jeudi 2 juillet 2015

De mon cerveau

2 juillet 2015


Je pense à mon cancer, comme chaque jours, celui de mon cerveau, à la destruction lente mais progressive de mes facultés intellectuelles, aux métastases qui l'attaquent, aux médicaments que je prends en conséquence et dont les effets secondaires me diminuent physiquement, mais aussi psychiquement. Donc ma nouvelle métastase, celle découverte il y a presque un mois maintenant, est située dans la zone de mon cerveau qui gère la vision. Depuis ce matin, je m'aperçois que dès que je fixe quelque chose trop longtemps, et plus encore si je regarde au loin fixement, cela me tire dans les yeux, comme s'il y avait un nerf optique trop tendu. Est-ce dû à cette nouvelle métastase, je ne peux m'empêcher de me poser la question et d'y répondre par « oui ». Effectivement, depuis que cette saloperie de cancer s'est déclaré dans mon corps, je ne peux m'empêcher de lui attribuer tous mes maux, quel qu'ils soient, y compris de simples maux de tête. Bien évidement je suis sûrement, voire certainement, dans l'erreur, mais c'est ainsi.

Je pense également beaucoup à Belfort, pas tant pour le dépaysement que cela va m'occasionner, mais surtout et essentiellement, là encore, par rapport à mon cancer. Que va me réserver ce dernier pour l'année scolaire à venir ? Oui, je compte mes années en années scolaires à présent, du fait du travail de Cynthia et de nos déménagements ponctués par ce calendrier spécifique. Je ne suis pas serein, ce serait mentir que de l'affirmer, mais je ne suis pas plus inquiet que cela non plus. Oui, il me semble tellement inévitable que la progression de mon cancer ne va pas s'arrêter, lui ou ses dégâts collatéraux, telle que ma diminution physique, mes essoufflements, la perte de ma masse musculaire, que je me demande à l'avance quel type de nouveaux problèmes de santé je vais rencontrer. De plus, cela aussi est une évidence, je vieillis, ce qui ne peut rendre que plus difficile un maintien, sinon en bonne santé, tout au moins en état correct.

Virginie, une amie virtuelle de facebook, me demandait récemment quels profonds changements mon cancer avait eu comme effets envers moi-même et les autres. Immédiatement je lui ai parlé de mes changements d'humeurs, des modifications de mes sentiments envers tous le monde, sans exception, lui précisant que j'étais persuadé que c'était ainsi parce que mon cerveau était atteint et non un autre organe. Oui, j'ai lu beaucoup de témoignage d'autres cancéreux, surtout des cancéreuses dont le sein était atteint, et nul part je n'ai vu ce type de changements. Certes, quelque soit le cancéreux concerné, l'état d'esprit s'est radicalement modifié, ce que je ne peux que comprendre. Cependant, au point de vue affectif, j'ai plus eu le sentiment qu'ils aimaient encore plus les personnes qu'ils aimaient déjà, alors que pour ma part ce n'est pas dans ce sens que cela va. Est-ce à dire que j'aime moins mes proches que jadis ? Quelque part c'est cela et, en même temps, ce n'est pas cela. Mes sentiments se sont tous modifiés, que ce soit envers ma famille, ma fille ou ma compagne. Pourtant, même si j'ai bien du mal à m'imaginer sans eux dans mon entourage, à m'imaginer ne plus avoir de lien avec eux, je l'éprouve avec acuité, je n'ai pas non plus le désir sincère d'entretenir, voire d'améliorer, nos relations. Ce souhait, cet élan, qui était pourtant à la base de mes actions envers eux hier pour construire, faire des choses en leur compagnie, a tout simplement disparu. En conséquence, parce que cette impulsion de base qui nous incite à aller à la rencontre de l'autre, ne serait-ce que pour se sentir accepter par cet autre en retour, n'est plus présent en moi, je ne vais plus vers personne dans ma vie réelle. Pour la première fois de ma vie, j'ai passé presque une année complète dans une nouvelle ville sans chercher à faire connaissance avec qui que ce soit, alors que les opportunités n'ont pas manqué. Oui, de me sentir en lien avec autrui ne m'intéresse plus, ne me manque pas, et parfois je me dis qu'avec mes proches, c'est l'habitude de leur présence qui fait force de lien, bien plus que mon besoin actuel. Alors je cherche à comprendre, même si je sais que la compréhension ne changera rien à cet état de fait, et me demande plus encore comment notre cerveau fonctionne pour agir ainsi sur la zone sentimentale.

Dans mon passé, soucieux de comprendre comme l'être humain fonctionnait, en plus d'ouvrages traitant de la psychologie ou de la sociologie, j'ai également lu de nombreux livres scientifiques sur le fonctionnement du cerveau. J'en étais arrivé à la conclusion que tout sentiment, contrairement à la pulsion ou l'émotion, n'était que construction de l'esprit. Mon expérience actuelle me confirme dans cette idée. Oui, face à quelqu'un que nous découvrons, nous éprouvons d'abord une ou des émotions. Celles-ci nous sont agréables ou non et, en conséquence, nous donnent l'envie de les ressentir ou pas à nouveau. Dès cet instant, c'est donc la réflexion, l'intellect qui prend le relais, car tout ce que nous ferons ensuite sera la conséquence de nos choix, choix effectués plus ou moins consciemment, mais il est clair que la personne rencontrée n'étant plus face à nous, c'est à partir de nos propres projections, interprétations de cette dernière que nous nous déciderons à la revoir ou non, à tenter de bâtir une relation ou pas, que cette dernière soit de nature amicale ou autre. Donc toutes nos relations et les sentiments qui y sont mêlés découlent de constructions de l'esprit, constructions comportant évidement des attentes, des espoirs, des souhaits, ce qui explique que nous pouvons souvent être déçu par l'attitude, le comportement de l'autre, non en raison de ce qu'il est indépendamment de nous, mais tout simplement parce que nous l'avons mal interprété, mal compris. Ainsi, toute construction d'un sentiment envers quelqu'un, même un sentiment négatif, implique une projection de notre part avec cet autre. Lorsque l'on ne se projette avec personne, il n'y a aucun sentiment, raison pour laquelle nous pouvons côtoyer tous les jours des personnes, voisins, voisines, collègues de travail, et que quoi qu'ils fassent ou disent, cela nous indiffère et nous passons des nuits paisibles. Il en va tout autrement si nous nous pensons avec ces derniers demain en ayant des attentes.

Bref, pour en revenir à mon cas, à mon cerveau et son fonctionnement, je ne sais pas pour autant ce qui fait physiologiquement que nous sommes aptes à faire ou non des projections. Effectivement, et c'est d'ailleurs ce qui nous distingue de la majorité du monde animal, c'est notre capacité à nous projeter, puis à œuvrer pour rendre réel, concret, ce que nous avons projeté. Donc dans mon cas, je le constate, je suis comme démuni, comme si j'avais perdu cette capacité de me projeter, que ce soit seul ou avec d'autre. Cette défection est-elle uniquement cause de mes neurones, de leurs connexions, des cartes synaptiques qu'ils constituent dont je ne sais lesquelles auraient été mises à mal par mes métastases ? Ou est-ce un trouble purement psychologique comme l'on en a après un traumatisme grave ? Est-ce un peu des deux ? Bien évidement je n'ai aucune certitude sur la question, ne peux que me poser des questions, questions auxquelles personne, médecins y compris, ne peut avoir de réponses tranchées. En attendant je me vis de façon bien bizarre, me regardant chaque jour ou presque comme un extra-terrestre tant j'ai bien du mal à me reconnaître dans ce nouvel être que je deviens, avec cette nouvelle personnalité qui prend de plus en plus ses distances avec ce que je fus tant de décennies, voire toute ma vie jusqu'en novembre 2013.

2 commentaires:

  1. Bravo pour le Mont Saint Michel et merci d'avoir eu un pensée pour moi. Nous remontons demain en Normandie avec Zazou et ses enfants. J'espère qu'il y fait moins chaud que dans le Tarn et Garonne. Je n'ai guère le temps d'écrire mais je pense à vous deux et vous embrasse
    Mamy

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  2. Bonjour Mamy,
    effectivement j'ai eu, pour ma part, plus d'une pensée pour vous en passant au 45 minutes que vous avez passé à marcher pour rejoindre le Mont. J'aurai été bien incapable de le faire et, aujourd'hui encore, je me demande comment j'ai pu réussir à aller jusqu'en haut du Mont.

    Concernant le climat par ici, il me semble qu'en Normandie c'est comme en Bretagne, nous avons échappé à la canicule, mais il fait quand même chaud.

    Profitez bien de ces vacances en famille et passer le bonjour de ma part à Zazou !

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