dimanche 19 juillet 2015

Rupture II

19 juillet 2015


Debout depuis 8h00, dehors une heure après, à la terrasse d'un café près de la gare, je me suis occupé à recopier des citations, des aphorismes, des pensées de Cioran, toutes issues de son livre « De l'inconvénient d'être né », son ouvrage le plus connu, sans conteste, mais qui n'est cependant pas mon préféré. Puis, n'ayant plus de cigarillos, j'ai quitté ce café pour me rendre dans le quartier « république », là où se trouve un tabac ouvert le dimanche matin, puis me suis installé dans un café à proximité, là où je me trouve actuellement. J'ai hésité entre reprendre la copie des notes de Cioran ou écrire mes propres mots, car dans ma tête je constate que ce n'en est pas fini avec mon frère. Aussi, afin de passer une journée tranquille, sans tumultes dans mon esprit, j'ai pris le parti de continuer à vider mon sac sur ma relation avec mon frère, à faire le point de ce qu'il en est en moi à ce jour.

Immédiatement je me souviens de nos premières années, celles qui vont de nos naissances réciproques à mes trente ans. Jusqu'à ce qu'il soit âgé de seize ou dix-sept ans, je l'ai pour ainsi dire ignoré, il ne m'intéressais pas. C'était l'époque où j'étais un jeune majeur et, comme de tout temps, je trouvais les plus jeunes que moi inintéressant. Oui, dans mon esprit étriqué, ils ne pouvaient avoir l’expérience de la vie que j'avais, l'audace qui me conduisait régulièrement à braver l'interdit, à l'enfreindre, bref, tous et toutes n'étaient dans mon regard que des petits cons juvéniles. L'instauration d'une relation digne de ce nom avec mon frère, Chafik, démarra donc très tard, alors que lui-même s’apprêtait à devenir majeur. Effectivement, j'avais remarqué qu'il commençait à avoir du répondant, une certaine forme de rhétorique et une volonté de s'affirmer comme au-dessus du lot, ou au moins à égalité avec ses copains. J'appréciai ce côté de sa personne et, du coup, je commençais à aller vers lui, à connaître son monde, ses copains, ses loisirs. A cette époque nous habitions tous deux encore chez ma mère et, de fait, nous croisions tous les jours. Dans ma famille, hormis ma sœur et mon père, ce dernier ne vivant plus avec nous à cette époque, les joutes verbales étaient monnaies courantes entre ma mère et ses deux fils. Inutile de vous dire qu'il était rare que nous soyons sur la même longueur d'onde que notre mère et c'est en association que mon frère et moi essayions par tous les moyens rhétoriques de casser les raisonnements de notre mère. Voilà ce qui a été le socle de notre relation, notre opposition à notre mère, à sa forme de pensée, voire à certains de ses actes. Pour autant, en dehors de la maison, chacun avait sa propre vie, mon frère de son côté et moi de la mienne, et il n'était nullement question de se rendre des comptes sur ce que nous faisions ou non. Oui, ce qu'il faisait dans sa bulle me laissait complètement indifférent et, peut-être, inversement.

Puis quelques années plus tard, alors que j'avais aux alentours des vingt-trois ans, m'étant engagé dans une spirale désastreuse où le mal que je pouvais faire ou me faisais était chose courante, il devint mon confident. Oui, dès que quelque chose n'allait pas dans ma tête, dès qu'un questionnement me perturbais, bien souvent je le couchais par écrit et lui donnait à lire. Très rapidement je m’aperçus qu'il ne me donnait pas son avis et, dans un premier temps, j'avais envisagé de cessé de lui faire lire mes écrits, écrits qui étaient mon intimité la plus profonde, tant sur ce que je pensais de moi que du reste. Cependant, éprouvant le besoin impératif de me sentir reconnu et accepté pour ce que j'étais, mes travers y compris, je continuais à lui faire lire mes écrits. Cela dura jusqu'en 2007, date où j'ouvris mon premier blog, portant à la connaissance d'autres individus ce que j'avais gardé secret tant d'année. Depuis, jamais plus je ne fis de mon frère mon interlocuteur privilégié. Pendant une bonne décennie, entre mes vingt et trente ans, il fut effectivement le seul à connaître tous mes secrets avec mon meilleurs ami de l'époque, Laurent. Pour autant, c'est avec Laurent que je construisais des choses, vivais, le voyant presque quotidiennement, discutant, échangeant sur tout et sur rien, étalant mes états d'âme dans un état alors désastreux. Mon frère était en quelque sorte mon AFP, tandis que Laurent était le journal avec lequel j’œuvrai.

A côté de tout cela, il y avait tous les aspects de mon frère que je n'appréciais pas et il est clair que s'il n'avait pas été mon frère, mais juste un lambda comme un autre, jamais il ne serait entré ans le cercle de mes relations. Effectivement, très vite, je ne sais même pas s'il avait déjà vingt-deux ans, son choix fut d'écarter sa famille de sa vie. Sa décision était prise et les autres, pourvu que ces derniers lui apportent satisfaction, passerait en priorité dans sa vie. Il a ainsi fait tous les efforts que tout le monde effectue pour garder, préserver, entretenir certaines de ses relations, tous efforts qu'il n'était pas prêt à effectuer pour les membres de sa famille. Vous dire que je n'étais pas du tout sur la même longueur d'onde serait un euphémisme. De même, il est d'autres détails de sa personnalité, dont celui de vouloir jouer le rôle de moralisateur, de personne ayant une certaine forme de sagesse, qui me gonflais également passablement, lui qui est devenu si rapidement un alcoolique et dont les actes de sa vie étaient en totale contradiction avec ses dires. Là encore, ce type de personnalité n'est pas fait pour moi. Personnellement je n'apprécie que les gens dont les actes sont, dans la mesure du possible, le plus conforme avec leur pensée, leur vision des choses, et peu importe que je ne partage pas forcément leur point de vue. Ainsi, c'est bien souvent que j'écoutais mon frère jouer au sage, me taisant souvent pour éviter de casser ses raisonnements, afin de ne pas lui faire de mal. Il se peut que de son côté il ait fait de même. Quoi qu'il en soit, et cela ne date pas d'hier soir, notre vision de l'existence est on ne peut pus différente, ainsi que notre conception de l'homme. Enfin, mon frère est bien plus apte à remettre en cause l'autre, chose qui est la plus aisée à faire au monde, que lui-même. En cela, là encore, c'est un état d'esprit qui nous distingue, car même si je remet parfois l'autre en cause, en parallèle je ne peux m'empêcher de m'interroger sur le bien-fondé de cette remise en cause, me remettant en question par là-même.

Mais depuis près de vingt ans maintenant, nos rapports ont bien changé, notre relation n'a plus du tout suivi la trajectoire initiale. Elle est devenu ce que je décrivais dans mon article précédent, « Rupture », où si je ne me manifeste pas à lui, alors je n'aurai strictement aucune nouvelle de lui puisqu'il ne s'intéresse pas plus de deux secondes au sort des membres de sa famille. Pendant vingt ans, uniquement en souvenir de nos jeunes années passées ensemble, j'avais fait le choix d'occulter tous ces aspects déplorables de son caractère, de son état d'esprit. A présent je crois que j'ai assez donné et qu'il est temps que je l'envoi se faire foutre, le laissant dans sa bulle pour ne me consacrer qu'à la mienne où il n'y aura plus de porte d'entrée pour sa personne. L'exception a assez duré et, même si ce n'est pas d'hier que cela date, il ne mérite vraiment plus la peine de ce privilège.

En moi, depuis cet incident sur facebook, je sens ma contrariété d'alors se dissiper de plus en plus, ma tranquillité intérieure revenir petit-à-petit, y compris en pensant à lui, ce qui est un très bon signe, celui qu'il me sera simple de l'oublier, facile de tirer une croix définitive sur lui. Non, cette modification, sa mort que je programme en moi, ne sera pas l'histoire de décennie ou d'années, même pas de mois. Je découvre ainsi qu'il était bien moins implanté dans mon cœur ou mon esprit que je ne le pensais, que ces vingt dernières années, sans que je m'en aperçoive, ont fait leur travail d'usure à force d’absence de sa personne ou de comportements que j'ai trouvé choquant. Cependant, pour qui me connait, je ne suis pas un saint non plus, loin de là, et il serait bien trop simple, bien trop facile et lâche d'affirmer qu'il est le seul responsable de cette situation. Non, je pense que les choses sont beaucoup plus simple. J'ai toujours fui, éviter les personnes qui ressemblaient à mon frère, trouvant la plupart d'entre elles sans véritables consistances. Certes, comme lui, elles sont des êtres très sociables, d'accès relativement facile, mais sociable ne veut pas dire fréquentables pour autant ou  intéressantes. De même, parmi les personnes vivant dans son type de bulle, pas l'une d'entre elles ne m'a jamais aidé à m'élever dans ma vie, à sortir de quelques enfers intérieur qui furent mon lot quotidien à l'époque de mes vingt ans, pas plus que je n'en ai trouvé de profondes dans leurs raisonnements, dans leurs réflexions. Je vois, peut-être à tort, le monde de mon frère comme un monde superficielle, où les quelques combats qui y sont menés sont d'arrière-garde, d'un autre âge, tout au moins dans la forme. C'est un monde de rêveur où le plaisir, se faire plaisir, mais uniquement avec ce qui leur fait plaisir, méprisant les autres formes de plaisirs, prime sur tout le reste et, bien évidement, ils n'hésitent pas à écarter, critiquer, quiconque serait un frein à leur logique.

Mais me direz-vous, n'est-ce pas ainsi que cela se passe dans chaque bulle ? Évidemment que oui et ma bulle n'échappe pas à la règle, preuve en est ma critique de celle de mon frère, sous-entendant ainsi que la mienne serait, sinon meilleurs, tout au moins plus intéressante que la sienne. Mais comme vous le savez, il en faut pour tous les goûts et, tant qu'une bulle et ses membres ne porte pas atteinte aux autres bulles, toutes se valent quelque part. Pour leurs membres, elles ne sont là que pour un temps, le temps de leur existence, et pour traverser la vie y a-t-il un meilleur chemin qu'un autre, une meilleure route ? Je crois que l'important est que chacun y trouve son compte, mais pour autant si bien des bulles peuvent exister côte à côte pacifiquement, cela ne signifie pas qu'elles peuvent habiter ensemble. Moi, je ne peux plus habiter avec mon frère. Je me rappelle même l'avoir hébergé un temps, il y a une dizaine d'année, mais je l'ai viré un ou deux mois plus tard, car il n'était même pas capable d'avoir la bienséance de respecter quelques règles de base que je lui avais fixé. Ainsi, même dans les faits, vivre avec lui ne m'était pas possible. N'ayant jamais eu besoin de lui dans les pires moments de mon histoire, il ne me manquera donc vraiment pas, même si lors de ces fameuses périodes douloureuses, je ne peux que reconnaître, admettre, proclamer, que sa simple présence me fût tout de même salutaire sur le moment.

2 commentaires:

  1. vous semblez un peu malheureux quand même; mais oui, chacun vit sur son arbre, regarde l'autre vivre dans son arbre différemment mais personne ne détient la vérité.
    Bisous

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  2. Malheureux? Pas du tout, et c'est même plutôt heureux que je suis, agissant conformant à ma pensée comme il le plait de le faire à chaque fois que je le peux. Ainsi, en moi, il n'y aura plus de dilemme, de poire à couper en deux pour ménager la chèvre et le choux. Si cela doit se faire un jour, je pourrai ainsi clairement affiché ma position, non seulement au principal concerné, mais également à ceux qui sont relié à lui (comme ma mère, ma soeur ou d'autres). Par contre, je suis déçu, cela oui, dans le sens ou j'éprouve un sentiment d'insatisfaction quant à l'échec du but que je m'étais fixé avec ce piètre luron, c'est-à dire conservé malgré ses tares une relation fraternel. Mais des déceptions bien plus cruelles que celle-ci, bien plus dévastatrices, comme vous le savez désormais, à commencer par tout ce qui a tourné autour de ma relation avec ma fille, j'en ai eu et aucune ne m'a empêcher de parvenir, tôt ou tard, à les surmonter, à passer outre, voire même à pardonner à celle qui fut à l'origine de biens de mes déboires, à savoir la mère de ma fille. Pour autant, elle n'est pas dans ma bulle pour autant et jamais plus elle n'y entrera. Envers mon frère, les choses seront beaucoup plus simple à gérer, car entre nous il n'y a strictement aucun enjeu, sinon ce qu'il faut faire de nos souvenirs et de comment les apprécier ou non à présent.

    Gros bisous Mamy !

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