mardi 26 mai 2015

Un jour comme un autre ?

26 mai 2015


Errance, je me sens d'humeur d’errance ce matin, comme si je n'étais pas complètement réveillé, ce qui est sans doute le cas. J'écris, certes, mais sans conviction. Pourtant il se passe quelque chose dans mon esprit, dans mes pensées, je le sens, le ressens, mais je ne sais de quoi il s'agit. Ce matin, tôt, j'ai donc vu mon psychiatre. Comme souvent, je l'endormais, car il est vrai que je n'ai rien de folichon à lui raconter, rien d'extraordinaire. De plus, je me sens bien, ce qui me donne encore moins de chose à dire, à confier. Une fois la séance terminé, une petite demi-heure, je suis allé faire ma prise de sang, histoire de savoir où en est mon cœur, si tout se résorbe, si je récupère. Depuis ma mésaventure avec ce dernier, et là encore je ne peux expliquer pourquoi, comment, mon état d'esprit a bien changé, mais dans un sens positif qui me surprend chaque jours depuis. Avant mon incident cardiaque, je trouvais le temps morne, je trouvais tout un peu morne en fait et rien, non rien, ne me faisait réellement plaisir dans mes journées. Certes je n'étais pas mal pour autant, mais j'étais comme un errant ne sachant où il va. Aujourd'hui je ne sais pas plus où je vais, mais contrairement à hier, j'ai envie d'y aller, et peu importe où me mèneront mes pas.

Je pense à Brigitte, une lectrice de Marine, qui a laissé un commentaire sur son blog hier. Elle a un cancer du sein, apparemment en voie de rémission, et elle parlait de son immense lassitude. Cela me rappelle moi avant mon hospitalisation, avant mon incident cardiaque. C'est exactement ça, je me sentais également dans une perpétuelle lassitude, ne trouvant goût à rien, vraiment à rien, restant uniquement à attendre que le temps passe, que le moment fatal arrive et me délivre de mon attente. Est-ce parce que je ne suis plus en soin, plus de radiothérapie à l'ordre du jour, moins d'effets secondaire, que je dors mieux, fait à présent des nuits d'une traite sans plus me réveiller toutes les deux heures, est-ce parce que je récupère que le moral remonte ? Je le crois, sincèrement. Oui, les soins, les traitements, les manifestations de la maladie nous épuisent tôt ou tard. Cela joue sur le moral, l'état d'esprit, forcément. D'ailleurs ne dit-on pas un esprit sain dans un corps sain ?

Aujourd'hui je ne sais si je vais lire, ne sais pas si je vais ressortir Cioran de ma poche. En l'état, je me sens plutôt d'humeur passive, mais j'ai en même temps envie de reprendre, continuer la lecture du blog de Marine. Oui, son histoire est longue pour quelqu'un comme moi qui a du mal à se concentrer longtemps sur la lecture. Pourtant elle écrit légèrement, c'est amplement accessible, même ma fille pourrait comprendre tout ce qu'elle narre, même si elle ne pourrait éprouver tout ce qu'a éprouver Marine. A treize ans, l'empathie a ses limites et il est bien des choses que l'on ne peut concevoir, des choses affectives bien entendu.

Comme chaque jour je suis donc à une terrasse de café, toujours dans le quartier Saint-Anne, et je n'ai pas envie de rentrer chez moi, d'être enfermé entre quatre murs. Aussi, je me demande si je déjeunerai dehors ou chez moi, Cynthia n'étant pas là, étant au lycée pour donner ses cours. Mais si je déjeune dehors, c'est encore de l'argent que je vais dépenser et, l'argent, depuis ma maladie, je n'en ai plus tant que ça, je suis à la limite du seuil de pauvreté comme l'on dit. Mais je m'en fou, cela m'importe peu de me faire ce type de plaisir ou non, de déjeuner au restaurant ou pas. Oui, il n'y a rien d'essentiel là-dedans, rien de vital, rien qui n'engage ma vie ou celle de mes proches. C'est un luxe, n'ayons pas peur de nommer les choses, et peu importe le coût de ce luxe. Il est luxe par qu'accessoire.

A quelque table de moi, trois messieurs discutent. J'entends des bribes de leur conversation. Ils veulent ouvrir sur Rennes un centre d’accueil pour des jeunes ayant entre 18 et 25 ans, des jeunes homosexuels qui, pour la plupart, ont été ou sont rejeté par leur entourage. Cette association s'appelle le refuge. Le refuge, tout un symbole, c'est dire que notre société n'est guère tolérante malgré tout ses faux-semblants. D'ailleurs, moi-même je suis de moins en moins tolérant, non envers la sexualité des gens, sexualité qui n'est pas mon affaire, dont je me contrefous éperdument, mais envers les gens sains, valides, non malade. Oui, leurs problèmes ne m’intéresse plus en général, tant je les trouve ridicules, puérils, comparativement au problème qu'est la maladie mortelle, le combat pour ne pas mourir, tous les efforts parfois surhumains que doivent faire les uns et les autres pour tenter de mener une vie « normale », pas trop déphasée, surtout lorsqu'ils vivent en famille, qu'ils soient les enfants ou les parents de ces familles. Oui, plus les mois passent et plus je deviens intransigeant, ce qui n'est pas forcément une bonne chose, je le sais théoriquement, mais le ressenti de ma chair, de ma personne, de cette nouvelle identité que je me découvre, mène sur ce chemin, celui de l'exclusion pure et simple de quiconque me paraît trop léger, trop superficielle. Oui, je n'ai plus de temps à perdre, je me répète, mais c'est bien de cela qu'il s'agit. Aller à l'essentiel, uniquement l'essentiel, ne pas m'encombrer du futile, ne plus me faire de nœud à la tête pour du futile, facture d'électricité y compris, dettes éventuelles ou tout ce qui, de près ou de loin, touche à l'argent, la chose matérielle. La prison ne me fait plus peur, ne m'inquiète plus, car attendre là ou dehors que ma maladie en ait fini avec moi, qu'est-ce que ça change ? De même, finir à la rue, être un SDF, de cela aussi je me fou complètement. J'aurai quand même à manger tous les jours, un lit où dormir et continuerai à être soigné, même si cela ne se fait pas dans les meilleurs conditions.

Oui, vivre longtemps n'a jamais été mon dada, même si je ne pensais pas pour autant que la maladie viendrait si tôt. J'aimerai juste vivre assez longtemps pour voir ma fille grandir, devenir une femme, commencer à construire, bâtir sa vie. Après je pourrai partir le cœur beaucoup plus léger, car je veux croire qu'elle réussira, qu'elle se fera sa place dans notre société merdique, et c'est rassuré que je m'éteindrai. Il en va exactement de même envers Cynthia. Si je dois partir demain, j'aurai là-aussi le cœur léger, car je sais désormais qu'elle est amplement capable de se prendre en main, de prendre sa vie et son destin en main. Non, je n'ai plus peur pour elle, pour son présent et son avenir.

4 commentaires:

  1. Bonjour Hicham, tu as un souci de concentration, c'est à cause des tumeurs cérébrales, j'ai commencé à avoir ce problème après mon intervention, quand je discute avec quelqu'un au bout d'un moment je perds le fil de la discussion, personne ne le sait, sauf mon mari, pour le travail mon oncologue que je ne suis pas encore prête, difficile aussi de l accepter même si au fond de moi je sais qu il me faut encore du temps pour reprendre une vie normale, mais c'est quoi une vie normale? Je me demande à quoi ça ressemble, c'est un travail que je fais avec mon psy.
    Tu parles du matériel, comme toi le matériel ne signifie pas grand chose, tant que j ai un toit sur la tête et à quoi manger pour mes enfants, avant j'étais très ambitieuse, j avais des projets, j etais très active, il m'a fallu du temps pour accepter ma nouvelle vie, comme toi mon seul souhait et de voir mes enfants grandir, c'est vrai qu on vit dans un monde pourri, pour ma part je suis contente que mes enfants grandissent ici, parce que j'ai grandi dans un pays vraiment pourri dans tout les niveaux, j'ai même connu la période noir d'algerie qui a traumatisé les milliers de personnes.
    Donne moi de tes nouvelles, essaye de poser des questions à ton oncologue, moi j écrit tout sur un papier avant mes rdv pour rien oublier, je prie mon dieu pour toi, pour que tu ailles mieux.
    Passé une bonne journée, à Bordeaux il fait très beau, en plus il y a la fête du fleuve.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Lila, comme toi je suis vite largué lorsqu'une conversation dure trop longtemps ou que la personne parle trop vite. Je décroche complètement, j'ai alors comme une espèce de vertige le temps de reprendre mes esprits, mais dans mon cas personne ne s'en rend compte si je ne le signale pas. Ton mari doit donc bien bien te connaître.

    Je comprend que tu ai envie de retravailler, mais je pense que ton oncologue a raison, qu'il faut d'abord que tu récupères bien, même très bien, car comme tu le sais, même si notre travail nous plait, le faire au quotidien fatigue, sans compter que tu as en plus tes enfants à t'occuper. Cela aussi fatigue, surtout quand ils sont en bas-âges.

    Tu me dis que tu étais ambitieuse. Pour ma part, je ne l'ai jamais été, en tout cas pas dans le cadre du monde professionnel. J'ai remarqué que beaucoup d'hommes et femmes qui étaient ambitieux, une fois le cancer débarqué dans leur vie, n'en ont plus fait une priorité. Personnellement je n'ai rien contre l'ambition car dans notre société, si on ne l'est pas un minimum, il est difficile de s'en sortir, d'avoir une vie la plus agréable possible. Je n’assimile pas forcément l'ambition à : marche sur l'autre afin d'asseoir ta place. Je pense que l'on peut parfaitement être ambitieuse, faire son trou, sans pour autant écraser ou essayer d'écraser l'autre.

    Quand tu parles de la période noire de l'Algérie, tu parles de l'époque du FIS, des islamistes radicaux de l'époque qui n'hésitaient pas à égorger d'autres algériens? Pour ma part, je suis un enfant métis. Mon père était marocain et ma mère est une française, une bretonne exactement. Cependant, même si je suis né au Maroc, c'est en France, à Paris, que j'ai grandi et pratiquement toujours vécu. Cependant, lorsque j'avais 22 ans, j'ai travaillé à Bordeaux pendant un an. J'habitais alors Arcachon et prenait le TER tous les jours. Bordeaux est une très belle ville. Je me souviens de sa grande rue piétonne et commerçante, mais je ne me souviens plus du nom de cette artère. La dune du Pilat n'est donc pas loin de chez toi. Peut-être y vas-tu parfois pique-niquer ou profiter de cette immense étendue de sable pour te dorer au soleil ou te baigner?

    Quant à la gironde qui traverse ta ville, ses magnifiques bateaux que j'ai pu voir accoster, des voiliers d'époque, que dire, c'est une ballade magnifique. Alors vivement que tu refasses le plein d'énergie, que tes deux cures à venir se passent bien, ne te fatiguent pas trop, afin que tu profites à fond du somptueux décors qu'est ta région !

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour Hicham, oui c'est de cette période noire que je parle,
    Mon père est d'origine marocaine aussi, de Fès, mais je suis née en Algérie et grandit jusqu'à mes 25 ans, bordeaux est une très belle ville, elle a beaucoup changé depuis que tu travaillais , elle est encore plus belle, avec son miroir d'eau sur les quais, la rue piétonne dont tu parle c'est sainte Catherine.
    La dune du Pilat je suis allée plusieurs fois et à chaque fois c'est une première pour moi, c'est tellement beau, quand j'était au bloc opératoire les infirmières m'ont demandé de penser à un truc positif, je leur ai dit, que je pense à mes enfants, mon mari et moi dans la dune du Pilat, elles n'ont pas hésité de faire les sons de :la mouette, le vent et le bruit des vagues c'était très drôle.
    J'ai vu que tu as une troisièmes métastases, tu as de l'humour quand tu parles des jeux entre tes tumeurs, maintenant c'est moi qui a envie d'avoir une baguette magique pour éliminer cette saloperie de ta tête, dis toi que la médecine évolue, ne perd pas espoir, je pense fort à toi et à Cynthia.
    Bonne journée.

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour Lila, mon père aussi était de Fez, quelle coïncidence...
    Sinon, tu as une baguette magique, c'est celle des échanges cordiaux et amicaux que tu fais avec moi. Comme avec tous ceux et celles avec qui j'échange, surtout lorsqu'ils sont dans notre cas, m'apporte beaucoup pour ma sérénité, mon moral et me fait me sentir moins seul en tant que "malade". Oui, le fait que tu m'écrive, toi et les autres, me prouvent à chaque fois que vous vivez, que vous êtes bel et bien en vie, et peu importe le stade de la maladie. Vous durez, c'est tout ce que je sais, et cela suffit à me faire prendre pleinement conscience que moi aussi je peux durer.

    Bientôt l'été sera là, sa chaleur aussi, cela te rappellera un peu l'Algérie, et je te vois déjà à la dune du Pilat avec toute ta famille, tes enfants courant dans tous les sens ou construisant des château de sable. C'est une image agréable, une vision agréable, et j'espère qu'elle se concrétisera rapidement.

    A bientôt !

    RépondreSupprimer