coin, nul doute qu'ils l'apprécieront, c'est pour moi une évidence.

      Quant au poème d'Aragon, encore un très beau poème, je ne sais ce qu'en pensera Cynthia. Certes je lui ai fait découvrir des choses, tant par des actes que dans le monde de la pensée, des idées, mais est-ce à dire que cela lui a fait du bien? Seule elle le sait.

      Quoi qu'il en soit je vous remercie de me faire encore découvrir ce poète, ce qui me fait penser à aller acheter l'un de ses recueils, chose que je n'ai toujours pas faite.

      Je vous embrasse très fort, continuez à prendre bien soin de vous et vivement le mois d'octobre !

      Supprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour Lila, saches que je suis ravi de te lire si longuement, toi qui connaît le mieux ma situation, qui sait parfaitement ce que sont mes effets secondaires et les handicaps que cela peut procurer.

    Effectivement, je comprends parfaitement que tu aurais préféré rêver d'autre chose que d'hôpital, de maladie et de cancéreux, il y a quand même des rêves plus agréables. Moi, ma mémoire étant ce qu'elle est, c'est-à dire de pire en pire, je ne me souviens jamais des miens, alors que chaque nuit je suis réveillé au moins une fois par l'un d'entre eux. Mais je me rendort et, au lever, c'est le désert, comme s'il n'y avait rien eu.

    Je suis vraiment content d'apprendre que ta tumeur se stabilise et j'espère qu'il en sera ainsi encore de longues années, voire jusqu'à la fin de tes jours, celle du mort « naturelle ». Oui, même si je n'y crois pas, j'invoque ton Dieu pour qu'il écoute ma doléance, exauce mon vœu, te permettant de profiter pleinement de tes jours et des gens que tu aimes. D'ailleurs, tous mes radiothérapeutes m'ont dit que l'on pouvait parfaitement mener une vie normale avec une tumeur au cerveau, dès lors qu'elle se tient tranquille. Je veux, égoïstement, égocentriquement, que cela soit ton sort.

    Aujourd'hui je devais rencontrer ma nouvelle oncologue, mais le rendez-vous a été reporté à lundi prochain. De même, comme tu l'as peut-être lu dans l'un de mes articles, je dois passer un spectre IRM dans les prochains jours. Connais-tu cet examen, l'as-tu subi ? Quoi qu'il en soit, c'est en fonction du résultat que seront décidés mes soins à venir. On verra bien.

    Sinon c'est la rentrée scolaire pour tes enfants et je pense que cela doit courir un peu dans tous les sens, non ? Et lorsqu'ils ne sont pas là, que fais-tu de beau ? Dessines-tu ? Moi, tu le sais, j'écris tant que je peux.

    J'espère avoir à nouveau de tes nouvelles, quand tu peux, quand tu veux, cela me fera toujours plaisir. Je te laisse également mon adresse email :

    origines1@gmail.com

    RépondreSupprimer
  5. Bonjour Hicham, bonne chance pour ton IRM de demain, je n'ai jamais fait de spectre IRM je ne sais même pas ce que c'est je vais faire une recherche sur le net.

    La rentrée scolaire des enfants s'est bien passé, ma fille est au CE1 et mon fils à la maternelle à la petite section (il aime bien sa maîtresse alors ça va ;) )

    Ça fait longtemps que je n'ai pas dessiné je compte reprendre, le dessin m'apaise beaucoup. D'ailleurs j'ai envie d'en faire un pour toi.

    À très bientôt.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Lila,

      demain c'est ma nouvelle oncologue que je rencontre. Pour le spectre IRM, j'attends toujours le rendez-vous !

      Quant au dessin, j'espère que tu vas pouvoir reprendre, avoir le temps et l'énergie, et c'est avec plaisir que j'en receverai un de ta part. A cette occasion, je te donnerai mon adresse, l'encadrerait lorsque je le recevrai et l'accrocherai à l'un de mes murs, bien en évidence, soit dans mon salon, soit dans ma chambre, histoire de le voir chaque jour.

      Je te souhaite une bonne fin de dimanche et te dis à bientôt. Un salut également à toute ta famille, surtout à ton mari qui, comme le fait Cynthia pour moi, te soutient.

      Supprimer