samedi 4 juillet 2015

Du cancer et des corps...

4 juillet 2015


Bientôt il sera 20h00, c'est encore la canicule sur toute la France ou presque et, chance heureuse, la Bretagne est épargnée. Cependant, il fait tout de même chaud, trop chaud pour moi, et si ce soir il n'y avait pas ce vent frais qui souffle tandis que je suis à l'ombre entrain de boire un jus d'orange, nul doute que je serai entrain de suffoquer, comme hier, et ne pourrai écrire tellement la chaleur m'assommerait l'esprit.

Donc l'hôpital m'a appelé hier pour me donner la date de ma prochaine séance de radiothérapie. Elle aura lieu mardi prochain. Dans un sens cela me soulage, ce sera une bonne chose de faite, et de l'autre côté je m'interroge, ne peut m'en empêcher. Y aura-t-il un résultat significatif cette fois, autrement dit la mort, l'éradication de cette dernière métastase plus petite que les autres ? Cela je ne le saurai pas avant six ou neuf mois, laps de temps nécessaire pour qu'agissent les rayons dont elle va être bombardé. De même, d'ici ce délai, je ne peux m'empêcher de me demander si de nouvelles métastases feront ou non leur apparition. Je serai alors à Belfort, mais suivi à Lyon. D'ailleurs, dès que Cynthia aura signé un bail à Belfort, j’appellerai le centre Léon Bérard à Lyon afin de convenir d'un rendez-vous avec l'oncologue qui m'a suivi au début de mon cancer. C'est une jeune femme très bien, très professionnelle, et humaine. Cela va me faire drôle de retourner là-bas, c'est un peu comme revenir sur les lieux du crime, le lieu de la souffrance, de la déstabilisation psychique, psychologique, un lieu où j'ai pleuré alors que je devais commencer une nouvelle chimiothérapie, la troisième il me semble, et mon oncologue me voyant ainsi en larme avait tout annulé, repoussant cette chimiothérapie à dans quinze jours. Oui, j'avais craqué ce jour-là, voulais tout arrêter, ne plus me soigner, partir, laisser la mort m'emporter. Néanmoins je suis donc revenu quinze jours plus tard et ai continué mes séances de chimiothérapie. Ce n'est qu'au terme de ces dernières, soit cinq mois plus tard, qu'eut lieu mon opération, celle où on me retira une partie de mon poumon droit. Depuis je suis constamment essoufflé, quoi que je fasse, que je marche ou parle. Oui,  le centre Léon Bérard a marqué irrémédiablement mon esprit, que ce soit le lieu lui-même ou toute l'équipe médicale qui m'a pris en charge, oncologue, radiothérapeute et chirurgien. Leurs visages sont gravés dans mon esprit et, je le crois, jusqu'à ma mort je me souviendrai d'eux.

Je constate qu'auparavant je n'aimais pas écrire sur mon cancer, que cela me mettait de sale humeur ou me rendait morose. A présent, j'apprécie presque d'écrire dessus, comme si j'avais fait la paix avec ma maladie, avec moi-même donc, apprenant même à apprécier certain de ses aspects, certains de ses effets collatéraux, comme de ne plus avoir à exercer un emploi qui ne m’intéresse pas, ne plus avoir à supporter de pression à la con, qu'elles soient d'ordres professionnelles ou autres, d'aller dans mon rythme, uniquement dans mon rythme, car je ne peux plus aller au rythme des autres sauf s'ils sont encore plus lent que moi, quelque soit l'activité concernée.

Ce soir, parce qu'il fait enfin un peu frais et que cela me rend content, comme peut l'être un enfant, je vais me faire un cadeau dans cet écrit, citer Cioran encore une fois :

« La santé est un bien assurément ; mais à ceux qui la possèdent a été refusé la chance de s'en apercevoir, une santé consciente d'elle-même étant une santé compromise ou sur le point de l'être. Comme nul ne jouit de son absence d'infirmités, on peut parler sans exagération aucune d'une punition juste des bien-portants. » (De l'inconvénient d'être né)

Oui, la santé est un bien, mais j'ignorais à quel point auparavant. Du coup je pense à ma nièce qui a près de vingt ans, à ma fille, à tous ceux et celles qui sont encore dans la fleur de l'âge et qui ignore cette fatale vérité. Ainsi, vis-à-vis d'eux-même, comme moi jadis, lorsqu'ils se regardent dans la glace, ils sont néanmoins dans l'ignorance d'eux-même, de la situation réelle de leur corps, car n'étant pas malade, ils n'éprouvent pas plus une partie d'eux-mêmes qu'une autre. En cela, ils se méconnaissent et ne comprendront leur corps que lorsque ce dernier sera infirme, quelque soit l'origine de cette infirmité. Ainsi, en poussant la réflexion un peu plus loin, il n'est pas étonnant que quelqu'un de sain, de valide, ne pense pratiquement jamais à sa propre mort. Oui, pour y penser, il faut se sentir en danger, constater que quelque chose en nous se détraque, nous handicapant en conséquence, voire nous rendant totalement invalide.

D'aucun, comme moi hier, croyait que c'était le cancer, c'est à dire les cellules cancéreuses, qui faisait souffrir le corps du malade. Et bien non, ce n'est pas ainsi. Ce sont les soins, les traitements, qui mettent notre corps à mal, qui font que nous éprouvons dans notre chair des infirmités. Je ne parlerai pas des effets secondaires de la chimiothérapie, car quiconque s'intéresse un peu au sujet sait de quoi il en est. Il en va de même de tous les autres traitements, car tous ont des effets secondaires, plus ou moins gérables, plus ou moins acceptables, mais qui ne passent pas inaperçus pour notre corps. Enfin, il y a également les médicaments et, là encore, selon leur type et la quantité, notre corps réagit en conséquence et nous ne pouvons qu'en prendre acte. Derrière tout ça, évidement, tout du moins dans mon cas, les cellules cancéreuses sont toujours là, à l’œuvre, se reproduisant ou menant leur petite vie, provoquant parfois un mal que notre corps éprouve également. Cependant, sauf peut-être dans les cancers généralisés, je ne sais pas, ce sont bien les traitements que notre corps éprouve, donnant ainsi une réalité à notre être dont nous n'avions pas conscience avant, une réalité à ce que signifie le mot « chair », le mot « corps », le terme « être vivant ».

Pour en revenir à la citation de Cioran, bien entendu elle ne s'applique pas qu'aux graves malades. Quiconque fait un effort physique alors qu'il n'en a pas l'habitude, se réveillant le lendemain avec des courbatures, découvre lui-aussi, à cet instant, qu'il a un corps. Cependant, sitôt les courbatures, le rhume, la bronchite ou une autre infirmité temporaire passé, c'est très vite que l'on oublie que nous avons également un corps et pas seulement un cerveau. On peut dire que la révolution industrielle puis technologique, des années 1920 à nos jours, a considérablement changé notre rapport à notre corps. Oui, plus les décennies avançaient, moins ce dernier était exploité, à l’œuvre, sinon dans des tâches automatisées, robotisées, et plus notre tête, nos facultés intellectuelles étaient sollicitées. De là à penser que nous ne sommes que notre cerveau, ou presque, lorsqu'on se regarde dans notre glace, s'interrogeant sur qui nous sommes, ce que nous sommes, le pas semble simple à franchir. Aussi, bien souvent, qu'elle n'est pas notre surprise lorsque nous tombons malade, que notre corps se rappelle ainsi à notre bon souvenir. Oui, à notre époque tout du moins, tellement nous ne pensons qu'à le mettre en valeur, à ne le considérer que dans cette perspective, que nous en oublions qu'il est la machine qui nous fait vivre, une machine qu'il nous faut entretenir comme nous entretenons nos voitures, une machine qui peut se gripper, qui aura forcément des pannes, et que de cela, nous ne devrions pas en être étonné.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire