lundi 6 juillet 2015

Nonchalence

6 juillet 2015


Il est un peu plus de 16h00, cela fait une bonne heure que je suis dehors, à la terrasse d'un café, mais aujourd'hui je n'avais pas envie d'aller dans le quartier Saint-Anne. Je suis donc dans le quartier « république », prés de sa rue piétonne où, là aussi, je n'ai pas envie d'être. Pourtant, et c'est ce que j'apprécie grandement à Rennes, c'est qu'une bonne partie de son centre est piétonnier. Pas de voitures ou, pour ainsi dire, pratiquement pas. Oui, très peu de véhicules circulent dans le centre. Mais aujourd'hui j'avais envie de me dépayser un peu et je me suis donc attablé dans un café où je vais rarement, situé en bordure d'une voie ouverte à la circulation. Cependant le défilé des voitures n'est pas vraiment dense, raison de mon choix.

Depuis midi, Cynthia est à Lyon. Elle est enfin dans sa famille, avec ses parents et sa mère malade, en convalescence. Plus tard elle me dira ce qu'elle a pensé de ce nouvel univers qu'elle découvre, des nouvelles habitudes prises par ses parents, sa mère ne pouvant se déplacer seule. Là-bas, à Lyon, c'est encore la canicule. Du coup, Cynthia réalise les bienfaits de la Bretagne, de son climat tempéré où les fortes chaleurs sont plutôt rares

De mon côté je pense à demain, à ma séance de radiothérapie. Oui, j'ai hâte d'y être, d'être en soin, car je le sens, je nourri l'espoir qu'elle permettra l'éradication de ma nouvelle métastase. Si ce n'était pas le cas, cela sera dommage, je me retrouverai avec trois métastases de tailles différentes entrain d'endommager encore un peu plus mon cerveau, offrant également plus de possibilité pour leur reproduction.

Aujourd'hui, pour une fois, je me sens en état de parler un petit peu. En conséquence j'ai appelé les personnes de mon entourage, amis et famille, mais je n'ai eu que leur répondeur, hormis ma fille qui m'a rappelé. Tant pis, je n'ai eu personne, mais comme j'ai néanmoins envie de converser un peu, tout à l'heure j’appellerai ma mère. Je pense que du fait de ses problèmes de santé, elle doit être chez elle et que je n'aurai donc aucun mal à la joindre. Cela me fera plaisir d'entendre sa voix, même si je crains qu'elle m'assomme un peu la tête tant elle parle vite, bien trop vite pour moi. Oui, rapidement mon cerveau ne suit plus, n’emmagasine plus tout ce qu'il entend, c'est comme si je commençais à me noyer. J'ai également pensé appeler mon frère, mais je m'aperçois que je n'ai vraiment rien à lui dire et que ce qu'il fait de sa vie m'intéresse peu dans le détail. Oui, les activités des uns ou des autres ne sont plus un sujet d'intéressement en ce qui me concerne, pas plus que je n'ai envie de raconter de vive voix ma petite vie. Ce qui m’intéresse encore, c'est l'état d'esprit des gens, leurs humeurs, comment ils se vivent ou vivent les autres. Évidement,  il est clair que leurs sentiments, quel qu'ils soient, sont le résultat de leur activité, que l'un ne va pas sans l'autre, et pourtant leur activité ne m'intéresse pas ou presque plus. Je ne m'explique pas encore bien cette anomalie de ma part, car cela ne me ressemble pas ou, tout du moins, ne ressemble pas à celui que j'étais naguère. Oui, auparavant, désireux de comprendre au mieux qui était face à moi, je prenais un maximum d'informations, me préoccupais des moindre détails de son histoire. Est-ce à dire qu'à présent il m'importe peu de savoir qui j'ai face à moi exactement ? Et bien je crois que oui, que cela n'est plus aussi vital que par le passé. Aujourd'hui j'accepte l'inconnu, j'accepte de ne pas savoir, j'accepte mes méconnaissances.

De même, je ne sais par quelle étrange association d'idée, je pense à l'hôpital psychiatrique, lieu où, cumulées, j'ai passé des années entières. Qui étais-je ? Que se passait-il alors dans ma tête pour que je sois voué à y séjourner aussi longtemps ? Je n'arrive plus à me remettre dans la peau du personnage, même si j'ai des images qui vont et viennent dans ma tête, images de moi-même, images de ceux et celles que j'ai côtoyé dans ces lieux, qu'il s'agisse des autres patients ou du personnel médical, psychiatres y compris. Oui, je ne sais pourquoi je pense à cela, maintenant, alors que rien dans ma journée n'est sensé m'y ramener. Du coup je pense à Michel, bien évidement, mais aussi à Virginie, mon premier amour, ma première et seule déception sentimentale, à la pente que j'ai emprunté alors, celle qui m'amena à couler, ni plus ni moins. Bien évidement elle n'est coupable de rien, ni responsable de quoi que ce soit. Je n'ai pas su gérer la rupture, voilà tout, je me suis écrouler, c'est ainsi, et n'ai rien fait pour tenter de me relever en temps et en heure. La suite de l'histoire n'est donc pas surprenante si j'y réfléchi bien, cela ne pouvait aller dans le bon sens, dans un sens positif pour moi ou ceux et celles qui se trouvaient face à moi. J'avais baissé les bras, entraînant inexorablement dans ma chute ceux et celles qui, malgré tout bon sens, s'agrippaient néanmoins à ma personne. Cela aussi je ne l'ai jamais compris. Oui, toujours j'ai eu autour de moi des personnes de qualité qui croyaient en moi, avaient foi, confiance en moi, alors que mes actes auraient dû les amener, sinon à me fuir, tout au moins à m'éviter.

Sinon, autre sujet, le cancer. Je m'aperçois que je ne recherche plus de témoignages ou de blogs tenus par des cancéreux. La seule chose que je fais encore, c'est d'aller chaque jour sur le forum de la ligue contre le cancer. Alors je me demande pourquoi je suis moins en recherche de témoignages et, pour l'heure, je n'ai pas de réponse. Sans doute suis-je moins inquiet qu'il y a quelque mois, que les quelques témoignages que j'ai lu m'ont convaincu que mon cancer ne m'emporterait pas en quelques semaines ou en quelques mois, que j'ai certainement encore quelques années à vivre, même si je ne sais dans quel état je les vivrai. De même, il est vrai que tout ce que j'ai lu et appris à travers l’expérience de ces autres cancéreuses, car je n'ai pas trouvé de témoignages d'hommes,  concernait essentiellement le cancer du sein, un cancer qui n'a rien à voir avec le mien, celui du cerveau, les dégâts n'étant pas du tout de même nature, n'engendrant évidement pas les mêmes conséquences physiques et, surtout, psychologiques. Mais j'ai été content de découvrir Catherine, Marine, Lila et les autres. C'est comme si, depuis, je me sentais moins seul. Oui, même si toutes les personnes concernées par un cancer ne tiennent pas leur petit journal en ligne, nombreux nous sommes à être touché par cette maladie, oui, très nombreux. Et pourtant, même si ce n'est pas toujours facile, la vie continue pour la grande majorité des cancéreux, car ils le veulent ainsi. Ma vie aussi continue, je ne peux qu'en prendre acte deux ans après sa première manifestation, et mon déménagement à Belfort me semble être le moment opportun de la reprendre en main, de cesser de me laisser aller comme je le fais depuis deux ans, de cesser de me laisser porter là où le vent m'emporte, là où les pas des uns et des autres, y compris ceux de Cynthia, m'entraînent. Que ferai-je là-bas ? Je ne le sais pas encore, voire pas du tout. J'attends d'être sur place, de voir ce qu'est la ville, ce qu'elle propose, pour avoir une idée du type de pierre que je pourrai être dans cet édifice.

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