lundi 25 mai 2015

Témoignage de Cynthia, ma compagne II

 25 mai 2015


J’aimerais aujourd’hui parler de la solitude. De celle dans laquelle nous plonge la maladie. Avant elle, j’étais seule avec lui. Aujourd’hui, je suis seule avec elle, sans lui. Sans personne. Même les autres aidants ne peuvent combler cette solitude par leur présence savante.
Ils savent mais cela s’arrête là. Ils ne peuvent, ni eux sur moi-même ni moi-même sur eux, entrer dans le monde de l’autre pour combler le vide.
Les autres, ceux qui ignorent, font s’arrêter de tourner le monde à la moindre panne d’ascenseur. Quand je discute parfois avec certains collègues, leur monde me paraît totalement étranger. Ils pleurent pour un rien, et quand je leur gicle à la gueule quelques bribes de ma vie, ils me regardent avec des yeux exorbités et se réfugient dans leur illusion de malheur.
Du coup, où que je sois, avec qui que je sois, je suis seule.
Je suis seule avec rien pour combler ma solitude.
Mon chat parfois, au réveil, lorsqu’il vient me chatouiller le visage  avec ses moustaches.
Un cheval, comme il y a peu, que je promène longuement en longe, au rythme du son de ses sabots qui claquent sur le béton mal assorti des routes de campagne. Un chat. Un cheval.
Je me souviens des plantes qu’il m’avait offertes et qui sont mortes alors qu’il était à l’hôpital. Je les ai pleurés comme s’il s'était agit de lui.

La solitude n’est pas un sentiment noir ou blessant. Elle fait qu’on prend du recul face au quotidien qui travestie bien trop souvent le réel qui nous crève. C’est un cheminement apaisant, quelque part, que de ne pouvoir trouver de réconfort qu’en une communication inhumaine. L’animal a cela de plus que l’homme qu’en un regard ou une caresse il pénètre notre âme et jauge en profondeur nos souterrains muets.
Avec lui, pas de mensonge possible.
Est-ce qu’il me manque quelque chose du temps où tout allait bien ? Je crois que non. Je crois en fait et sincèrement que la maladie, en foutant tout en l’air sur son passage, n’a fait demeurer que l’essentiel. Autrement dit, tout avant était superficiel. Le corps. Les gens. L’image. La sexualité. Le travail. La famille. Les projets. Tout. Tout cela s’est effondré et bizarrement cela m’apaise. Aujourd’hui je n’hésiterai plus une seconde à me séparer de qui que ce soit. Sans regret ni remord, sans pardon à formuler. Sans hésitation. Parce que seule, je le suis déjà. Comme lui. Nous ne sommes plus ensemble, comme il lui plaît de dire, mais côte à côté, avançant chacun sur deux chemins parallèles, dans la même direction sans doute, mais sur deux chemins bien distincts, dont le carrefour, on le sait, tôt ou tard séparera notre route. Mais n’en est-il finalement pas ainsi pour tous les couples ?

Le pire, ou le plus difficile, est d’accepter l’autre et sa destruction volontaire. Ou passive. Je ne sais comment il convient de le dire.
Mais le pire de ce pire, c’est de l’accepter pleinement, et ne plus en n’avoir rien à faire. Accepter cette destruction, ce laisser-aller, que l’on ne comprend pas, accepter de ne pas le comprendre et de rester tout de même, accompagnant, sur un chemin parallèle, l’amour qui se mutile.
Il ne s’agit pas de renoncer, mais d’accepter, et à tout bien considéré, accepter passe forcément par une renonciation.
Mais elle n’a rien de négatif, elle n’est pas une plaie béante. Elle est juste une sensation qui suinte, qui laisse parfois s’échapper un mince filet de sang par-delà la torture.
Les malades deviennent égoïstes. Ou plutôt, elle fait se recentrer la personne sur elle-même, induit une introspection telle que le malade en devient égocentrique. Le monde tournant alors seulement autour de leur monde. Ils deviennent une planète et nous autres gesticulants de vulgaires satellites n’existant plus que par l’attraction qui nous maintient en mouvement autour d’eux.
Je l’ai remarqué chez Hicham mais aussi chez ma mère. Comme si le fait d’être atteint d’une maladie mortelle leur donnait le droit de négliger les autres, tous les autres, de prétendre avoir atteint une quelconque dimension sacrée invisible aux yeux de tous.
Nous, nous resterons. Nous, nous vivrons encore. Nous, nous ne pouvons pas comprendre pour ces mêmes raisons qui font que l’être que l’on aime, amant, fils ou parent, est transfiguré par le désordre des cellules.
Je n’aime pas écrire le mot cancer. C’est lui faire sur ma page un trop grand hommage.
Il est des cellules, amassées, perdues, dégénérées, qui s’assemblent, se regroupent, comblent entre elles, anormales, leurs solitudes de cellules dans un corps qui les rejette, et luttent alors pour leur vie, leur survie, au détriment du reste, du sain, du normal, du non pathologique, et qui s’aiment, se soutiennent, se reproduisent et alors se multiplient, dansant dans les moindres parois de nos entrailles cette danse seigneuriale des laisser pour compte de la nature.
Elles sont l’anomalie.

J’ai envie, ou besoin, de croire qu’il y a un sens à tout cela. 
Une punition de la nature à notre comportement, en bien ou en mal. L’anomalie comme punition pour avoir un jour craché sur la vie ou sur le vivant. Pour s’être cru à tort immortel et en oublier alors la valeur. La valeur du jour qui se lève, de l’oiseau qui vole, de l’insecte qui lutte dans la toile pour que survive l’araignée.

(Cynthia)

3 commentaires:

  1. Bonjour Cynthia, c'est vrai que nous les malades le monde tourne autour de nous, moi même je suis étonnée, tout le monde s' agite autour de nous, les professionnels de santé, la famille, les amis, même les gens quand connais pas très bien, ils s' interrogent, s' inquiètent, c'est comme si on devient star d un coup (c était le cas pour moi) , je suis devenu capricieuse, égoïste, en colère après tout le monde, même après mon dieu, je me demandais, pourquoi mon dieu me fait ça, est ce une punition? j ai dû faire quelque chose de pas ...et ben non, c'est comme ça et puis c'est tout, c'est la vie, tu me dirais: c'est plutôt la mort!! mais la mort fait partie de la vie.
    Nous les malades on n oublie parfois que vous les valides, vous souffrez aussi de cet intru qui vient tout changer, les projets, la vie en général.
    Je trouve que tu est très courageuse, ils ont de la chance de t avoir dans leur vie, tu as de la chance de les avoir aussi, ils sont là, vivant, profitez de la vie, même si c'est difficile.

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    1. Enfait c'est Lila, bonne soirée à vous deux.

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  2. Pauvre petite fille seule; vous êtes jeune et j'espère que la vie vous apportera son lot de joies...et de peines aussi mais que globalement la vie sera belle
    Nous les malades devons nous dire que les gens proches de nous, souffrent aussi et agir en conséquence. Ca n'est pas facile et le commun des mortels ne peut pas comprendre
    Je vous embrasse très très fort et pense beaucoup à vous
    Mamy
    PS: allez voir le Mont Saint Michel avant de quitter la Bretagne, c'est bon pour le moral d'avoir des petites joies

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