vendredi 10 juillet 2015

Autour de la poésie portugaise

10 juillet 2015


La poésie

« La poésie est le silence d'un nom. Les chemins qui nous y conduisent sont aussi proches que l'intimité de tout langage. Mais ce n'est pas en nous que ce langage existe. Il est en lui une réalité qui n'est qu'à lui : elle vient récuser la présence de celui qui est apte  à le prononcer, car ce n'est que de cette façon qu'il serait à notre portée de le révéler aux autres. Cette réalité, qui finira par être partagée, on pourrait la nommer silence, pour qu'elle ne soit à personne. » (De Fernando Guimaraes, poète portugais, né en 1928)

Oui, le poète, comme le peintre ou le musicien, est celui qui est apte à nous révéler une réalité,l'art justement, une réalité qu'il ne peut lui-même décrire précisément , car il utilise un langage qui ne lui appartient pas, dont il n'est pas le créateur. Si l’œuvre est bien sa création, tout le reste, à commencer par l'inspiration, ne sont pas de son fait et c'est ce qui fait l'universalité de l’accessibilité à la création pour quiconque veut s'y adonner. La création artistique ne s'embarrasse pas de mots, de syntaxe, de grammaire. Elle ne demande même pas à être intelligible, tant dans cette forme de communication entre l’œuvre et nous, c'est l'émotion qui prime et, au premier abord, dans un silence quasi-religieux. Oui, quelque part la création est un silence qui ne demande qu'à être révélé, mais parce que par définition le silence ne dit mot, la poésie est son exercice le plus âpre, le plus ingrat, celui qui nécessite le plus d'effort, tant de la part de l'auteur que du lecteur, pour donner existence au silence au delà des mots, au delà du verbe. Si rien ne transpire derrière ce que nous lisons, si le texte, les mots, ne nous laissent pas interdit au moins quelques secondes, alors c'est que nous lisons un vulgaire mode d'emploi.

Cet autre poème me renvoi à ma condition actuelle, mais, je le crois, elle est celle de tout le monde au bout du compte :


Pour le dévouement d'un homme

Terrible l'homme en qui le seigneur
a fait s'évanouir un regard furtif de moissons
ou recourber l'échine
ou celui qui s'apprête à tourner décisivement au coin
de la rue
Il n'est pas de conspiration de feuilles pour accueillir
son adieu. Ni d'épaule pour son épaule
lorsqu'il chemine jusqu'au fin fond du soir
La mort est le grand mot de cet homme
il n'en est pas d'autre pour le dire en lui-même
C'est terrible d'avoir le destin
de la vague anonyme morte sur la plage

(Ruy Belo, poète portugais, 1933-1978)

Là encore, je trouve que cette prose raconte bien ce qu'est la vie, sans pathos, sans désillusion non plus. Cependant où est la joie dans ce poème ? Évidemment, le choix des poèmes que je vous expose, que je porte à votre connaissance, est complètement arbitraire. Ils répondent à mon état d'esprit, à ma manière de concevoir les êtres et les choses, la vie et la mort. Ainsi, je ne sais si c'est terrible, mais il est clair dans mon esprit que notre destin est de devenir uniquement une vague anonyme morte sur la plage. En cela, je rejoint complètement l'auteur qui, derrière ses mots, exprime avec simplicité la futilité de la vie. A la lumière de cette leçon de plus en plus consistante dans mon cœur et dans ma tête, comment dois-je considérer tous ceux et celles qui se veulent être « quelqu'un », ne serait-ce que dans le regard d'un seul ? Oui, nous nous fabriquons des chimères, courront derrière toute notre vie, souffrons régulièrement en conséquence, ne sommes que ponctuellement satisfaits lorsque l'une d'elles se concrétise, satisfait pour un temps bien limité, celui  de prendre l'habitude de vivre avec puis, tôt ou tard, de ne plus en éprouver aucune satisfaction, ayant oublié à quel point cette dernière nous avait été si précieuse un temps. De même, lorsque l'une de nos chimères se concrétise, bien souvent nous sommes également déçu, car entre notre projection et ce que nous constatons s'étale un gouffre, un fossé parfois infranchissable, et c'est alors que le rêve tourne au cauchemar. Ainsi, le plus simple pour éviter le cauchemar, la désillusion, la déception, est d'éviter les rêves. Avoir des projets est une chose, avoir des rêves en est une toute autre.


Guerre civile

C'est contre moi que je lutte.
Je n'ai pas d'autre ennemi.
Ce que je pense,
Ce que je sens,
Ce que je dis,
Ce que je fais, Réclame le châtiment
Et désespère la lance de mon bras.

Alliance absurde
D'enfant
Et d'adulte,
Ce que je suis est une insulte
A ce que je ne suis pas ;
Et je combats cette silhouette
Qui m'a investi par traîtrise.

Malheureux avec ou sans folie,
Je demande à la vie une autre vie, une autre aventure,
Un autre incertain destin.
Je ne me donne pas pour vaincu,
Ni convaincu.
Et j'agresse en moi l'homme et l'enfant.

(Miguel Torga, poète portugais, 1907-1995)

Ce poème fait résonner en moi hier, avant ma maladie, avant la prise de conscience constante de la précarité de ma vie. Oui, c'est bel et bien ainsi que je me considérai, insatisfait de mon destin, du cours de ma vie, incapable de trouver grâce à mes propre yeux. Oui, là encore, je voulais être quelqu'un, mais pas n'importe qui. J'avais une image précise et très nette de celui que je voulais vivre. C'était ma chimère, celle après laquelle j'ai couru toute ma vie, pour rien évidement. A ne regarder que dans une direction, je ne voyais même pas sur quel chemin je marchais, ne comprenant pas, n'acceptant pas que l'on m'empêche de prendre les bifurcations fantoches sensées relier mon chemin à celui de ma chimère. Je n'ai fait que perdre mon temps, la vague anonyme morte sur la plage que je serai bientôt ne le sais que trop à présent. Donc oui, dès que le cours de ma vie n'allait pas dans le sens désiré, que ce soit de mon fait ou non, à chaque fois je m'en suis pris prioritairement à moi, m'agressant comme peu s'agresse, m'accusant bien plus qu'un procureur n'aurait pu le faire, persuadé qu'il était normal, irrémédiable, que je porte sur mes épaules le fardeau de ma vie pourrie. J'en ai fait payer d'autres également, ceux et celles qui étaient un frein, voire un rempart vers l'atteinte de ma chimère. Ils étaient peu nombreux il est vrai, mais lorsque je leur donnais la facture, jamais elle n'était exécutée à moitié. Oui, en lisant ce poème, cela rend encore plus vivant dans mon regard l'enragé que j'étais, tout ce qui bouillonnait en moi alors, c'est à faire peur.

Et aujourd'hui, maintenant que la maladie mortelle est là, que je ne peux même plus me donner d'échéance viable dans le temps, qu'est devenu cet enragé ? Cynthia me dit que je suis devenu plus tranché, moins clément, moins enclin à pardonner toute parole ou comportement que je juge absurde. Je crois en ce qu'elle me dit, je sais qu'elle a raison, qu'elle a vu juste. Oui, pardonner ne m'intéresse plus et les sentiments que je peux provoquer chez les uns ou les autres n'est plus une préoccupation pour moi. Hier, me sentant souvent dans un état de solitude, parce que me pensant à tort ou à raison incompris, je me sentais seul. Depuis que j'ai mon cancer, j'ai découvert que j'étais seul, même si je ne me vis plus du tout dans la solitude. Pour autant, excepté par les cancéreux, je me sens néanmoins partiellement, voire totalement incompris par les autres. A présent, plus le temps passe en compagnie de ma maladie, de mon corps que je découvre et ressens comme jamais auparavant, je sais que je resterai seul jusqu'à la fin de mes jours, dans mon cœur tout du moins. C'est un peu comme si la boite s'était refermée. Il n'y a rien de volontaire dans tout cela, rien de prémédité, et je ne sais plus comment appeler, nommer, désigner ce que j'éprouve. Je sais que le terme « sentiment » n'est plus adéquate, dans le sens où quoi que j'éprouve, cela ne ressemble plus en rien à ce que j'éprouvais hier. Oui, lorsqu'à présent je suis contrarié, ce que j'éprouve est différent de ce que je ressentais auparavant et, du coup, mes réactions, ma pensée en conséquence, sont également différentes. A présent, la majorité des choses me laisse impassible et j'ai parfois l'impression que je finirai en statue de marbre.

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