jeudi 9 juillet 2015

Vide...

9 juillet 2015


Il est dix heure, voici un peu plus d'une heure que je suis réveillé et, chose qui ne m'étais pas arrivé depuis deux bonnes semaines, j'ai immédiatement eu envie de sortir, de quitter l'appartement. Ainsi, cela fait une bonne heure que je suis dehors, à peine le temps d'enfiler mon pantalon et de prendre mon ordinateur, et me voilà déjà Place Sainte-Anne. Je ne vais pas y rester longtemps, car dans une heure j'ai rendez-vous avec une assistante sociale de l'hôpital. Oui, nous montons mon dossier de renouvellement pour ma reconnaissance de Travailleur Handicapée et de de renouvellement de mon Allocation Adulte Handicapé. J'ai donc des certificats médicaux à fournir et toute une liasse de paperasserie diverse. Bref, tout ça c'est de l'administratif, rien de passionnant, j'espère simplement qu'il ne manquera aucune pièce.

Ce matin le temps est bien frais sur Rennes et le vent souffle. Vivement cet après-midi, la température devrait remonter. Il y a bien quelque rayons de soleil parfois, mais ces derniers sont éphémères, vite balayés par les nuages. Ce matin, face à mon écran, je me découvre des problèmes visuels. Lorsque je relis l'une de mes phrases, c'est un carré blanc qui suit le mot lu. Il en va de même si je vais en arrière. Bref, face à ma page je vois plein de carré blanc et il faut que je me concentre quelques secondes avant de voir enfin le mot apparaître. Évidemment je ne peux que penser à ma séance de radiothérapie, aux effets secondaires qui commencent, vu que c'est la zone de mon cerveau qui gère le visuel qui a été irradié. Donc je prend acte de ce nouvel incident, de ce nouvel accroc, de ce nouvel handicap. Combien de temps va-t-i durer ? Est-ce provisoire ou sera-ce définitif ? Cela peut-il empirer ? C'est un nouvel épisode, une nouvelle péripétie, à l'avance aussi lassante que les précédentes, mais dont je me fais déjà une raison.

De tout cela, je ne pourrai plus en parler avec mon psychiatre. Effectivement, mardi dernier je le voyais pour la dernière fois. Il part en vacance et, lorsqu'il sera de retour, je serai installé à Belfort. Il m'a demandé de lui donner des nouvelles, demande que j'ai trouvé étrange de sa part. Peut-être l'appellerais-je, je n'en sais rien, mais pour lui dire quoi ? Ce que je pense de Belfort ? Si j'accepte avec plus de sérénité la mort qui m'attends ? Si je me suis mis à faire des projets et a essayer de les concrétiser ? Et après, même si nous papotons ensemble, est-ce que cela me sera utile ? Quoi qu'il en soit je l'aimais bien, il m'était fort sympathique et je me demande comment sera celui qui prendra sa relève.

Il est à présent 16h30. Dès que j'ai quitté l'hôpital ce matin, je suis directement rentré me recoucher et ne me suis levé qu'il y a une heure. J'ai consulté mes mails, dont un qui venait du forum de la ligue contre le cancer. Il s'agissait d'une personne qui était venue solliciter de l'aide pour accompagner au mieux, en phase critique d'un cancer du poumon, son père. Je lui avais alors répondu ce que je pouvais, dans les limites de mon savoir, et aujourd'hui elle nous annonce la mort soudaine de son père. Les médecins lui donnaient jusqu'à la fin de l'année, mais cela s'est produit plus tôt que prévu. Tout à l'heure j'irai laisser un mot à cette personne qui n'est autre que sa fille. I ne sera pas bien long, car que voulez-vous dire dans ces circonstances. D'ailleurs, tellement je n'ai rien à dire, si ce n'est les formules convenues, j'hésite même à lui répondre. Voilà, il y a encore deux ou trois mois, un monsieur vivait encore, sa fille était dans tous ses états, mais la vie est ainsi faite qu'elle n'a plus d'autre choix que de prendre acte de la mort, de redescendre de tout ses états, de délaisser définitivement l'inquiétude, l'angoisse et le stress que lui générait la maladie de son père, et de poursuivre sa route, qu'elle s'en sente le courage ou non.

Voilà ce qui nous attends tous un jour ou l'autre, dans des conditions plus ou moins bonnes, en étant plus ou moins préparé, les deuils. Mais je m'arrête là sur le sujet, car en ce moment je n'ai pas envie de penser, de réfléchir, je ne sens pas ma tête prête à cela. De même, n'ayant pas envie de lire Cioran, j'ai ressorti un autre bouquin de ma bibliothèque. Il s'agit de l'anthologie de la poésie portugaise contemporaine. Il contient les poèmes de divers auteurs et, en m'installant à la terrasse où je suis actuellement, bien avant de sortir mon ordinateur, j'ai voulu me replonger dedans. Cependant, après la lecture de quatre ou cinq poèmes, déjà mon esprit fatiguait. Je l'ai donc refermé et le ré-ouvrirais un peu plus tard.

De même, depuis que je suis réveillé je me dis que je dois appeler Cynthia. Cependant je n'ai pas envie de parler, ni d'écouter quiconque. Je remet donc cette tâche à un peu plus tard. De quoi ais-je envie en ce moment est ma question. A priori de rien en particulier, si ce n'est de me sentir seul, isolé, coupé de notre monde, des gens, des devoirs, des attitudes séantes. Oui, là je me verrai bien en ermite, en pleine forêt ou en plein champs. Je regrette de connaître trop bien certaines personnes, à commencer par les membres de ma famille et Cynthia. Oui, ils m'empêchent de partir, d'aller m'isoler définitivement, même en pleine ville. J'en ai assez de rencontrer du monde en ce moment, j'en ai assez d'avoir à faire avec des administrations, des entreprises privées, d'avoir des comptes à rendre, que ce soit à travers des factures ou d'autres papiers, formulaires. Vivement le jour où, même ça, je n'aurai plus la force de m'en préoccuper. Ce sera encore un pas en avant, voire un bond gigantesque vers ma fin, la délivrance, forcément.

Comme d'habitude je regarde les gens passé sous mes yeux, sur les trottoirs, traversant les rues, je m'imprègne de leur mouvement. Je ne sais pourquoi, mais il n'y a que cela qui m'apaise réellement, leur mouvement. La majorité d'entre eux marchent nonchalamment, exceptionnels sont ceux qui pressent le pas et encore plus rares sont ceux qui courent. Oui, on croirait que tout le monde est en vacance et l'atmosphère est donc agréable, d'autant que le temps l'accompagne. En ce moment j'ai envie d'être dans le sommeil. C'est un refuge, un isoloir, seul moment où j'oublie tout, y compris moi-même. J'apprécie donc toutes les siestes que je fais, les exécute sans contrainte, bien au contraire. Je pense déjà à la nuit que je vais passer, à cet instant où je vais m'endormir profondément, tournant définitivement le dos à cette journée qui s'écoule, qui ne m'intéresse pas plus que les autres, me disant simplement qu'il est malheureux que demain et après je doive en vivre d'autres, aussi creuses, aussi plates, quoi que j'y fasse ou non. Oui, plus rien ne me transporte, vraiment plus rien. Là encore je n'y vois que les tours de mon cerveau. Il est indéniable qu'il m'a bel et bien changé l'esprit, l'humeur et mes sentiments. C'est comme si je devenais de plus en plus blindé, de moins en moins sensible, le sort de tout ce qui est autour de moi, du monde entier, ne me préoccupant plus, me laissant presque totalement indifférent. Non, je ne bondis plus comme hier lorsque j’apprends tel ou tel crime, l'inceste, la pédophilie, le viol, le meurtre. Pas plus je ne m'offusque lorsque je constate tous les signes flagrants d'inégalité qu'engendre notre monde. Le sort des miséreux ne me parle plus. Comme moi, comme vous, ils construisent leur tombe, voici ce que je me dis en pensant à eux maintenant. Pas d'empathie, pas de compassion, pas d'état d'âme, je suis deviens une espèce de fataliste chez qui la morale, les valeurs communes n'ont plus grand sens, voire plus de sens du tout. Je pense au mariage pour tous. Hier j'aurai été ravi de cela, j'aurai interprété cela comme une avancée ou, au choix, comme un retour aux sources, celle de la Rome antique où l'homosexualité faisait partie des mœurs quotidienne, bien avant l'invention des religions monothéistes et de l'hétérosexualité qu'elles ont institué.

Sur ce, je terminerai cette article sur un court poème portugais de Jorge de Sena (1919-1978) :


DISTIQUE

La vie qui crie beaucoup ne dit jamais rien
La mort qui dit toujours tout est bien silencieuse

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