mercredi 8 juillet 2015

De la connaissance

8 juillet 2015


Qu'ai-je à dire, à écrire ? Et bien pas grand chose, comme d'habitude, car ce sont toujours des mêmes sujets que je traite, narrant mon quotidien qui n'a rien de celui d'un James Bond, qui n'a rien de transcendant, qui n'est que routine plus ou moins déguisé. Donc j'écris toujours les mêmes choses, seule la forme change parfois, mais pas le fond. Depuis deux-trois jours je pense à Cioran et m’aperçois que, pour l'instant, je n'ai plus envie de m’attarder sur lui. Chose étrange, cette soudaine baisse d'envie coïncide parfaitement avec la diminution de ma cortisone. Lorsque je dis que ce médicament joue sur mon humeur, ce n'est pas un vain dire. Du coup j'ai interrompu ma lecture, car je le sens dans mon esprit, il m’apparaît subitement moins pertinent, comme s'il me parlait moins, comme si ses propos s'adressaient à un autre monde, celui dans lequel j'étais pourtant il y a encore quelque temps, mais dont je sort depuis quelques jours, découvrant ainsi et encore un autre monde, une autre perception de ma vue des choses et des êtres, perception à laquelle, une fois de plus, je dois m'adapter, m'habituer, y prendre des repères. Mais dans quinze jours, date à laquelle je diminuerai encore ma cortisone, tout cela volera de nouveau en éclat et, peut-être même, reviendrais-je à Cioran. Franchement, cela est fatiguant, plus lassant d'ailleurs que fatiguant. Avoir chaque jour, ou presque, une idée différente de soi-même, de l'autre, du mouvement, du monde, oui, tout cela n'est pas de tout repos pour l'esprit. Parfois je me dis que j'aurai préféré que ce soit un autre de mes organes qui ait été attaqué par le cancer. Le cerveau, c'est trop le bordel, on ne sait plus à quoi se fier, je ne sais plus ce qui est tangible de ce qui ne l'est pas, l'essentiel peut varier d'un jour à l'autre, comme ça, sans prévenir.

Aujourd'hui Cynthia a signé notre bail pour notre nouveau logement à Belfort. Voilà, là-aussi c'est une bonne chose de faite, qui ne sera plus à faire. Maintenant, il ne nous reste qu'à attendre le 7 août, date où les déménageurs videront notre appartement de Rennes, puis le 12 août, date où nous emménagerons effectivement. Demain, elle redescendra donc sur Lyon, restera avec ses parents, et reviendra pour samedi, en fin de soirée. Moi je pense aux sous, à toutes les factures qui sont tombées en même temps et qu'il va maintenant falloir régulariser. La mensualisation ça a du bon si les estimations sont à peu près juste, mais en cas contraire c'est souvent un beau bordel en perspective.

Aujourd'hui, plus qu'hier encore, le temps est vraiment printanier sur Rennes. Toute la journée le ciel a été couvert et la température est franchement descendu. Les gens ont ressortis leur pull ou leur manteau. Je suis entrain de me dire que je devrai être content puisque je ne suis déçu par rien. N'est-ce pas logique, quasi-mathématique ? Et pourtant je ne me sens content de rien, satisfait de rien en particulier, mais apprécie que ma vie se déroule sans encombre, le cancer lui-même n'étant pas un frein à cette saveur. Du coup je pense à Lila qui passe actuellement une période plus difficile que d'habitude. J'aimerai pouvoir l'aider, mais concrètement, très concrètement. Malheureusement cela n'est pas possible, je ne peux que lui adresser des mots, des vœux, des souhaits, mais tout cela n'est que vent quelque part lorsque l'on se retrouve dans l'embarras. Oui, si j'avais habité Bordeaux, je lui aurai proposé que nous nous rencontrions, elle et sa famille, moi et Cynthia. Après, cela aurait été un quitte ou double. Soit la présence physique aurait été bénéfique, bien plus que de simples mots virtuels, soit nous aurions été embarrassés, ne sachant comment nous positionner les uns envers les autres. Oui, ce qui fait que l'on apprécie ou non en face de nous, à nos côtés, la présence de quelqu'un dont nous ne connaissons rien est un grand mystère. Ce sont des histoires d'hormones, de phéromones, bref, de toute une alchimie interne qui se met en branle et dont nous n'avons même pas idée. Pourtant, elle conduit nos pas.

Comme quelqu'un qui vient déposer chaque jour une gerbe sur une tombe, j'ai une pensée pour mon propre cancer. Comme souvent, cela me fait étrange de me savoir malade, avec cette maladie-là précisément, et encore plus étrange de savoir que c'est mon cerveau qui en est la victime, qui est la cible. Oui, bien plus qu'au reste de mon corps, mes côtes y compris, c'est à lui que je m'identifie. Dans mon esprit, mon cerveau c'est moi et inversement, je suis autant ses bons côtés que ses mauvais, autant sa maladie que ses parties saines. Lorsque j'étais jeune, entre mes 18 ans et mes 30 ans, voire 35 ans, ma hantise était de devenir fou et d'en avoir conscience. Toute pensée étrange, toute réflexion allant à l'encontre de ce qui se pensait communément, m'inquiétait. Je me demandais alors systématiquement si je ne dérapais pas, si je n'interprétais pas les choses de manière complètement erroné, si je n'étais pas fou, ou entrain de le devenir, en remettant des dogmes en question, telles les religions, mais également des valeurs comme la liberté, l'égalité ou la fraternité. Oui, cette peur de devenir fou, de perdre la raison, le bon sens, est ce qui m'a conduit à me cultiver, à lire lire et encore lire sur les sujets qui me préoccupaient, me posaient problèmes. Effectivement, et c'était en même temps un bien et un mal, je percevais très vite les anomalies d'un raisonnement, ses failles, quelque soit la valeur étudiée, quelque soit le secteur étudié. C'est ainsi, à force de décortication, que je suis allé de déconvenue en déconvenue, constatant que la majorité de ce que  croyais était faux, ne tenait pas la route, m'interrogeant alors profondément sur la santé mentale de ceux et celles qui y croyaient, à commencer par celle de mes parents. Étaient-ils des cons, des ignares, autre chose ?

C'était l'époque où je ne m'intéressais pas encore vraiment à la politique. Oui, ce qui m'importai était de comprendre le fonctionnement humain, de comprendre pourquoi nous étions tous différents et en même temps si semblable. Dans un premier temps je crû que la philosophie m'apporterait des réponses, mais ce ne fut pas le cas. La philosophie propose des systèmes de pensée, ni plus ni moins, et il suffit d'être en désaccord avec l'un de ses postulats de base pour que toute la théorie s'écroule. Il en va de même du religieux et, plus largement, de ce qui est spirituel. Puis j'ai découvert la psychologie à travers Freud pour commencer. Là-aussi, la psychologie propose des systèmes de pensées, une manière de voir, d'appréhender la psyché humaine, et c'est pour cela qu'il existe plusieurs écoles de pensée. Les plus connues sont donc celle de Freud, Lacan et Jung. Mais il en existe bien d'autres, très différentes de ces trois dernières, et il n'est que dans une seule où j'ai retrouvé ma manière de voir les choses. Elle fait partie d'un courant de pensée qui mêle philosophie, sociologie, psychologie et psychiatrie, courant qui s'appelle le « constructivisme ». Oui, dans notre psychisme, tout est construction, toutes les écoles seront d'accord sur ce point. Par contre, et c'est là que se manifeste les divergences, elles ne sont pas forcement d'accord sur la manière dont s'élaborent nos constructions, qu'il s'agisse de la perception que l'on a de soi-même ou de l'autre. Donc de lecture en lecture, toujours dans le but de nous comprendre, de comprendre pourquoi nous avions créé et entretenions un monde que je trouvais profondément injuste, socialement parlant, je me suis mis à lire des ouvrages de sociologie qui, eux-même, me menèrent à la lecture de livres traitant de l'économie. C'est donc à travers l'économie, ses diverses théories, que de fil en aiguille j'en suis arrivé à m’intéresser à la politique, puis à l'histoire. En parallèle, toujours soucieux de comprendre notre fonctionnement psychologique, je lisais des ouvrages scientifiques sur le cerveau et commençait à me passionner pour l’anthropologie. Ce n'est que très tard que j'ai découvert l’ethnologie. Cela fut le résultat de ma séparation avec la mère de ma fille, de mon constat que dans notre cher pays les pères n'étaient pas du tout traités de la même manière que les mères, et j'ai voulu comprendre pourquoi. J'ai donc commencé à m'intéresser sérieusement à l'histoire des femmes, à l'histoire de leur émancipation, puis, en remontant dans le temps, à l'histoire de leur soumission régulière à travers les âges, l'histoire de la femme éclairant ainsi sous un nouveau jour l'histoire des hommes. Mais pour bien cerner le problème, pour bien comprendre ces états de faits, à ma connaissance seule l’ethnologie offre quelques réponses cohérentes, sensées, expliquant ainsi l'histoire des discrimination entre l'homme et la femme, quelque soit la société donnée, étudiée. En cela, l'ethnologie va de pair avec la psychologie et la sociologie. La psychologie est un état des lieux de l'individu, selon qu'il soit seul ou en rapport avec d'autres. La sociologie est un état des lieux de structures données, des sociétés et de leurs règles, normes et explique comment elles sont construites. L'ethnologie est ce qui explique le pourquoi de la création de ces structures et de la place qui est attribué à chacun au sein de ces dernières. Enfin, l'histoire permet d'avoir un large panorama de l'évolution de ces sociétés, donc de leurs valeurs, et après à chacun de se faire son idée. Pour ma part, aucune société n'a trouvé grâce à mes yeux, et ce n'est pas parce que certaines ont été détestables, exécrables, que cela signifie pour autant que les autres sont exemptes de défauts.

Certes, je ne suis pas mécontent d'avoir accumulé tout ce savoir, car à présent on ne peut plus me faire prendre mes vessies pour des lanternes. Mais d'un autre côté, je me dis à quoi bon tout çà ? Est-ce que cela a contribuer à changer quoi que ce soit à notre monde, un monde qui présente bien plus d'inconvénients que d'avantages ? Non, mon savoir n'aura été utile que pour une petite minorité peut-être, j'ai même sûrement trop de doigts sur mes deux mains pour compter ceux ou celles que j'ai pu réellement aider. Bref, je me suis creusé les méninges des années et des années, mais pour quoi au final ? A présent mon cancer est là, je vais mourir, peut importe que ce soit demain ou plus tard, je vis avec la mort au quotidien, c'est la seule chose que je sais, ma route tend vers elle et je l'éprouve chaque jour, et tout ce que j'ai compris de notre monde, de nous, de vous, ne changera rien à cet état de fait, à cette réalité, à cette fatalité. Peut-être que tout est écrit, peut-être pas, à présent je m'en fou de le savoir ou non, il ne m'intéresse plus de supposer ceci ou cela, je prend les choses et les êtres comme ils viennent, m'en arrange comme je peux en temps et en heure, ne planifie plus d'attitudes, de comportements ou de discours. Je me met à l’extérieur, je ne trouve pas d'autre expression, en marge des vies quotidiennes des gens sains, des gens soucieux de l'évolution de notre monde, monde dont le sort me désintéresse de plus en plus, monde qui, bientôt, ne sera plus jamais le mien. Alors je pense à ma fille, au beau bordel dans lequel elle va devoir évolué, et j'ai presque honte d'être un acteur majeur de toutes les déconvenues qu'elle sera amené à rencontrer. Comment se vivra-t-elle ? Comment vivra-t-elle les autres ? Il se peut également que, contrairement à moi, ce monde lui convienne, qu'elle y trouve amplement son compte. Ce serait le pire des scénarios dans mon esprit, mais le meilleurs qui puisse lui arriver néanmoins. Oui, je ne suis plus à un paradoxe près...

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