lundi 13 juillet 2015

Autour de la poésie portugaise II

13 juillet 2015


DISTIQUE

La vie qui crie beaucoup ne dit jamais rien.
La mort qui dit toujours tout est bien silencieuse.

(Jorge de Sena, 1919-1978)

Peut-on être plus clair, je me le demande ? Effectivement, que nous enseigne la vie, que nous apprend-t-elle de si fondamental, hormis cet absolu qu'être notre sort, autrement dit la mort inévitable, qu'il s'agisse de la nôtre, de celle d'autrui, ou te tout ce qui peut exister dans l'univers ? Deux petites phrases et, déjà, nous sommes dans la métaphysique, magie de la poésie. Ce court poème aurait plut à Emile Cioran, j'en suis convaincu.


NOCTURNE DE LISBONNE

Tard dans la nuit, la mort au fond de sa poche,
chaque homme cherche un fleuve où dormir
et les pieds sur la lune ou un grain de sable
il s'enroule dans le sommeil qui voulait le fuir.

Chaque rêve meurt entre les mains d'un autre rêve.
Dix sous d'amour furent dépensés à attendre.
Le ciel qui nous promet un ange saoul
est un matelas crasseux au cinquième étage.

(Eugénio de Andrade, 1923)

Ce poète, comme tous les autres que je cite dans mes articles consacrés à la poésie portugaise, a vécu sous le régime de la dictature de Salazar et de sa police politique, police qui n'avait rien à envier au KGB. Les opposants, dont de nombreux poètes et intellectuels, étaient traités sans ménagement. De même, le Portugal n'étant pas un pays riche, beaucoup vivaient dans la misère. A la lecture des dernier vers de ce poème, on pourrait croire que c'était le cas de ce poète. Est-ce le mal-être de l'époque, également valable en France aujourd'hui pour les plus démunis, qui fait que le sommeil fuit ? Oui, quand les soucis nous rongent, quelque soit la nature de ces derniers, notre cerveau semble parfois ne plus vouloir s'arrêter, cherchant désespérément une solution à ce qui nous tracasse, un solution que nous savons, à l'avance, ne pouvoir trouver. Pour le malade, la solution est la guérison. Mais il est des maladies dont on ne guérit pas, il en est même qui nous tuent en moins de temps qu'il ne le faut pour l'écrire. Il en va de même des soucis d'ordre matériel, alimentaire. N'est-il pas écœurant qu'encore aujourd'hui, en France, certains et certaines soient obligé de faire les poubelles pour trouver, éventuellement, quelques aliments ? Est-ce à des associations de gérer ce genre de situation, franchement ? A quoi sert l'état alors, quel est son rôle ? Sa responsabilité est flagrante face à cet état de fait. Enfin, je ne parlerai même pas des pays africain où la situation est bien pire encore, alors que tout le monde le sait désormais, nous produisons assez d'aliments pour que tout le monde puisse manger à sa fin. Bien entendu, cela n’intéresse pas les producteurs, leurs clients qui ne sont autres que des centrales d'achat, pas plus que cela n'intéresse les distributeurs. Participer à un système humain n'est pas leur affaire. La leur est leur compte en banque et les privilèges que les montants de ces derniers leur concèdent. Alors oui, pour le malheureux, le miséreux, chaque rêve meurt entre les mains d'un autre rêve, car il n'a d'autre choix que de rêver pour ne pas être tenter par le suicide ou le crime. Pour ma part, parce que je pense n'avoir plus rien à perdre du fait de ma maladie, si je devais me trouver dans une telle situation, c'est sans hésiter que je deviendrai un criminel ou un terroriste. Oui, au nom de quoi mériterai-je un matelas crasseux tandis que d'autres se prélassent sur mon dos, sur ma funeste condition ?


LA SOLITUDE

La solitude est cette mort immense
où les morts n'ont pas arrêté de vivre.
Et où les vivants cueillent la tristesse
d'aller en mourant sans savoir à quoi,
malgré tout leur souci. Bien qu'y advienne
l'éminente naissance à ce qu'on est déjà.

(Fernando Echevarria, 1929)

La solitude, je ne sais plus quoi en penser depuis l'apparition de mon cancer. Là également, comme envers tous les êtres que je côtoie, mon sentiment a changé, s'est modifié, s'est radicalement transformé. Hier, j'écrivais des pages et des pages sur la solitude, celle qui était mienne, qui me transperçais le cœur comme seule une lance pouvait le faire. Combien de tonnes de cachets n'ai-je pas pris pour contrer ce malheur, ce trou noir qui ne cessait de percer, creuser en profondeur dans mes entrailles les plus sensibles ? Combien de fois n'ai-je pas pensé au suicide pour me délivrer de ce mal ? Et pourtant je n'étais pas seul, jamais je n'ai été seul, laissé à moi-même, abandonné ou rejeté comme l'on banni de sa vie celui ou celle qui nous as trop déçu ou qui nous fait trop peur. Mais ces présences ne me pénétraient pas et, sans doute, parce que je les voulais me pénétrant, là mon attente, mon souhait, mon désir, la cause de cette solitude que je ressentais chaque jour un peu plus. Cela dura des années, peut-être même une décennie au moins, je ne me souviens plus et ne veux plus faire l'effort de me remémorer. Ainsi, hier, bien qu'entouré, je me vivais dans la solitude, comme isolé des autres, et cela m'était insupportable car, malgré eux, je me sentais abandonné à mon sort, un triste sort à cette époque. Oui, je me sentais aller en mourant sans savoir à quoi.

Depuis que j'ai mon cancer, lentement mais sûrement, je m'isole, m'éloigne physiquement des autres. Ainsi, je suis le plus clair de mon temps dans un état de solitude. Mais cette fois, contrairement à hier, cela est mon choix, n'éprouvant plus le besoin de ressentir en moi la présence de l'autre. A partir de là il n'y a plus de souffrance, de dilemme, de vision de moi-même qui, n'étant pas au rendez-vous, me rendrait la vie pénible, voire cruelle dans mon cœur. Pour autant, est-ce la solitude la plus totale que je souhaiterai aujourd'hui ? Non, je n'en suis vraiment pas là. Je veux conserver quelques liens, bien que cela ne soit plus avec la même prérogative qu'hier, la même intensité. Cependant je ne peux me cacher, me leurrer, me mentir à moi-même, c'est bien lorsque je suis seul, isolé, que je me sens le mieux avec moi-même.


CENDRES DE SISYPHE

J'ai vu le soubresaut.
Dans ce bois de lames et de gants
tu as touché chaque chose comme
un cri.

Et tu as aimé ma bouche
comme on tranche
les veines du silence.

Si le vent te jette
entre les feuilles et la cendre
c'est toujours la même voix qui ne pardonne pas

la même loi
le même labyrinthe.

(Armando Silva Carvalho, 1938)

Je ne sais quoi penser de ce poème, je ne sais ce que je dois en comprendre, je ne suis pas sûr de savoir de quoi il traite exactement. Cependant il me parle, oui, il me parle dans un langage que je ne connais pas, que je ne peux décrypter ou retranscrire. J'y vois en même temps la femme qui possède l'homme, l'homme consentant à être son prisonnier, sa chose, pour un temps seulement, malgré lui, malgré son souhait, et d'autre fois j'y vois une parabole du régime du dictateur Salazar. Quoi qu'il en soit, il exprime un désarroi certain, une résignation certaine, et en cela il est bien triste.

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