vendredi 24 juillet 2015

Cioran, De l'inconvénient d'être né II

24 juillet 2015


En ce moment, toute cette semaine d'ailleurs, je me sens le cœur léger, contrairement à je ne sais plus quelle semaine l'ayant précédé. Oui, d'être occupé avec Cynthia, avec les groupes dont je fais partie sur facebook, m'amène à ne plus penser à moi, mon nombril, et donc mon cancer, ma maladie, même si cela ne m’empêche pas pour autant de ressentir et de penser à mes handicaps. Chaque jours je sens mon corps, l'éprouve au sens premier du terme, il n'est plus une forme dans le paysage, un décors terrestre, je suis lui et seulement lui, ma pensée devenant de plus en plus accessoire, l'un de ses accessoires, mais en aucun cas l'intégralité de l'être que je me pensais être naguère.

« La conscience aigu d'avoir un corps, c'est cela l’absence de santé.
… Autant dire que je ne me suis jamais bien porté. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Comme je l'ai déjà écrit, je relis Cioran, le redécouvre, et, ce, dans la sérénité la plus totale, même si aux yeux du plus grand nombre, c'est un auteur sombre, voire désespérant. Pour moi, il est simplement réaliste et seuls les aveugles ou ceux qui se voilent la face savent que la réalité est rarement quelque chose de tendre, de doux, plus encore lorsque l'on est malade ou en état d'handicap physique, voire d'invalidité. Que dit-il d'ailleurs à propos de la maladie ?

« Qu'est-ce que l'injustice auprès de la maladie ? Il est vrai que l'on peut trouver injuste le fait d'être malade. C'est d'ailleurs ainsi que réagit chacun, sans se soucier de savoir s'il a raison ou tort.
La maladie est : rien de plus réel qu'elle. Si on la déclare injuste, il faut oser en faire autant de l'être lui-même, parler en somme de l'injustice d'exister. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Pour ma part, contrairement à d'autres cancéreux qui, à juste titre, peuvent se demander pourquoi la vie leur a réservé un tel sort, je ne vois pas d'injustice, plus aujourd'hui, à être devenu un malade. Mon cancer du poumon n'est pas arrivé par hasard, là est mon opinion. Si je n'avais pas fumé tant et tant d'années, plus de trente, je pense que jamais je n'aurai déclaré ce cancer. Je ne peux donc m'en prendre au destin et, de même, puisque je me suis remis à fumer depuis deux semaines, n'envisageant pas d’arrêter demain, j'accepte à l'avance qu'il se manifeste à nouveau dans mes poumons, poumons aujourd'hui sains depuis l'opération lors de laquelle on m'enleva la tumeur. Certes, entre temps, des cellules cancéreuses de cette tumeurs sont parties se promener dans mon cerveau, générant métastase sur métastase, des micros tumeurs cancéreuses, endommageant bel et bien le fonctionnement de mon intellect et de mes humeurs. Mais bon, où est l'injustice dans tout cela ? Je connaissais, comme tout le monde, fumeur ou non fumeur, les méfaits du tabac et ses éventuelles conséquences mortelles. Cependant j'ai fais le choix de fumer. Peut-être que déjà à l'époque où j'ai allumé ma première cigarette, j'avais alors treize ans, vivre ne m'intéressait déjà plus.


« Chez certains, la perspective d'une fin plus ou moins proche excite l'énergie, bonne ou mauvaise, et les plonge dans une rage d'activité. Assez candides pour vouloir se perpétuer par leur entreprise,ou par leur œuvre, ils s'acharnent à la terminer, à la conclure : plus un instant à perdre.
La même perspective invite d'autres à s'engouffrer dans l'à quoi bon, dans une clairvoyance stagnante, dans les irrécusables vérités du marasme. »
(Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Pour qui me connaît un peu, ils savent que je suis dans l'à quoi bon. Est-ce la position la plus sage, la plus sensée ? En tout cas c'est celle qui me demande le moins d'effort et, parce que j'étais déjà un fainéant et le suis plus encore depuis que j'ai réalisé la futilité, la brièveté, de la vie, j'entends bien poursuivre dans cette voie, celle du moindre effort. Aussi, lorsque j'observe celles et ceux qui sont dans ma situation être en « rage d'activité », je les contemple comme des objets étranges, des extra-terrestres, ne comprenant pas pourquoi ils tiennent à tout prix à la réalisation de quoi que ce soit, y compris dans le domaine des relations humaines, se démenant et faisant des efforts dans tous les sens, bien souvent des efforts qui les fatiguent encore plus, alors que, plus tôt que tard, la maladie les emportera. Oui, je suis plus partisan du repos, de la détente, tant du corps que de l'esprit, en attendant cet instant-là, cet instant qui nous mènera dans l'au-delà.

« Ce n'est que dans la mesure où, à chaque instant, on se frotte à la mort, qu'on a chance d'entrevoir sur quelle insanité se fonde toute existence. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Encore une fois, à partir de ce constat qui est également le mien, à quoi rime tout effort ? A cela, Cioran rajoute :

« Nos misères physiologiques nous aident à envisager l'avenir avec confiance : elles nous dispensent de trop nous tracasser, elles font de leur mieux pour qu'aucun de nos projets de longue haleine n'ait le temps d'user toutes nos disponibilités d'énergie. » (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Ne voyant mon avenir qu'à court-terme, voire très court-terme, oui, je le vois avec confiance puisque je ne fais plus aucun projet, n'ai plus aucun projet de longue haleine. Sincèrement, c'est une délivrance, c'est s'échapper du monde de l'homme, car ne m'importe plus ses règles et ses codes. Je n'ai plus de question à me poser, à m'inquiéter pour l'avenir de ma fille ou de qui que ce soit, car, à priori, bientôt je ne serai plus là pour participer de leur monde. De même, parce que j'ai la chance d'être en France, l'état ne laisse pas sans ressources financières les personnes dans mon cas. Certes, je ne touche pas des mil et des mil, mais n'ayant besoin de rien, matériellement parlant, cette allocation que je perçois est amplement suffisante pour satisfaire mes quelques plaisirs, c'est à dire m'asseoir à des terrasses de café, y prendre un verre, tout en contemplant le paysage.


« Après certaines expériences, on devrait changer de nom, puisque aussi bien on n'est plus le même. Tout prend un autre aspect, en commençant par la mort. Elle paraît proche et désirable, on se réconcilie avec elle, et on arrive à la tenir pour « la meilleure amie de l'homme », comme l'appelle Mozart dans une lettre à son père agonisant. »  (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

Là encore, pour beaucoup qui sont dans mon cas, peut-être même l'immense majorité, la mort ne paraît pas désirable pour autant, même si tous et toutes la sentons proche. Donc je me démarque, une fois de plus, et me fais fort de la trouver encore plus désirable afin, tout simplement, d'en avoir moins peur. Oui, je ne me leurre pas, car si vraiment le fait de mourir de me faisait pas peur, il y a des lustres que j'aurai quitté notre monde. Une fois de plus, cela me fait penser à ceux qui se suicident. Dans mon regard, même si je ne sais s'il avait peur de commettre leur acte ou non, même si je ne sais s'ils avaient peur de mourir ou non, je ne peux que comprendre, admettre et approuver leur geste, dès lors qu'ils ne trouvaient plus aucun intérêt de supporter, d'endosser sur leurs épaules, tout ce que notre société réclame, ses règles, sa morale, ses valeurs.
Sinon, comme le dit si bien Cioran, après certaines expériences, et là il ne s'agit pas uniquement de maladie, il peut s'agir d'un viol, d'un meurtre, de la perte d'un être cher, oui, nous ne sommes plus du tout les mêmes. Pour ma part, comme je l'ai décrit à de nombreuses reprises dans mes articles, je ne peux que constater, prendre acte, que je ne suis plus celui que j'étais il y a deux ans encore. La maladie a terrassé l'identité que j'avais alors. Certes, il y a bien encore quelques restes, mais ils sont quantité négligeable et n'ont que très peu d'incidence sur celui que je suis devenu depuis.

« Une maladie n'est bien nôtre qu'à partir du moment où on nous en dit le nom, où on nous met la corde au cou... »  (Cioran, « De l'inconvénient d'être né »)

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